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Comment des archives deviennent des enregistrements exceptionnels de musique classique

Comment des archives deviennent des enregistrements exceptionnels de musique classique

Issu des fonds radiophoniques de l’INA, le double CD « Gabriel Pierné : Saint François d’Assise - Oratorio » a obtenu le Diapason d’or,  le prix décerné par le magazine « Diapason » spécialiste de musique classique. Rencontre avec Yvette Carbou, directrice du label indépendant Solstice, qui édite l’album primé.

Propos recueillis par Benoît Dusanter - Publié le 30.12.2021 - Mis à jour le 07.01.2022
L'ange du tableau "Saint François  et l'ange" de Orazio Gentileschi apparaît sur la pochette de l'album. Crédits: Solstice

Le label indépendant de musique classique Solstice trouve dans le fonds INA des trésors inédits qui donnent lieu à des éditions discographiques fréquemment récompensées. Alors que Solstice fête ses 50 ans d’existence en 2022, Yvette et François Carbou, ses fondateurs, entendent bien continuer cette collaboration musicale fructueuse. Entretien avec Yvette Carbou.

INA - Pourquoi avoir édité ce double album du compositeur et chef d’orchestre Gabriel Pierné ?

Yvette Carbou - Notre ami pianiste Jean-Michel Rignol a découvert par hasard sur Youtube un enregistrement incomplet de ce « Saint François d'Assise » issu de la radio néerlandaise. Il nous a tout de suite appelé pour nous dire : « Ça, c'est pour Solstice ! ». J'ai donc commencé mon enquête auprès des archives de la radio néerlandaise, sans succès car le document était introuvable. Je me suis finalement tourné vers « la malle aux trésors » qu'est l'INA. J’ai interrogé nos fidèles interlocutrices - Christiane Lemire, spécialisée dans les ventes audio et la documentaliste Brigitte Decroix - qui m’ont répondu presque aussitôt : « Oui, il y a un enregistrement de cette œuvre datant de 1953 et conservée sur acétate dans de bonnes conditions ».

INA - Pourtant, l'archive est incomplète…

Y. C. - En effet, l'archive INA est malheureusement dépourvue de la première section de la seconde partie intitulée « Les stigmates : dialogue entre François et la voix du Christ ». Il y également quelques courtes coupes dans la fin de cette seconde partie. Nous les avons donc indiquées en grisé dans le livret.

Cela s’explique probablement parce que cet oratorio (un drame lyrique sur un sujet religieux, NDLR) est une œuvre assez longue. Elle durerait pratiquement deux heures si elle était complète. Elle requiert donc de gros effectifs : un orchestre important, un chœur, un chœur d’enfants, sans oublier les sept chanteurs dont les 3 rôles principaux conséquents de François, la Pauvreté, le Lépreux. C’est pour cela qu’il y a eu si peu d’exécutions de cette grande œuvre. Par ailleurs, Pierné lui-même a indiqué que l’on pouvait faire des coupes dans cette partition. C’est le cas de la présente archive INA ainsi que de l’archive de la radio néerlandaise.

INA - Comment travaillez-vous avec l’INA ?

Y. C. - Voilà déjà 30 ans que nous collaborons. J’en suis moi-même étonnée et ravie. Ce travail a produit 15 références et presque toutes ces réalisations ont été saluées et récompensées par la critique. J’ai toujours loué l’INA et ses trésors. C’est une institution formidable et unique en son genre. C'est une source inépuisable de documents - et pas seulement musicaux - mais c’est aussi la mémoire de notre patrimoine culturel. D’autre part, il s’avère que cette énorme « machine » fonctionne grâce à de nombreux experts qui lui apportent leur savoir-faire et leur dévouement.

INA - Comment a commencé votre collaboration avec l’INA ?

J’ai commencé ma carrière comme script à la télévision pendant 26 ans. J’ai connu les grandes années de l’ORTF avec toutes ses personnalités : metteurs en scène, créateurs d’émissions etc. L’INA n’existait pas encore avant 1974, mais il y avait un centre d’archives à la Maison de la radio. Je connaissais donc les gens de l’INA qui n’étaient pas encore l’INA. La structure était là. Nous avons tourné à plusieurs reprises dans le grand studio du 104 avec Jean-Christophe Averty. J’avais mes entrées, c’était ma maison quelque part.

Quand l'organiste Pierre Cochereau et la pianiste Yvonne Lefébure sont morts, en 1984 et 1986, nous avons commencé à piocher dans les archives pour retrouver les enregistrements de l’un et l’autre. Surtout pour elle. Tout ce que nous éditons qui n’est pas INA sont des enregistrements de mon mari qui est ingénieur du son. Cochereau avait d’ailleurs son diplôme d’ingénieur du son de l’ORTF.

INA - Que trouvez-vous à l’INA que vous ne trouvez pas ailleurs ?

Y.C - Aujourd’hui, il y a beaucoup de très bons musiciens avec une technique peut-être supérieure. Mais ce n’est plus la même chose. Autrefois la technique était au service d’une liberté. Il n’y avait pas les questions d’image, tous les micros… Je suis certaine que l’on ne jouera plus jamais comme avant. Même si certains enregistrements sont en mono (monophonique, NDLR), c’est époustouflant. Aujourd’hui, on veut être parfait mais c’est au détriment d’autre chose. On perd une part d’âme en quelque sorte. C’est pour cela que nous recevons des Diapasons d’or : les mélomanes ne s’y trompent pas. L’INA conserve de la magie dans ses archives. Je m’oppose d’ailleurs régulièrement à la restauration des enregistrements pour atteindre quelque chose qui soit le meilleur reflet de ce qui a été fait à l’époque. Pour le Gabriel Pierné, les bandes originales ont uniquement été numérisées en haute-fidélité, mais il n’y a pas eu de restauration.

Documentaliste de musique savante à l’INA, Brigitte Decroix a identifié l’enregistrement de l’orotario de Gabriel Pierné pour Yvette et François Carbou. Elle détaille son travail de recherche.

« En premier lieu, je me renseigne toujours sur les interprètes pour connaitre leur travail. Puis je lance une recherche très large sur nos bases de données radio. C’est un travail fastidieux puisque beaucoup des notices documentaires (les fiches de renseignement des archives, NDLR) sont vides ou peu renseignées. Cela me permet d’ajouter des informations pour enrichir et indexer les bases de INA. La seconde étape, c’est l’écoute. C’est un vrai travail de fourmi. Une formation musicale solide est indispensable pour effectuer ces recherches. J’ai fait 7 ans d’étude d’histoire de la musique et du solfège bien sûr. Parfois, on n'a aucune indication. Je peux savoir, au rythme, si c’est un allegro par exemple. Cela demeure particulièrement utile car les demandes changent aujourd'hui : notre époque réclame de plus en plus d’extraits courts, des mouvements, un adagio… Par conséquent, chaque œuvre est travaillée par mouvement. Cela me permet de faire un tri en prenant également en compte les différentes contraintes juridiques. Il faut aussi regarder ce qui est déjà sorti dans le commerce pour avoir de l’inédit. La difficulté, c’est que la plupart des enregistrements datent du début des années 50. Tout n'est pas numérisé et la qualité des bandes n’est pas toujours au rendez-vous. C'est là qu'interviennent les techniciens son pour épauler les documentalistes. Ce travail d'enquête nous mène parfois loin de l'INA. J’ai été jusqu’à contacter les archives de Besançon et de Belfort pour en savoir plus sur un concert. Certains collègues me surnomment Sherlock Holmes ».

Yvette et François Carbou, éditions SOLSTICE. Crédits : Jean-Baptiste Millot.

Yvette et François Carbou, éditions SOLSTICE. Crédits : Jean-Baptiste Millot.

Yvette et François Carbou, un couple mélomane

Les éditions Solstice, c’est aussi l'histoire d’une rencontre amoureuse. Yvette Carbou a commencé sa carrière comme scripte à la télévision. François Carbou, est alors assistant de Pierre Cochereau, le grand organiste de Notre-Dame. Le coup de foudre aura lieu sur la tribune de l’orgue, lors d’une émission enregistrée avec la harpiste Lily Laskin. C’est le début d’une aventure musicale qui dure depuis 45 ans. Créée en 1972 et éditée à l’origine sous licence RCA Records, leur firme de disques s’est d’abord fait connaître sous le nom FY (les initiales de François et Yvette Carbou, NDLR) avant de devenir Solstice. Implantés dans les vignes de Sigean, au pied des Corbières, les Disques FY et du Solstice comptent quelque 200 titres à leur catalogue dont de nombreux enregistrements de l’INA. « A l’INA, il reste un nombre incalculable de pépites à découvrir. Mon seul regret c’est que, vu mon grand âge (86 ans, NDLR), je ne pourrai pas tout écouter », regrette François Carbou. Au total, 15 collaborations avec l'INA ont été distinguées par 8 Diapasons d’or depuis 1991.

Gabriel Pierné : Saint François d’Assise – Oratorio

Dans le vaste panorama de la musique française au tournant du siècle, il est de ces noms familiers dont on ne saurait soupçonner la véritable importance tant ils se trouvent généralement résumés en quelques phrases laconiques reléguées en notes de bas de page. Souvent réduit à ses seules activités de chef d’orchestre, Gabriel Pierné est de ceux-là. Certes, au pupitre des Concerts Colonne, il s’affirma entre 1910 et 1932 comme l’un des plus ardents défenseurs de la musique traditionnelle et d’avant-garde, assurant la création d’oeuvres aussi fondamentales que L’Oiseau de feu de Stravinsky (1910), Ibéria de Debussy (1910) ou Daphnis et Chloé de Ravel (1911). Mais si ces titres de gloire devaient à eux seuls justifier son entrée dans les livres d’histoire, la remarquable qualité de son oeuvre musicale mérite tout autant qu’on s’y attarde. Cyril Bongers

Les références SOLSTICE / INA

  • 1991 Les Caprices de Marianne SOCD 98/99 de H.Sauguet – INA : Grand Prix du disque
  • 1995 DVD1 COCHEREAU – SOLSTICE/INA : DVD de l’année du Monde de la Musique
  • 2005DVD2 LEFÉBURE– SOLSTICE/INA : Diapason d'or/ Choc du Monde de la Musique
  • 2011 Y. LEFÉBURE SOCD 271/4 - Inédits1-album BEETHOVEN – INA : 5 Diapasons
  • 2012 Hommage à A. MARCHAL SOCD 281/2 – Inédits BACH,VIERNE… - INA : 5 Diapasons
  • 2012 Y. LEFÉBURE SOCD 283/5 –Inédits2- RAMEAU, BACH, HAYDN…- INA : 5 Diapasons
  • 2014 SALAMINE SOCD301–Ttragédie Lyrique - INA : Diapason d'or
  • 2015 F. THINAT SOCD 315/6 – DUKAS/BARRAQUÉ…- SOLSTICE/INA
  • 2016 Y. LEFÉBURE SOCD 321/44– Coffret 24 CDs - Une légende du piano–SOLSTICE/INA : Diapason d'or/Choc Classica
  • 2018 LIPATTI– SOCD358-Le dernier récitalINA: Diapason d'or/Choc
  • 2020 COCHEREAU SOCD 363/4– Raretés & Inédits– SOLSTICE/INA : Diapason d'or
  • 2020 J.M. DARRÉ- SOCD301- album SAINT-SAĖNS - SOLSTICE/INA : 5 Etoiles/Classica
  • 2020 LIPATTI-S. FRANçOIS SOCD387– Dans les Harmoniques d’YL…- SOLSTICE/INA : 5 Diapasons./5 Etoiles Classica
  • 2021 Y. LEFÉBURE SOCD 389/90–Inédits4- BACH, , FAURE, DUKAS,RAVEL…- INA : Diapason d'or/ Choc Classica
  • 2021 PIERNÉ– SOCD392/3-Saint François d’Assise INA : Diapason d’or

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