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«Le cercle des poètes disparus» : le film phénomène d'une génération

«Le cercle des poètes disparus» : le film phénomène d'une génération

Le film couronné par un Oscar en 1990, dans lequel Robin Williams jouait un professeur de littérature inspirant, est de retour au théâtre Antoine à Paris, avec Stéphane Freiss dans le rôle principal. Le film de Peter Weir est devenu culte dès sa sortie, enthousiasmant les élèves comme presque tous les professeurs. De quoi susciter des vocations de poètes, envisager la vie autrement et réfléchir sur le rôle de l'enseignant.

Par Florence Dartois - Publié le 18.03.2024
 

LE FILM.

« Ô capitaine, mon capitaine ! », « Carpe diem ». Fin février 1990, tous les lycéens de France connaissaient ces deux tirades et les répétaient en boucle. Elles marquaient les deux temps forts du film Le cercle des poètes disparus de Peter Weir, sorti en France en janvier. Le film fut un succès immédiat auprès du public, jeune et enthousiaste, et de la critique. Il fera 6, 5 millions d'entrées. Un succès, couronné par un Oscar en 1990, avec Robin Williams, époustouflant dans le rôle d’un professeur de littérature passionné.

L'histoire, inspirée du scénariste Tom Schulman, se déroule dans les années 50 dans la prestigieuse et très rigoureuse académie américaine de Welton, où discipline et respect de la tradition sont les mots d'ordre. C'est dans ce temple du savoir bien-pensant que surgit John Keating, un professeur de littérature anglaise passionné de poésie. Pour lui, l'art des vers est émancipateur. Il est persuadé que la poésie libère et forge des esprits libres. Fort de cette conviction, il va tenter d'allumer la flamme créatrice chez ses élèves, des jeunes gens corsetés par des familles trop rigides et une société moralisatrice. Pour eux, il crée un cercle de poésie. La nuit, dans le secret d'une grotte, il leur fait apprendre des poèmes et déclamer des vers. Ces rencontres secrètes sont aussi l'occasion de se confier, braver certains interdits comme fumer... bref prendre en main leur propre vie. Le mot d'ordre : « Carpe diem ! Soyez audacieux ! Quittez la route ! Faites de votre vie un chef-d’œuvre ! » Bien-sûr, ce modèle éducatif ne sera pas du goût de tous et provoquera des raz de marées émotionnels et quelques drames, accompagnés de prises de consciences indispensables.

L'ARCHIVE.

L'histoire de la révolte d'élèves dans un collège huppé avait touché le public, mais surtout les adolescents. Eux y voyaient moins une critique de la société qu'une identification aux interrogations des jeunes héros. « Cette contestation, c'est sans doute ce qui fait la force de ce film, qui provoque un raz de marée chez les étudiants et les lycéens », soulignait le présentateur du JT « Aquitaine actualités » du 27 février 1990.

C'est ce reportage que nous vous proposons de découvrir en tête d'article. Réalisé à la sortie d'une salle bordelaise, il montrait bien l'enthousiasme des jeunes. Le commentaire dithyrambique parlait déjà de « film culte » que des classes entières « de premières et terminales » venaient désormais regarder, accompagnées de leurs professeurs de français. Les élèves n'étaient visiblement pas les seuls à s'identifier aux protagonistes. Le long métrage qui pouvait être perçu comme une critique de la société par certains proposait surtout un autre mode d'éducation et d'entrée dans le monde plébiscité par les élèves.

Interrogés à la sortie de la projection, les adolescents (surtout des adolescentes) ne trouvaient pas de mots assez forts pour exprimer leur émotion : « C'est fabuleux de voir un prof qui veut faire exprimer ses élèves comme ça », « Ça fait deux fois que je le vois. Ça prend au cœur, c'est incroyable », « J'avais jamais vu un film comme ça et ça m'a vraiment ému. J'ai beaucoup aimé »...

Si le film touchait tant, c'est sans doute aussi parce qu'il présentait une sorte d'archétype, celui du guide et de l'initié et une image idéalisée de la complicité possible entre un maître et un disciple, un enseignant et un élève. Du côté des enseignants, il n'était pas question de passer à côté de cet enthousiasme. Certains assumaient d'essayer de reproduire la relation de confiance prof-élève décrite dans le film. À l'instar de cette professeure de français venue accompagner ses élèves et qui l'assurait : « nous ferons un travail là-dessus. C'est prévu » !

C'est ce que traduisait aussi une jeune fille déclarant que c'était « le rêve de tous les élèves de rencontrer ce type de professeur qui permettait de leur donner la liberté de s'exprimer, sans imposer sa discipline ». Une vision partagée par la professeure : « Je crois que cela fait partie de nos devoirs d'enseignant d'aider les élèves à trouver leur autonomie, à trouver leur être ».

Enseigner autrement

Si l'on en croit les JT de l'époque, dans les mois et les années qui suivirent, le modèle du cercle des poètes décrit dans le film continua d'inspirer les élèves. Mais que pensaient les profs des méthodes pédagogiques originales de leur confrère de pellicule ? Dans un reportage diffusé dans le 20h de « La Cinq » de Berlusconi en février 1990, Nathalie Saint-Cricq utilisait le « phénomène de société » comme prétexte à la réflexion. La journaliste avait posé son micro dans une classe du lycée Henri IV, « une noble institution » qui pouvait rappeler celle décrite dans le long-métrage de Peter Weir.

Si certains élèves qualifiaient le film de « démago », les lycéens d'Henri IV rêvaient, eux aussi, de côtoyer un professeur aussi inspirant que Keating. Un jeune garçon (enfin un ! ) enviait ce professeur joué par Robin Williams qui demandait à ses élèves de changer de point de vue pour appréhender la vie : « Regardez comme c'est beau : allez la vivre, respirez-là, sentez-là ! C'est extraordinaire ! C'est fabuleux et en même temps, il les fait travailler. C'est fabuleux de voir qu'il associe, d'une certaine manière, le travail et l'amour de la vie ».

Du côté des profs, on décelait une pointe de jalousie, comme le soulignait avec malice la journaliste : « Côté proviseur, côté professeurs, on est parfois un peu agacés par la caricature du méchant chef d'établissement, des vilains adultes et des gentils jeunes gens ». On trouvait le prof un peu fantasque, un prof qui monte sur les tables, c'était vraiment de la fiction à Henri IV !

Et la journaliste de poser la question essentielle : « Bref, le débat n'est pas de savoir s'il faut ou non monter sur les tables pour faire les cours. Juste se demander si les lycéens ne rêvent pas parfois d'autres méthodes d'enseignement. »

« Supposons que je décide effectivement de vous parler de poésie pendant toute l'année, de monter sur la table, de vous passer, de vous dire des poèmes. J'aime de vous lire des romans que j'aime, de montrer des tableaux qui me passionnent. Je suis certain qu'à la fin de l'année, vous me diriez et le Bac alors ? Qu'est-ce qu'on fait » ? (un professeur) « Ils finiraient par dire, mais qu'est-ce qu'il a tout le temps à monter sur la table » ? (le proviseur)

 

Qu'est-ce qu'un bon prof ?

Deux ans plus tard, en septembre 1992, à la veille de la rentrée, le film était toujours dans les esprits et un sujet de débat entre profs et élèves. L'archive ci-dessous dévoile un échange entre plusieurs professeurs et des lycéens qui débattent autour de la notion de « bon professeur ».

Bon professeur bon élève
1992 - 00:00 - vidéo

« Un bon prof doit rester le maître, être au-dessus », « il doit nous apporter une réflexion, nous aider à faire un choix » (des élèves)

« On n'est pas des dieux , on a une estrade qui est absolument symbolique, le seul piédestal légitime, c'est la vérité, c'est la raison », « on ne doit pas faire écran entre l'élève et la matière » (des profs)
 

Les « John Keating » de nos écoles

Dans le film de Peter Weir, John Keating utilise la poésie pour sensibiliser ses élèves à la beauté du monde et aux multiples possibilités d'accomplissement que leur offre la vie. La poésie comme outil d'émancipation est un postulat fréquemment mis en avant par nombre de professeurs que la télévision a parfois rencontrés.

Découvrez ci-dessous quelques exemples glanés dans les journaux régionaux. Débutons par une classe de poésie filmée en 1978 par FR3 Bourgogne. Le professeur de français avait incité ses élèves de 14 à 17 ans (encore majoritairement des filles), auteurs et autrices de poèmes, à rédiger un ouvrage et à organiser un spectacle autour de leurs propres textes.

« Dans l'œil de cette biche, on voit ... ». Voici un début de phrase sur lequel des élèves de cinquième du collège de Morteau (Doubs) avaient planché en 1990 pour écrire leurs poèmes. Un club de poètes qui était clairement inspiré du film. Cette initiative était menée avec passion par deux professeurs de français. Tout comme leurs camarades de 1978, les textes des élèves avaient été édités dans un recueil.

Et puisque la poésie évolue en même temps que la société, en 1994, un autre club de poètes faisait la une des « Actualités régionales d'Île-de-France ». « Crame pas les blases » était le titre d'un recueil de poèmes de jeunes collégiens de Pantin sur une idée de leur professeur de français.

Pantin "Crame pas les blases"
1994 - 00:00 - vidéo

Dans les années 2000, la poésie à l'école passait par le slam. En octobre 2007, le slameur Rocé faisait travailler des collégiens de Calais sur des textes et de la musique.

Que pensaient les critiques télé du film ?

Si le film a touché le cœur des spectateurs, il a aussi provoqué des réflexions plus sociétales et un désir de rébellion chez les critiques de cinéma qui retrouvaient peut-être à travers ce film leur âme révoltée d'adolescent.

À l'image du journaliste Daniel Corinthe qui chroniquait le film dans le magazine « Servez Show » de FR3 Nancy le 17 janvier 1990. Après avoir encensé l'acteur Robin Williams, il expliquait voir dans ce film, qu'il comparait à des films américains sur la guerre du Vietnam, un moyen de faire éclater « la bonne conscience américaine ». Il décrivait avec passion le discours et les gestes du professeur fou de poésie et de vie.

Même engouement et questionnement existentiel chez Henry Chapier dans Soir 3. Il voyait dans ce film, prenant racine dans les années 50, une métaphore des années 80, ces années « fric », où l'économie de marché était présentée comme « le paradis à atteindre » et où ne régnait, selon lui, « l'appât de l'argent, l'arrivisme, ces choses qui nous exaspèrent et où il y a peu de poésie ». Le journaliste estimait que ce film lançait un avertissement à ne pas reproduire la même erreur dans la prochaine décennie.

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