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Frédéric Tellier : «Comme tout homme, l’abbé Pierre avait ses combats intérieurs»

Frédéric Tellier : «Comme tout homme, l’abbé Pierre avait ses combats intérieurs»

CINÉMA - À l’occasion de la sortie du film « L’Abbé Pierre - une vie de combats » avec Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française dans le rôle-titre, nous avons rencontré le réalisateur Frédéric Tellier qui s’est attaché à décrire l’intimité du personnage au-delà de l’image médiatique. Il évoque notamment la relation avec Lucie Coutaz, une femme de l’ombre avec qui l’abbé Pierre a fondé Emmaüs et a vécu pendant 40 ans. Entretien.

Propos recueillis par Benoît Dusanter - Publié le 31.10.2023

La complicité de Benjamin Lavernhe et Frédéric Tellier sur le tournage de « L’Abbé Pierre - une vie de combats ». Crédits : Jérôme Prébois.

INA - Comment prépare-t-on un film sur celui qui a été la personnalité préférée des Français pendant plus de 20 ans tout en gardant sa part de créativité en tant que réalisateur ?

Frédéric Tellier – C’est tout l’exercice du film ! Je n’ai pas eu véritablement l’impression d’avoir réalisé un biopic. Mes films ne racontent que des histoires vraies et je les aborde toujours de la même façon. J’essaye de trouver la vérité historique et de m’approcher au plus près de ce qui s’est passé. Comme un journaliste, je commence toujours par une phase d’enquête. C’est la période qui me plait le plus dans mon travail. Je confronte les sources et j’essaie de recouper les pistes. Dans ce cas précis, il y avait une charge un peu plus lourde en raison de la densité du personnage. Mon intention n’était pas de parler du mythe « abbé Pierre », mais plutôt de comprendre l’homme qui se cachait derrière. Je me suis donc rapproché de Laurent Desmard qui a été son secrétaire particulier pendant 15 ans et qui est ensuite devenu le président de la Fondation Emmaüs. Et là, j’ai découvert la vie intime de l’abbé Pierre que je ne connaissais pas du tout. Il fallait donc bien comprendre tout le contexte historique et le croiser avec l’intime. Pour cela, nous sommes beaucoup appuyés sur les documents de l’INA bien sûr, mais aussi sur les Archives nationales du monde du travail à Roubaix où l’abbé Pierre a cédé ses archives personnelles. J’ai ensuite transmis à chaque chef d’équipe et aux acteurs un dossier dématérialisé classé par année de 1930 à 2007 avec des vidéos, photos et le contexte historique. Finalement, ce travail de recherche et d’écriture a duré 3 ans.

INA – Comment retranscrit-on cette vie intime à l’écran ?

Frédéric Tellier - Son rapport presque métaphysique à la religion, à la spiritualité, ses doutes, ses questionnements, tout cela était dans ses écrits. C'était un homme d'Église. Je n’ai pas voulu m'affranchir de ça. C'était un prêtre pratiquant, croyant en Dieu, mais s'interrogeant énormément sur la question. Comme tout homme, l’abbé Pierre avait ses combats intérieurs. Il se rendait souvent seul dans le massif du Hoggar en Algérie. Il marchait beaucoup là-bas, comme pour se reconstruire de manière presque tellurique. Ça m’a beaucoup inspiré et c’est comme cela que j’ai imaginé ces scènes d’introspection. C’était très attirant pour exprimer tous les paradoxes du personnage.

INA – Le film met en avant Lucie Coutaz (interprétée par Emmanuelle Bercot), une femme peu connue du grand public avec qui l’abbé Pierre a créé Emmaüs. C’était aussi une manière de parler de l’intimité du personnage ?

Frédéric Tellier – Complètement. La première chose, c’est le choc d’avoir découvert qu’il a vécu 40 ans avec cette femme. Un amour platonique, fusionnel, une énorme admiration l’un pour l’autre. Ça dit beaucoup de l’homme et sur la façon dont il a traversé tous ces combats. Il avait cette âme sœur avec lui, une grande résistante, une femme de l’ombre qui l’a accompagné tout le temps. Ils étaient totalement complémentaires. Je pensais faire un film sur l’abbé Pierre et très vite, je me suis rendu compte que je faisais un film sur le binôme Abbé Pierre/Lucie Coutaz. Cette histoire m’a énormément ému. Ils sont tous les deux cofondateurs dans les statuts légaux du mouvement Emmaüs. Ils sont enterrés côte à côte dans la même tombe. Il y avait une histoire hors norme entre eux. C’était donc impossible de la passer sous silence. Au contraire, l'envie était de réhabiliter Lucie Coutaz et de la mettre en lumière.

INA – Dans votre film, vous utilisez plusieurs images d’archives, mais une seule de l’abbé Pierre. Pourquoi ce choix ?

Frédéric Tellier - J'ai toujours utilisé des images d'archives dans mes films. Au-delà de la beauté des images, les archives ont cette force de montrer ce qui s’est vraiment passé. Cela peut donner de la force à un récit. Pour ce qui est de l’image d’archive de l’abbé Pierre, plus je travaillais sur le montage, plus on me disait : « il y a des archives de l’abbé à la fin ». Or, c’était notre acteur ! Je pense qu’à un moment, on oublie l’acteur et on rentre dans le récit de la vie de l’abbé Pierre. Je me suis dit que j’allais quand même glisser une archive, comme un petit clin d’œil pour le spectateur.

INA – Votre filmographie est aussi marquée par une succession de combats : le combat pour la justice (SK1), pour la vie (Sauver ou périr), pour l’écologie (Goliath). Quel sera votre prochain combat ?

Frédéric Tellier - Mon prochain combat personnel, sera de trouver plus de temps pour mes enfants ! Beaucoup de choses me révoltent et en même temps, j'ai l'impression d'explorer toujours la même colère à travers mes films. C'est-à-dire la perte du bon sens, la langue de bois, les intérêts qui asphyxient la pensée, le conditionnement politique et économique qui nous fait oublier qui on est et qui on doit être. Je suis toujours très intrigué par la délicatesse d'une vie humaine, par sa fragilité et par la façon dont on peut la négliger, la nier, la dénigrer au fil du temps. Je crois que c’est le centre de mes colères. Jean-Jacques Rousseau a écrit : « Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir ». Je crois que c'est ce qu'a fait l'abbé. Et ce n'est pas religieux, c'est du bon sens. Je crois que je suis attiré par les victimes de la vie en général, ceux qui luttent sans jamais gagner. Le combat de l'abbé, c'est la quintessence même du combat que l’on ne peut pas gagner, mais que l’on peut perdre si on ne le mène pas. C'est l’une des grandes beautés de la vie.

« L’abbé Pierre - une vie de combats »
Un fim de Frédéric Tellier
Avec Benjamin Lavernhe de la Comédie-Française et Emmanuelle Bercot.
En salles le 8 novembre 2023

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