1965, Edith Scob nous reçoit chez elle. A 28 ans, elle a déjà tourné dans de nombreux films et joué sur plusieurs planches parisiennes. Derrière elle, une bibliothèque bien fournie traduit son goût pour la lecture, et notamment la poésie. Ses livres de chevet ont pour auteurs Pablo Neruda et « un poète français formidable, Maurice Régnaut ». Une passion qui lui fait d'abord envisager une carrière d’enseignante : « Je faisais mes études, je voulais faire une licence de français, et peut-être devenir professeure. » Oui mais voilà : née d’un père architecte, fils d’un général de l’armée impériale russe, et d’une mère fille d’un pasteur du Midi, Edith Scob reçoit une éducation bourgeoise et rigide. Un héritage conventionnel dont la jeune femme cherche inconsciemment à s'échapper.
A l’image de ses frères, « toujours un petit peu frondeurs », qui épousent, l’un une carrière de cycliste, l’autre une carrière de dessinateur humoristique, elle se découvre pendant ses études une vocation : elle sera actrice.
Dès lors, le succès critique arrive très vite. En 1958, à 21 ans, la jeune comédienne monte sur les planches, pour jouer dans La Princesse Blanche, de Rilke, et Don Juan, de Montherlant. Elle rencontre le cinéaste Georges Franju qui « lui fait aimer le cinéma ». En 1959, Edith Scob tourne sous sa direction La tête contre les murs, puis le fameux et étonnant Les yeux sans visage.
Les yeux sans visage
1960 - 02:16 - vidéo
Aujourd’hui encore, Les yeux sans visage est considéré comme un sommet du cinéma français, ayant inspiré des grands noms du 7e art, de John Carpenter à Pedro Almodovar, en passant par Léos Carax.
Lors de sa sortie en salles, Georges Franju, accompagné d’Edith Scob, explique sur le plateau de Paris Club que le ressort angoissant de son film, une œuvre d’épouvante inspirée des progrès de la chirurgie réparatrice faciale, tient justement à son rapport au réel : « Je pense que c’est dans la réalité qu’on peut toujours et dans tous les cas retrouver la terreur ». Pour le réalisateur, le point central est que « toute chose inédite et nouvelle fait peur ».
Peut-on reconstruire un visage à partir d'autres visages ? Dans le rôle de la jeune femme défigurée à qui son père, chirurgien démiurge, tente de redonner son visage d'origine, la jeune Edith Scob excelle, sous un masque inquiétant qui la fait entrer dans le panthéon des images iconiques du cinéma d'angoisse.
Edith Scob collabore au total à six des films de Georges Franju, tournant dans Thérèse Desqueyroux (1962), Judex (1963), Thomas l'imposteur (1965), et, pour la télévision, Le dernier Mélodrame (1979). Actrice appréciée du cinéma d'auteur, elle croise la route de grands noms du cinéma français, de Jean Becker, pour qui elle tourne L'été meurtrier en 1983, à Tonie Marshall en 1999, pour Vénus Beauté (Institut). Dans les années 2000, Edith Scob tourne notamment La fidélité d'Andrzej Zulawski (2000), Le pacte des loups de Christophe Gans (2001), L'homme du train de Patrice Leconte (2002), Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau (2003).
En 2012, Léos Carax avait ressuscité le masque inquiétant des Yeux sans visage dans son remarqué Holy Motors, offrant à Edith Scob l'un des derniers grands rôles de sa carrière, et l'hommage d'un auteur cinéphile à une oeuvre mémorable du 7e art.