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Les bassines, ces réserves d'eau critiquées depuis le début des années 2000

Les bassines, ces réserves d'eau critiquées depuis le début des années 2000

Des milliers de personnes ont manifesté samedi 25 mars à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres pour s'opposer à l'édification d'une méga-bassine destinée à stocker l'eau pour alimenter les cultures en période de sécheresse. Une pratique ancienne, mais qui a pris de l'ampleur au début des années 2000, dans un contexte de manque d'eau chronique.

Par Florence Dartois - Publié le 27.03.2023
 

L'ACTU.

Samedi 25 mars, une manifestation organisée à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres pour stopper la construction d'une bassine a dégénéré en violents affrontements. Selon le collectif « Bassines non merci ! », les 30 000 manifestants (6000 selon la préfecture) se sont retrouvés face à 3000 gendarmes et policiers chargés d'empêcher l'accès au site.

Cette réserve d'eau est l'une des 16 bassines programmées par une coopérative de 450 agriculteurs avec le soutien de l'État. Ces réserves cumulant près de six millions de mètres cubes d'eau, pompées dans les nappes phréatiques, sont prévues pour irriguer les terres agricoles en période de sécheresse.

LES ARCHIVES.

Ces retenues d'eau artificielles alimentent les critiques depuis le début des années 2000 dans la région Poitou-Charentes, et notamment dans les Deux-Sèvres et en Vendée, où de nombreux projets sont à l'étude ou en cours de réalisation. L'archive en tête d'article date de 2003, une année de sécheresse exceptionnelle. À l’époque, on parlait plus volontiers de « réserves de substitution », et bien que deux modes agricoles s’opposaient, les protagonistes prônaient encore le dialogue et la réflexion. Cette année-là, les opposants pointaient l'incohérence de la monoculture intensive, grande consommatrice d'eau.

Bruno Sylvestre, président des irrigants, expliquait que le stockage « de l’eau l’hiver, pour s’en servir l’été, était une chose qui avait toujours existé ». Il concédait néanmoins qu'il s'agissait ici d'un projet de grande ampleur, mais se montrait confiant quant à l'avenir : « je crois que l’homme est suffisamment intelligent pour gérer au mieux ses ressources en eau et c’est un moyen intéressant de le faire ».

Si l’idée paraissait bonne sur le papier, ces bassins généraient déjà de la méfiance du côté de la confédération paysanne qui critiquait la monoculture. Pascal Rousteau, son porte-parole, expliquait que ces bassines ne profiteraient qu'à « 80% des cas à la monoculture du maïs », un modèle qui allait aussi « amplifier les problèmes de pollution dans les nappes souterraines ». Des propos démentis par un agriculteur qui expliquait que le maïs n’était pas plus polluant qu’une autre culture quand elle était irriguée.

Une spoliation de l'eau ?

Deux ans plus tard, en 2005, le discours des opposants commençait à se durcir à l'égard des irrigants, accusés de monopoliser la ressource en eau, comme le montre l'archive ci-dessous. En plein hiver, le spectre de la sécheresse menaçait. Dans la région, les champs de maïs étaient foison, « des cultures nécessitant 3 à 4 fois plus d’eau que n’importe quelle autre culture », précisait le commentaire.

Les opposants aux bassines dénonçaient le manque de civisme des irrigants, pointant le remplissage des « réserves de substitution » par pompage dans les nappes phréatiques ou les rivières. Face caméra, des défenseurs de l’environnement, photos à l’appui, expliquaient que « 80 % de ces bassines étaient déjà pleines » alors que la sécheresse menaçait la région. Jean-Paul Louis, de l'association de protection de patrimoine, précisait : « on pompe quand il y a excédent. L’idée de départ, c’est de retenir l’eau qui court, l’eau en trop. C’était une bonne idée. Mais on ne peut pas dire que cet hiver il y a de l’eau en trop, il n’y a d’eau nulle part ».

Ce qui leur paraissait illégal était parfaitement justifié pour les exploitants de céréales, à l'instar du vice-président des irrigants de Charente qui déclarait, faisant fi de la sécheresse hivernale, « tout ce qui est rempli cet hiver ne sera pas prélevé cet été… ce qui permettra de moins souffrir de la sécheresse ». Faute de pluie, d’autres agriculteurs, privés de bassines, ressentaient une injustice. Jean-Luc Manguy, un agriculteur de la Confédération paysanne, dénonçait les abus de délivrance des permis de pompage « beaucoup trop par rapport à la ressource en eau » et alertait sur l'absence de vision à long terme : « Aujourd’hui, il faut vraiment raisonner par rapport à la ressource de l’eau présente et la répartir ».

Un modèle agricole obsolète

En 2017, on envisageait d’implanter 19 bassines. Ces retenues d’eau devaient stocker 8 millions de m3 d’eau sur un territoire englobant une partie de la Vendée, la Vienne, les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime. Les associations de défense de l’environnement appelaient les citoyens à faire connaître leur mécontentement. Dans l’archive ci-dessous, il était plus précisément question de la réserve d’Amuré, dans le marais poitevin, la plus importante de la région, soit 900 000 mètres cubes d’eau, « l’équivalent de 3 piscines olympiques ».

Ce projet alimentait la colère de ceux qui souhaitaient changer de modèle agricole. Un nouvel argument émergeait dans le discours des opposants, celui du financement public de ces travaux titanesques mobilisant « beaucoup d’argent public », comme le déplorait Benoît Biteau, membre du bureau de l’agence de l’eau Adour-Garonne. Il pointait « l’argent de nos impôts pour continuer à alimenter des logiques de modèles agricoles dont on connaît les dégâts sur les équilibres, les ressources et la biodiversité ». Le collectif pour le respect de l'environnement sur le territoire déplorait que l’on ne prenne pas en compte « le réchauffement climatique et la raréfaction de l’eau ».

Du côté de la coopérative de l’eau locale, on se voulait optimiste. L'heure était aux propos rassurants, un hydrologue déclarant que des indicateurs des niveaux de nappes et de rivières avaient été mis en place pour « interdire certains prélèvements, en été comme en hiver » en cas de sécheresse. Le sujet montrait également un certain fatalisme du côté des exploitants, à l'image de cet éleveur qui expliquait qu'il n'avait pas le choix, s'il voulait nourrir son bétail.

De l'argent public qui coule à flot

Toutefois, depuis 2018, dans les régions concernées, les manifestations se multiplient contre l’accaparement de l’eau, « un bien public », par une minorité d’agriculteurs (10%), et « avec notre argent ». Dans le sujet ci-dessous, on découvre que le coût de certains projets est reporté sur la facture d’eau des riverains. Comme à Migné-Auxences dans la Vienne (86).

Le pillage des nappes phréatiques ?

En août 2019, le collectif « Bassines non merci ! » se rendait sur un site en construction en Vendée. Il alertait sur la problématique du remplissage de ces bassines : « En Poitou-Charentes, il y a 200 retenues de substitution qui sont dans les cartons et pas une, pas une seule n’est remplie avec de l’eau de pluie ou des excédents de débits de cours d’eau, de crues. Elles sont toutes remplies par des forages ». Et à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres), une ZAD (Zone À Défendre) s'était constitué. Pour les militants présents, comme pour le député européen Benoît Biteau, c'est toute la question de la pratique agricole qui devait être posée.

Des risques de bactéries nocives dans les bassines de Sainte-Soline ?

Octobre 2019. À Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, une bassine de 13 hectares est en construction. Elle doit être construite sur une ancienne voie romaine et proche d'un site archéologique. La direction régionale des Affaires culturelles n’a fait aucune étude préventive, aucune fouille archéologique. Grimés et badigeonnés d’argile verte, les opposants manifestent dans le calme devant la mairie, pour dénoncer cette précipitation, et prôner symboliquement un retour aux origines.

À quelques kilomètres de là, des membres du collectif « Bassines non merci ! », vêtus de blouses blanches et de masques pénètrent dans l'enclos d'une bassine existante, dans le but prélever et de faire analyser l'eau. Ils craignent un risque sanitaire et le développement de bactéries comme la légionelle dans l’eau réchauffée par le soleil.

Une multiplication des projets

« On ne veut pas que le Poitou devienne le Sahel ! » En juillet 2019, nouvelle action des anti-bassines qui se sont rassemblés à Poitiers à l'appel de Greenpeace, Vienne Nature ou encore Europe Écologie Les Verts. Les manifestants dénonçaient notamment l'aide financière apportée par la région qui avait jusqu’alors refusé de financer les projets. Un reportage à regarder ci-dessous.

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