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La canicule de 2003, d'un coup de chaud à un séisme sanitaire

La canicule de 2003, d'un coup de chaud à un séisme sanitaire

Santé publique France a enregistré une surmortalité de 400 personnes lors de la canicule du mois d'août 2023. Par comparaison, au cours du mois d'août 2003, près de 15 000 personnes avaient perdu la vie lors d'une canicule d'ampleur. La gestion de cette crise sanitaire fut émaillée de polémiques entre saturation des hôpitaux et retard à l’allumage des autorités.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 21.07.2023 - Mis à jour le 13.09.2023
Canicule - 2003 - 02:15 - vidéo
 

L'ACTU.

Une surmortalité de 5,4% a été observée au cours de la canicule d'août 2023, a annoncé mercredi 13 septembre Santé Publique France, soit près de 400 décès, toutes causes confondues. Les plus de 75 ans sont les plus touchés. Même si ces chiffres ne font pas le lien direct entre la dernière vague de chaleur et la mortalité, ce phénomène de surmortalité est plus courant avec le réchauffement climatique et Santé publique France doit publier dans les prochaines semaines un bilan de l'impact sanitaire des différentes canicules de l'été 2023.

LES ARCHIVES.

Il y a 20 ans, en août 2003, une canicule longue et intense s'abattait sur l'Europe. Durant les deux premières semaines d'août, des records absolus de températures sont battus un peu partout en France : Météo France relève plus de 35°C dans les deux tiers de ses stations. 15 % des villes connaissent des températures supérieures à 40°C. À Paris, le mercure a dépassé les 39°C, avec 9 jours au-dessus de 35°C.

Cette vague de chaleur faisait au moins 15 000 morts en France. Bien plus que la canicule de juin-juillet 1976, qui avait fait 6 000 morts, et que celle de 1983 et ses 4 700 morts. Un rapport du Sénat publié en février 2004 qualifiait même l'épisode de « véritable séisme sanitaire », auquel « notre pays n'était manifestement pas préparé ». Retour en archives sur un événement climatique majeur que la désorganisation a transformé en catastrophe sanitaire.

« Le mois d'août s'annonce radieux et c'est tant mieux »

Les premiers jours du mois d'août 2003 furent marqués par une élévation rapide des températures. La canicule s'installait. Aux informations, le sujet était d'abord traité sous l'angle vacancier. Au Journal de la nuit de France 2, le présentateur revenait sur les records de chaleur de la journée du 3 août. « On a eu aujourd'hui très chaud dans toute la France. Dans la moitié nord, les températures ont varié entre 32°C et 35°C. Dans le sud, le mercure a atteint des pics à 39°C. Résultat, la chaleur persistante et l'absence de vent ont provoqué des pics de pollution à l’ozone dans plusieurs régions. (...) Et dans les prochains jours, ça ne devrait pas s'arranger si l'on en croit Météo France. »

La journaliste avait choisi d'interroger des vacanciers qui se rafraichissaient en se baignant dans le Rhin. L'une d'entre eux se réjouissait d'une eau « super chaude, 25°C, génial ! C'est le bonheur ici ». Puis la caméra se rendait à Strasbourg. Longue file d'attente devant la piscine : « C'est dur parce qu'il fait chaud. Et nous, on est là-devant. On attend, ils disent qu'il faut attendre une heure ». Enfin, au bord des anciennes gravières de Strasbourg, un secouriste prodiguait ses conseils : « Le principal remède à tout cela, c'est déjà de se couvrir en mettant un t-shirt, casquette, de la crème indice maximum. Et surtout pour les personnes âgées, c'est d'aller faire une petite sieste à l'ombre tout l'après-midi. » Conclusion de la journaliste : « Le mois d'août s'annonce radieux et c'est tant mieux. »

L'alerte du personnel hospitalier

Un mois d'août radieux ? Quelques jours plus tard, les températures n'avaient pas baissé. Les premières conséquences commençaient à alarmer : recrudescence des feux de forêt, sécheresse accrue, récoltes agricoles réalisées avec un mois d'avance, pics de pollution, apparition d'insectes tropicaux en métropole. La surcharge dans les hôpitaux inquiétait leurs services d'urgence. De plus en plus de personnes fragiles, essentiellement âgées, succombaient à la chaleur étouffante.

La canicule dans une maison de retraite
2003 - 02:01 - vidéo

5 août : un reportage dans une maison de retraite montrait les difficultés des personnes âgées face à la chaleur.

Polémique canicule hôpitaux
2003 - 01:50 - vidéo

Alors que les autorités ne réagissaient pas à la hauteur des événements, des praticiens hospitaliers tiraient la sonnette d'alarme. Parmi eux, Patrick Pelloux, médecin urgentiste à Paris, dénonçait une hécatombe et la gestion de la direction générale de la santé qui parlait de « morts naturelles ». « Ils se moquent de qui ? Le problème, il est bien réel, nous avons des malades qui sont en train de mourir. Qui meurent peut-être plus tôt que ce qu'ils devraient, mais ils n'auraient pas dû mourir ! »

Dans le sujet ci-dessous, diffusé le 14 août 2003, France 2 proposait un condensé des événements survenus au début du mois. « Une vague de chaleur jamais vue depuis 1947 et rapidement les pompiers et les urgences sont débordés. » Le 10 août, le ministre de la Santé Jean-François Mattei apparaissait en direct sur TF1 depuis sa maison de vacances et en polo pour rassurer sur la canicule et annoncer la mise en place d'un numéro vert. Avec cet exercice de communication manqué, il ajouta à la polémique qui enflait : le gouvernement ne prenait pas la mesure de la situation.

La réponse « bien trop tardive » des autorités

En Île-de-France, au 11 août, comme l'expliquait l'archive, « les Hôpitaux de Paris reconnaissent que la situation est exceptionnelle. » Enfin, le 13 août, alors que la canicule avait débuté depuis plus de 10 jours, que les décomptes du nombre de morts se faisaient chaque fois plus inquiétants, qu'un « un dispositif d'urgence » avait été mis en place par la Croix-Rouge, le gouvernement reconnaissait enfin le caractère exceptionnel de la situation et qu'il y avait « plus de morts que la normale ». Selon cette archive, les autorités parlaient alors de « véritable épidémie ».

Le soir du 13 août, les journaux télévisés ouvraient avec la nouvelle d'un plan d'urgence : « Ce soir, face à l'ampleur de la situation, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a demandé au préfet d'Île-de-France de déclencher le plan blanc. » Il devait permettre la réquisition de lits et des personnels sanitaires, « rappelés de vacances ou transférés d'un service à l'autre ». Par ailleurs, « les admissions programmées et non urgentes sont différées, les blocs opératoires libérés, leur programme allégé. » Le lendemain, le Premier ministre demandait l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire.

Comme le relatait l'archive ci-dessous, la réaction du gouvernement fut considérée comme « bien trop tardive » selon l'opposition. Les Verts réclamèrent la démission du ministre de la Santé, « par respect pour les familles des victimes » que l'on comptait en « milliers ». Et le représentant du Parti socialiste, François Hollande de tacler : « Un numéro vert, c'était insuffisant ».

Une séquence médiatique marquante de cette période et présente dans l'archive ci-dessous est celle d'un journaliste interpellant le Premier ministre à l'issue d'un Conseil des ministres appelé en urgence. « Les Français ont l'impression qu'il y a eu du retard à l'allumage. » Jean-Pierre Raffarin refusait tout commentaire. Tandis que Jean-François Mattei, le ministre de la Santé, lui, insistait : « Nous avons réagi dès qu'il fallait le faire. Je n'ai en conscience aucun reproche et aucun regret, car nous avons agi chaque fois qu'il le fallait et chaque fois qu'on le pouvait. »

Une « canicule exceptionnelle » qui devrait pourtant se reproduire

Le Président de la République, Jacques Chirac, préféra, dans une allocution le 21 août, souligner le manque de solidarité entre citoyens lors d'une « canicule exceptionnelle » et le décès, dans l'ignorance de leurs proches, de personnes âgées. « Il est nécessaire que notre société devienne plus responsable, plus attentive aux autres », disait-il. Il annonçait en parallèle, comme on l'entend dans l'archive ci-dessous, des moyens supplémentaires pour faire face aux situations exceptionnelles. Et promettait : « Tout sera fait pour remédier aux insuffisances que nous avons constatées dans notre organisation sanitaire. »

En février 2004, le Sénat livrait un rapport clair quant à la responsabilité de l’État dans la catastrophe sanitaire. Il énumérait : « Au total, la mission d'information a constaté que notre système de veille et d'alerte sanitaire avait failli ; que la communication en cas de situation de crise restait à inventer ; que le cloisonnement des administrations centrales, tant au sein du ministère de la Santé, qu'entre ministères sociaux et entre ces derniers et le ministère de l'Intérieur, n'avait pas permis de prendre conscience de la crise ; que l'imbroglio des compétences des différents acteurs au niveau territorial n'avait pas facilité l'agrégation et la synthèse de données éparses ; que la multiplicité des agences de sécurité sanitaire ne contribuait pas à y voir clair ; que le recul de la médecine de proximité par rapport aux urgences, qui sont trop souvent détournées de leur vocation, avait sans doute contribué à l'engorgement de celles-ci ; que l'absence de modulation du système de réduction du temps de travail avait rendu plus difficile le renforcement de la présence des personnels, et aussi que notre pays pourrait sans doute engager une réflexion générale sur l'organisation des vacances estivales des Français. »

Les leçons de la crise

À l'issue de cet été meurtrier, il fut donc impératif de prendre des mesures et d'instaurer un système fiable en cas de renouvellement de très fortes chaleurs. C'est ainsi qu'est décidé un plan national canicule. Météo France développa en cohérence un dispositif de vigilance canicule, avec quatre niveaux d'alerte. Du niveau 1, automatique et activé du 1er juin au 15 septembre de chaque année, au niveau 4, la vigilance rouge qui correspond à « une canicule extrême, exceptionnelle par sa durée, son intensité, son extension géographique, et présente un fort impact sanitaire pour l’ensemble de la population et des impacts sociétaux ».

Également, une journée de solidarité fut votée : les salariés doivent désormais travailler une journée supplémentaire. Elle devait permettre de financer des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou en situation de handicap.

Un enjeu majeur puisque, avec le réchauffement climatique, les canicules se font plus fréquentes et intenses alors que le temps passe. Et que, selon un article scientifique publié le 10 juillet 2023 dans la revue «Nature medecine», on pourrait s'attendre à une augmentation de la surmortalité liée aux vagues de chaleur si l'on ne s'adapte pas à ces étés de plus en plus chauds : 68 000 morts en 2030 en Europe, 120 000 à horizon 2050.

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