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La sélection par les maths à l’école : un élitisme souvent critiqué

La sélection par les maths à l’école : un élitisme souvent critiqué

Sur BFM TV, Valérie Pécresse, la candidate de la droite à la présidentielle, a critiqué la réforme Blanquer et la dissolution de la filière S, celle des « bons élèves ». Outil de sélection, la prédominance des maths a pourtant été régulièrement dénoncée par le passé.

Par Florence Dartois - Publié le 20.01.2022
Les maths à l'école - 1985 - 03:46 - vidéo
 

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme Blanquer en 2021, les filières L, ES et S ont été dissoutes. Désormais les élèves doivent choisir parmi un panel de disciplines. Ce nouveau système mis en place par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a été critiqué par Valérie Pécresse le 18 janvier sur BFMTV. Cette réforme aurait signé, selon elle, la mise à mort des mathématiques et aurait conduit à « un effet pervers » qu’elle décrivait ainsi : « C’est qu’on a enlevé beaucoup de mathématiques. On a enlevé beaucoup de matières scientifiques dans les lycées parce qu’on a fermé la filière S, qui était la filière des bons élèves. »

La candidate a fait référence à cette idée bien ancrée de suprématie des mathématiques. Cette idée est ancienne et a souvent été combattue et critiquée. Notamment par un autre ministre de l’Education, Jean-Pierre Chevènement.

L’archive en tête d’article date du 14 octobre 1985, elle présente la réforme défendue par le ministre de l’époque. Il avait tenté de réduire la prépondérance des mathématiques dans les filières scientifiques en cassant en trois la section d’excellence "C". Il créait ainsi deux nouvelles sections, la première associant la biologie, la physique et la chimie, destinée aux carrières médicales ("D"), la seconde associant l’économie et le commerce ("B") , préparant aux grandes écoles.

Une uniformisation préjudiciable

L'objectif était que les élèves ne soient plus obligés d'intégrer la section "C" quels que soient leurs projets d’avenir et leur niveau en maths. Le ministre était soutenu par de nombreux professeurs scientifiques. Ainsi, Françoise Cellier, agrégée de mathématiques qui reconnaissait ici que « beaucoup d'élèves en "C" ne sont pas à leur place », souhaitait qu’on puisse les orienter en fonction de leurs réelles aptitudes.

Point de salut en dehors de la section "C", véritable sésame pour entrer dans de grandes écoles. Le commentaire allait dans ce sens : « C’est la voie royale : futurs avocats, médecins, hauts fonctionnaires, ingénieurs ou chefs d’entreprise, ils le savent tous, les portes s’ouvrent plus largement avec un bac "C". »

Même constat mitigé à l'Ecole Supérieure de Commerce (ESC). Cette année-là, sur 239 élèves entrant, 220 sortaient de cette filière. Et Claude Dussaugy, le directeur des études à l'ESC en prenait acte : « C’est dans la section "C" que se trouvent les meilleurs résultats dans le secondaire et comme les grandes écoles cherchent les meilleurs éléments. Ils viennent de la section "C" ». Mais meilleurs élèves ne voulait pas forcément dire meilleur profil, il fallait l'accepter : « La culture mathématique est importante, mais je pense que ce qu’on leur fait apprendre en mathématiques, ils pourraient l’apprendre avec d’autres disciplines qui seraient tout aussi utiles dans les écoles comme les nôtres. Cette section "C" ne représentait à ses yeux qu’un simple « outil de sélection ».

Plus étonnant, certains mathématiciens critiquaient eux-mêmes cet impérialisme des mathématiques, à l’instar d'André Lichnerowicz du Collège de France. Ce dernier jugeait « malsain de regrouper dans les mêmes classes des gens à vocation profondément différentes », ajoutant qu’il n’était pas obligatoire « de faire faire des mathématiques à tous les esprits, ce qui est une absurdité. »

« Je ne crois pas que la médecine se résolve avec des équations »

Ce lissage des compétences avait déjà été dénoncé bien des années avant par un chirurgien. Dans le magazine « Le monde en quarante minutes », diffusé en 1965 sur la première chaîne de l’ORTF, Jacques-Pierre Piron dénonçait l'uniformisation des profils de médecins induite par les mathématiques. Cancérologue et chef de service à l’Institut Curie, il avait un profil rarissime. Il était arrivé à la médecine sans passer par la case « filière scientifique », une exception. Sa vocation, il l’avait découverte lors de ses études de philosophie. Une fierté pour celui qui n’était pas d’accord avec cette obligation de passer par les mathématiques pour « faire des médecins, des personnes qui ont à faire avec l’humanité ». Un témoignage fort à découvrir ci-dessous.

Jacques-Pierre Piron : « Je ne crois pas que la médecine se résolve avec des équations », et déplorait que de bons éléments « qui auraient fait de bons médecins » soient éliminés « parce qu’ils ne faisaient pas d’assez bonnes mathématiques dont ils ne se seraient jamais servi le restant de leur vie. »

Pour aller plus loin :

Dans l’émission « L’Heure de vérité ». Gilles de Gennes, prix Nobel de physiques et directeur de l'Ecole Supérieure de Physique et de Chimie industrielles de Paris rêvait alors lui aussi de « modifier l'esprit de l'enseignement » et dénonçait la sélection par les mathématiques comme « très grave ». (1992)

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