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L'histoire de Missak Manouchian, l'Arménien symbole des Résistants étrangers en France

L'histoire de Missak Manouchian, l'Arménien symbole des Résistants étrangers en France

Missak et Mélinée Manouchian, deux résistants d’origine arménienne, entrent au Panthéon le 21 février 2024. Voici leur histoire.

Par Florence Dartois - Publié le 18.06.2023 - Mis à jour le 21.02.2024
Interview de Mélinée Manouchian - 1976 - 02:18 - vidéo
 

LE CONTEXTE.

Missak Manouchian a été rendu célèbre par une affiche de propagande nazie, mais qui était-il ? Remontons le temps. Le 15 février 1944, devant une cour militaire allemande installée à l'hôtel Continental à Paris s'ouvrait le procès du « groupe Manouchian », du nom de son leader, un Arménien qui aimait la poésie et la France.

Missak Manouchian
2014 - 02:00 - vidéo

Portrait de Missiak Manouchian diffusé dans « Frères d'armes : ils se sont battus pour la France depuis plus d'un siècle » (2014)

Missak Manouchian adhérant au Parti communiste depuis 1934 dirigeait les résistants arméniens de la MOI (Main-d’œuvre immigrée) depuis 1942. En février 1943, suite à une réorganisation de la Résistance parisienne, son groupe avait intégré les FTP (Francs-tireurs et partisans) prenant le nom de FTP-MOI parisiens, sous la direction de Joseph Epstein. Manouchian montant rapidement dans les échelons, fut promu commissaire technique, en juillet 1943, et le mois suivant, commissaire militaire, en place d'Epstein qui prendrait la tête des FTP de la région parisienne.

Le groupe Manouchian réalisa une trentaine d'opérations à Paris, du mois d’août à la mi-novembre 1943. Mais Manouchian et ses camarades étaient pourchassés par la Brigade spéciale n°2 des Renseignements généraux. Missak Manouchian se sentait épié et le confia à son épouse Mélinée. Il demanda alors à ce que lui et ses hommes soient « mis au vert », mais l'ordre de retrait ne viendra jamais.

Manouchian avait raison : au petit matin du 16 novembre 1943, une équipe de policiers de la Brigade n°2 l'arrête en compagnie de Joseph Epstein, avec lequel il avait rendez-vous. Mélinée, qui était cachée chez des amis, les Aznavourian, (les parents de Charles Aznavour), échappera au coup de filet.

Au total, ce sont 68 résistants de plusieurs groupes parisiens qui sont arrêtés. 45 partiront vers l'Allemagne. Pour les autres, 22 hommes, dont Manouchian et une femme (Olga Bancic), les Allemands décideront d'organiser un grand procès, qui sera largement filmé et diffusé comme outil de propagande.

L'ARCHIVE.

L'archive en tête d'article revient sur la période qui précéda l'arrestation. Elle a été diffusée dans l'émission « Ce jour-là j'en témoigne : Chroniques du temps de l'ombre 1940 1944 », diffusée sur Antenne 2 le 2 septembre 1976.

Dans ce passage, à l'aide d'archives de presse, d'archives d'actualités et du témoignage de Mélinée Manouchian, elle décrit la campagne de propagande orchestrée par les nazis pour discréditer la Résistance des étrangers de France.

Apparaît un article de presse où le mot « terroriste » est écrit en très gros titre, ou encore « étranglons le banditisme », accompagné des photos des « attentats » imputés à la Résistance.

Le document présente le film de propagande diffusé dans le « Journal France Actualités », dans les cinémas le 11 février 1944, annonçant l'arrestation des « terroristes » et montrant leurs exactions et leur portrait. Pour eux, pas de noms, mais ces qualificatifs « Arménien, Juif polonais, Espagnol rouge, Juif polonais, encore un Juif polonais ».

Il s'agissait de convaincre l'opinion publique du caractère « terroriste » de la Résistance, en l’occurrence des membres du groupe Manouchian. Une « armée », uniquement composée de Juifs et d’étrangers à la solde de Moscou, leurs origines étrangères étant systématiquement mentionnées comme facteurs d'identification. Une manière à peine voilée de réveiller l'antisémite et la xénophobie au sein de la population.

L'affiche rouge

Les services allemands vont profiter des arrestations pour mettre des visages sur ces actes de « terrorisme » commis les mois précédents. Parmi les prévenus, le service de la propagande sélectionne 10 hommes dont les visages apparaissent sur une affiche restée célèbre : l'affiche rouge.

C'est sur cette affiche qu'est mentionnée l'expression « l’armée du crime ». La couleur rouge en référence au communisme et à un aspect sanguinaire, quant au «V» de la victoire, il est détourné ici au profit de l'occupant.

Dans notre archive, le commentateur redonne des noms aux visages : en premier lieu Manouchian, puis Joseph Boczov (Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats), Marcel Rajman (Juif polonais, 13 attentats), Celestino Alfonso (Espagnol rouge, 7 attentats), Maurice Fingerweig (Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements), Wolf Wasjbrot (Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements).

L’affiche rouge a ensuite été distribuée sous forme de tracts et placardée (15.000 exemplaires) sur les murs de Paris et dans le métro. Mélinée Manouchian raconte ici qu'elles avaient été affichées près de deux mois après le procès, « des milliers et des milliers de d'affiches ».

L'esprit du groupe

Dans l'archive à découvrir ci-dessous Mélinée Manouchian et Arsène Tchakarian, qui était lieutenant du 2e groupe Manouchian, racontent comment l'esprit de résistance était né, progressivement, jusqu'à se lancer dans des actions retentissantes. La veuve expliquait que sur les prospectus qui annonçaient l'exécution des membres du groupe Manouchian, les nazis avaient attribué un nombre considérable de faits à son époux. Voilà ce qu'on pouvait lire : « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés ».

Mélinée Manouchian décrivait son compagnon comme un « homme très calme qui parlait très peu et n'était pas brutal, même en donnant des ordres ». Un homme aimé et respecté.

Certains articles de propagande attribuaient de nombreuses armes au groupe, une affirmation fausse qui amusait beaucoup Arsène Tchakarian. Il racontait qu'ils se battaient sans armes ou presque, c'est armé bien souvent d'un seul « couteau de cuisine » qu'on leur demandait d'attaquer des officiers allemands pour se saisir de leurs armes. Arsène Tchakarian racontait l'exemple de l'attaque d'une camionnette emplie d'Allemands près de l'église d'Auteuil, avec une seule grenade et un revolver.

L'affiche rouge
1976 - 04:51 - vidéo

Arsène Tchakarian évoque ci-dessous l'attentat contre le général Julius Ritter, le 28 septembre 1943, un proche de Hitler et adjoint pour la France de Fritz Sauckel, responsable de la mobilisation de la main-d’œuvre (STO) dans l’Europe occupée par les nazis.

Hitler décrétera d'ailleurs un jour de deuil national après cette mort. Ce succès a contribué à redonner confiance aux résistants, changeant le rapport de force, comme Tchakarian le racontait ensuite : « il ne faut pas croire que les résistants sont des héros. Ce sont des fils du peuple, de simples travailleurs ». La démoralisation de l’armée allemande était une victoire, mais ils avaient « peur et tremblaient », confiait-il.

Arrestation et procès fantoche

La demande de « mise au vert » provisoire faite par Missak Manouchian pour son groupe n'a pas été prise en compte et 22 de ses hommes et lui sont donc été arrêtés le 16 novembre 1943. Dans l'archive ci-dessous, toujours extraite de l'émission de 1976, sa veuve et Arsène Tchakarian racontent cette arrestation de leur point de vue.

Le 21 février 1944, à l'issue du procès fantoche, le verdict, sans surprise, tombe : la mort pour tous. La sentence est exécutée dans la foulée. Les 22 hommes du groupe sont fusillés dans la clairière de la forteresse du Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine). Olga Bancic, elle, sera envoyée en Allemagne où elle sera décapitée à la prison de Stuttgart, le 10 mai 1944.

Arrestations de résistants
1976 - 01:12 - vidéo

Qui a trahi Manouchian ?

La chute du groupe Manouchian a suscité plusieurs polémiques. En effet, avant d’être fusillé, Manouchian, dans sa dernière lettre, avait écrit à sa femme qu'il pardonnait à tous, « sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus ».

Il faudra attendre 1985 pour que l'affaire soit enfin révélée dans un documentaire explosif, Des terroristes à la retraite, de Mosco Boucault​​​​. Dans son film, le réalisateur démontrait le rôle primordial des immigrés dans la Résistance. Interrogée dans ce film, Mélinée Manouchian accusait la direction du Parti communiste français d’avoir lâché le groupe Manouchian pour des raisons tactiques. Dans la conférence de presse, elle accusait Davidovitch, le commissaire politique du groupe Main d'Oeuvre Immigré Résistant et Olivier Olbal, le supérieur hiérarchique de son mari, d'avoir trahi le groupe.

Le 14 juin 1985, suite à la polémique, la chaîne décidait de ne pas diffuser le documentaire.

Conférence Manouchian
1985 - 02:13 - vidéo

Antenne 2 Midi du 14 juin 1985. Les accusations de Mélinée Manouchian.

Finalement, la chaîne allait changer d'avis et diffuser le film dans « Les dossiers de l'écran » le 2 juillet 1985, une diffusion suivie d'un débat dont nous vous proposons un extrait ci-dessous. Nous retrouvons Arsène Tchakarian parler de l'esprit de fraternité de la Résistance.

Y avait-il un traître ? D'après Adam Rayski, (in L’Histoire n°81, 1985), qui fut responsable national de la section juive du PCF de 1941 à 1949, il s’agissait de Joseph Dawidowicz, commissaire politique des FTP-MOI depuis juin 1943. Arrêté en octobre 1943, il aurait craqué et serait passé aux aveux.

Quant à une responsabilité du PCF ? Le même Adam Rayski parlait plutôt une volonté de montrer sa suprématie vis-à-vis de Londres et du Conseil national de la Résistance. Dans son ouvrage Nos illusions perdues (Balland, 1985), il évoquait plutôt une erreur de stratégie : « La part de responsabilité du PC dans les arrestations de résistants - dont les 23 de l’Affiche rouge - est indiscutable. Mais ne parlons pas à propos du Parti de trahison ; ne parlons pas non plus d’abandon et encore moins de sacrifice prémédité. »

Missak Manouchian est inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) avec la plupart de ses camarades. Mélinée Manouchian, elle, a été nommée chevalier de la Légion d’honneur le 31 décembre 1986 par François Mitterrand. Elle est morte le 6 décembre 1989 à l’âge de 76 ans. Avant son entrée au Panthéon, son corps reposait avec Missak au cimetière parisien d’Ivry.

Enfin, Arsène Tchakarian, l’ultime survivant du groupe Manouchian, est décédé le 4 août 2018 à 101 ans.

Une chanson célèbre

L'affaire Manouchian a inspiré Louis Aragon qui s'est servi de la dernière lettre écrite par Missak Manouchian à sa femme, le 21 février 1944, depuis la prison de Fresnes, deux heures avant d’être fusillé au Mont-Valérien.

Son poème sera publié dans L’Humanité et dans le Roman inachevé, mais sa célébrité va lui venir de Léo Ferré qui la met en musique en 1961 sous le titre l’Affiche rouge. Monique Morelli l'interprète ci-dessous en septembre 1961 dans l'émission de variétés « Discorama ».

Monique Morelli "L'affiche rouge"
1961 - 04:35 - vidéo

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