Aller au contenu principal
Les films que «Le masque et la plume» a aimés, ou pas

Les films que «Le masque et la plume» a aimés, ou pas

«Le masque et la plume» est l'une des plus anciennes émissions culturelles de France Inter. Consacrée à la littérature, au théâtre et au cinéma, elle a été imaginée en 1955 par le poète Jean Tardieu. Conçue comme un spectacle, l'émission de critique doit son succès à son ton libre et impertinent si inimitable. Notamment les tribunes consacrées au cinéma qui regorgent de pépites aussi truculentes que (parfois) révoltantes. Mais ne nous mentons pas, les réécouter procurent toujours le même sentiment de plaisir... interdit.

Par Florence Dartois - Publié le 20.12.2023 - Mis à jour le 31.12.2023
 

L’ÉMISSION.

« Le masque et la plume » va changer de présentateur en 2024 et célébrer son anniversaire en 2025. Le 31 décembre, à 9 heures (et à 20h), France Inter diffuse le dernier «Masque» présenté par Jérôme Garcin. Après 35 ans aux manettes de la plus vieille émission de la radio, il passe le flambeau à Rebecca Manzoni. Elle devient la première femme à la présenter. La doyenne des missions radio est arrivée sur l'antenne en octobre 1955. On s'en souvient peu, mais au moment de sa conception, Jean Tardieu, directeur de la RTF et du Club d'essai, l'avait imaginée pour deux arts précis : le théâtre et la littérature. Deux thématiques qui inspirèrent son titre et présidèrent au choix des deux premiers présentateurs : François-Régis Bastide et Michel Polac, deux journalistes qui présentaient déjà chacun de leur côté des émissions sur le théâtre et l'écriture. Le 7e art n'est arrivé sur les ondes que deux ans après le début de la diffusion du «Masque», en 1957.

LES ARCHIVES.

Le grand écran paraissait-il moins essentiel à son poète de créateur ? Quoi qu'il en soit, les auditeurs de France 1-Paris Inter allaient découvrir les premières critiques de cinéma le 24 octobre 1957. Pour cette première, les quatre intervenants étaient : Georges Charensol, Claude Mauriac, Edgar Morin et Jacques Doniol-Valcroze. Un extrait est disponible ci-dessous.

Le succès du programme réside en grande partie sur la liberté de paroles de critiques invités pour parler des films récemment sortis en salle. Une émission où chacun exprimait ses opinions, sans penser aux conséquences, avec en toile de fond, la volonté de provoquer quelques grincements et polémiques au passage. Dans cette sélection très suggestive, nous avons choisi une dizaine de critiques marquantes et décapantes. Elles donnent un bon aperçu des propos enlevés et pas toujours contrôlés qui s'échangeaient autour de la table.

Pour entamer ce florilège, commençons avec une archive télé... En avril 1968, le magazine « Caméra 3 » avait filmé l'émission consacrée au cinéma. L'occasion de découvrir les visages de ceux dont les auditeurs écoutaient les voix chaque dimanche. L'émission du jour était présentée par Michel Polac, autour de lui : Michel Mohrt, Georges Charensol, particulièrement virulent, comme souvent, et Pierre Marcabru.

Dans l'extrait à découvrir en tête d'article, c'est le film Les biches de Claude Chabrol qui est sur la sellette. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le trio n'avait pas été tendre ni avec le cinéaste ni avec son actrice principale, Stéphane Audran, qui était également sa compagne.

Théorème de Pasolini

L'archive suivante date de février 1969, c'est l'une des critiques les plus connues de l'émission, celle du film de Pier Paolo Pasolini, Théorème. Tout commence dans la bonne humeur, avec un bref résumé par Pierre Marcabru du film qui raconte comment un jeune homme modifie le comportement de toute une famille « partant de là, la fille va faire une sorte ce coma hystérique, le fils va devenir un peintre abstrait, la mère va devenir une nymphomane, la bonne une sainte et le père un ascète... voilà le film, c'est tout ! Le tout dans une volonté de provocation permanente... qui ne relève pas du canular ». De cette description va s'ensuivre une joute verbale entre Jean-Louis Bory et Georges Charensol, autour de la « gauloiserie » et de la « provocation sexuelle ». Chacun n'ayant pas vu le même film...

La guerre des étoiles

« Il faut se refaire une âme d’enfant... » Le 23 octobre 1977, les critiques se penchent sur un film de science-fiction de Georges Lucas, le premier volet de Star Wars qui n'est pas encore devenu le succès que l'on connait. Une fois de plus, les intervenants ne seront pas d'accord. Seul Jean-Louis Bory aura été charmé par « cette machine extrêmement bien faite ». Il soulignera que l'on retrouve tous les codes de la chevalerie, transposés dans la science-fiction.

À ne pas rater dans cette séquence, son échange avec Charensol sur les sabres lasers, ainsi que le débat sur le monde terriblement fasciste décrit par Lucas. Michel Perez décrivant un film est construit « comme un film de guerre de la Seconde Guerre comme une lutte contre le totalitarisme en faveur de la démocratie ». C'est peut-être le public qui aura le dernier mot à la fin de l'extrait. Nous vous conseillons également la critique de L'Empire contre-attaque, de 1980, et celle du Retour du Jedi, en 1983, avec une description hilarante des fameux robots par Odile Grand.

Michel Perez : « Ces films-là sont un peu dangereux pas d’un point de vue moral, mais d’un point de vue politique. Le film devient de plus en plus un objet de consommation. Et d’abrutissement total. Aucune réflexion n’est possible à partir de ce film. Mais ce sont des films extrêmement agréables à voir. »

Le mépris de Jean-Luc Godard

« C'est la femme-femme, l'anti Simone de Beauvoir ». En 1963, les critiques du « Masque et la plume » se lancent dans l'analyse du dernier film de Jean-Luc Godard, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli, adapté d'un roman de Moravia. Le point d'orgue est une longue description de la séquence des fesses de Bardot par Bory et Charensol, une digression sur « la femme sauvage », le corps de Bardot entièrement nu « lorsque la chair devient le marbre » et des propos ouvertement misogynes, sur un ton burlesque, qui fait beaucoup rire le public. À la fin de la séquence, la parole sera donnée au public présent dans la salle.

Le Corniaud

Si Le mépris a charmé les critiques du « Masque », en avril 1965, Le Corniaud de Gérard Oury, le même mois, va subir les foudres de l'équipe. Michel Cournot utilisera même plusieurs expressions comme « ça ne vaut rien ! », « il n'y a pas de film », « nullité » pour décrire le film. Les intervenants ne semblent pas connaître le cinéaste ni sa filmographie, à commencer par Michel Polac complètement désintéressé par le sujet. Quant à Georges Charensol, il ne va pas mâcher ses mots pour détruire la comédie, aujourd'hui devenue culte.

Michel Cournot : « Ce film ne vaut rien... un très petit acteur, de Funès, qui ne fait que des pitreries, un grand acteur, Bourvil, qui ne fait rien... »

Georges Charensol : « Le vomi du cinéma français se complaisant dans sa bassesse avec une satisfaction jubilarde ».

Belle de jour

Le 4 juin 1967, Pierre Marcabru, Michel Aubriant, Patrick Rambaud, Geneviève Soula, Michel Mardore, et Georges Charensol critiquent le film Belle de jour de Luis Buñuel d'après un roman de Kessel. Les critiques sont partagés et débattent sur l'aspect onirique du film défendu par Aubriant. Charensol oppose ce film à Blow up d'Antonioni sorti au même moment et qu'il n'avait pas aimé. Une spectatrice donne son avis sur le film.

Michel Mardore : « Tout le film est un rêve, il ne s'est rien passé... c'est un fantasme »

Georges Charensol : « Il arrive à faire entrer ces propres fantômes et ça me passionne... je retrouve le grand Buñuel »

 

Le Bon, la Brute et le Truand

« C’est un salopard qui fait n’importe quoi pour gagner du fric (...) Y’a qu’à voir sa tête en photo » ! Le ton est donné. Cette archive montre à quel point l'émission fonctionnait comme un spectacle volontairement exagéré, sur un mode humoristique. Mais cet instant de radio reste tout de même une critique assassine, méprisante, parfois même insultante vis-à-vis du cinéaste. Ce jour-là, le réalisateur italien a dû entendre ses oreilles siffler.

Le 17 mars 1968, le film de Sergio Leone allait subir les foudres des critiques du « Masque », à commencer par Georges Charensol, très en verve. Jean-Louis Bory sera le seul à tenter de défendre ce western spaghetti. Aubriant regrettera qu’il n’y ait pas de personnage féminin à part « les juments ». C'est un festival de blagues potaches et sexistes que les auditeurs entendirent ce soir-là.

Le Bon, la Brute et le Truand
1968 - 10:44 - audio

Michel Aubriant, pourtant amateur de western classique : « Il y a uniquement des salopards (…) Il y a au moins 1 millier de cadavres, à chaque fois qu’un type sort un flingue il y a 120 morts (…) immense mépris de ses personnages et de l’homme (...) Impression de gêne profonde, d’immense désarroi »

Georges Charensol : « Maintenant malheureusement, il se prend au sérieux… »,  « j’ai été nourri à la mamelle de John Ford (…) et voir ce genre tomber entre les mains d’abominables salopards qui ne méritent qu’un pied au cul… »

Le Père Noël est une ordure

C'est un peu le même sort qu'allait subir un film devenu culte, diffusé chaque année, à Noël, à la télévision et dont des millions de spectateurs connaissent les tirades par cœur. Le Père Noël est une ordure est adapté de la pièce de théâtre éponyme, créée en 1979 par la troupe du Splendid. Le 22 octobre 1983, le film de Jean-Marie Poiré passait sur le grill. Autour de Pierre Bouteiller les critiques Michel Mardore (Nouvel Obs), François Forestier (L’Express), Michel Ciment (Positif) et Georges Charensol (Les nouvelles littéraires) allaient s'en donner à cœur joie.

Toujours dans son rôle de râleur, Georges Charensol était le plus virulent, parlant de « film mauvais », de « resucée d’une pièce de théâtre », de « vulgarité », s'étonnant même des rires entendus dans la salle populaire où il avait vu le film : « Il y avait en effet des gens qui s’esclaffaient. »

François Forestier, tout en dévoilant toute l'intrigue, relevait le second degré qui avait échappé à son confrère : « C'est de l’humour bête et méchant, ce n'est pas du grand cinéma (…) mais ils ont trouvé un rythme (…) on peut s’y amuser, j’ai ri ». Quant à Michel Ciment, c'est peut-être lui qui livrait l'analyse la plus fine en parlant de fantaisie et d'humour noir et en soulignant l'émergence d'un renouvellement du cinéma français grâce au café théâtre.

Le Père Noël est une ordure
1982 - 05:57 - audio

Georges Charensol : « Ils sont au bout du rouleau. Ils n’on plus rien à dire et adaptent des succès au cinéma ».

S'orienter dans la galaxie INA

Vous êtes particulier, professionnel des médias, enseignant, journaliste... ? Découvrez les sites de l'INA conçus pour vous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, inscrivez-vous à nos newsletters.

Suivre l'INA éclaire actu

Chaque jour, la rédaction vous propose une sélection de vidéos et des articles éditorialisés en résonance avec l'actualité sous toutes ses formes.