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Les boisseliers, ces artisans qui façonnaient le bois pour en faire des objets

Les boisseliers, ces artisans qui façonnaient le bois pour en faire des objets

« Il y a des métiers dont le nom est déjà toute une histoire... ». Boisselier est de ceux-là. Cet artisanat ancien, quasiment disparu aujourd'hui, a fait l'objet de quelques reportages télévisés. Aujourd'hui, ces incursions dans les ateliers encombrés témoignent du talent de ceux qui travaillaient le bois pour fabriquer des objets.

Par Florence Dartois - Publié le 30.11.2023
Le boisselier de Prénovel - 1983 - 13:43 - vidéo
 

LE MÉTIER.

« Il y a des métiers dont le nom est déjà toute une histoire : boisselier, boissellerie, boisseau, ce sont des mots qui chantent, des mots qui racontent, qui évoquent le bois, les temps révolus, les mesures d’autrefois. Et la mesure, c’est le partage. Le partage, c’est l’amour, la charité, mais c’est aussi l’équité ». Ces mots sont ceux de l'écrivain Bernard Clavel pour décrire la profession dont il va être question dans ce portrait.

Dans notre archive, nous allons suivre suivre les gestes précis et ancestraux d'un boisselier dont nous ne connaissons pas le nom. Nous savons seulement qu'il exerçait à Prénovel dans le Jura.

Il fut une époque où les boisseliers étaient indispensables dans les campagnes, ils fabriquaient des récipients de mesure, comme « le boisseau », des écuelles et autres « seilles », en bois de sapin ou de hêtre. Tous ces objets utilitaires que l’on utilisait pour mesurer le grain, pour fabriquer du fromage, pour faire la lessive, le ménage ou encore conserver le lait des vaches.

L'archive disponible en tête d'article est le portrait ciselé d'un artisan qui exerçait son métier avec méticulosité et une patience infinie. Ce reportage intitulé « Le boisselier de Prénovel » a été imaginé par Bernard Clavel de l’Académie française et réalisé par Jean-Max Venuti. Il a été diffusé le 7 septembre 1982 dans la série « Gestes ».

L'ARCHIVE.

Pour profiter de cette lente immersion dans l'univers du boisselier, il faut d'abord adopter le même tempo que lui. Ralentir et écouter le texte poétique de Bernard Clavel. C'est à un voyage dans le temps que nous convie l'écrivain.

Tout débute dans la forêt où l'artisan coupe les branches qui lui serviront bientôt à cercler ses récipients. Nous le suivons jusqu'à son atelier niché au cœur de sa bâtisse en pierre.

Bernard Clavel raconte l’évolution du métier de boisselier, « fabricant ingénieux de ses propres outils » qui fait revivre le bois coupé, « car le bois ne meurt pas. Sous les mains du vieil homme, son ami, il chante, il prend forme, il devient boisseau, il devient seille, il devient objet ». Vient ensuite la description de l'atelier ancestral et inchangé, mais si vivant. Il ne suffit pas « de le voir ni de l’entendre grogner ou miauler, il faut aussi le respirer. Il faut goûter sa tiédeur au cours des automnes de grands vents et des hivers glacés. Depuis quand est-il ainsi ? Les archives elles-mêmes l’ont oublié ».

Tandis que les images immortalisent les gestes du boisselier, les mots précis de Clavel leur donnent un sens : « Mais ici, la mémoire est au cœur même des objets, chaque entaille, éraflure, chaque cicatrice que porte ces établis, ces presses, ces valets, ces serre-joints, ces varlopes (…) chaque marque appartient à un âge différent. Et ces âges se confondent, se superposent, se mêlent. Peu importe, puisque le geste reste le même ».

La gestuelle est ancestrale, mais menacée. Le boisselier, tout à son ouvrage, tord ses branches, les façonnent pour qu'elles deviennent des cercles parfaits qui retiendront « les douelles », ces pièces de bois qui une fois assemblées, formeront la paroi du tonneau. Mais ce savoir-faire immuable en apparence est menacé et l'auteur s'en émeut : « C’est triste un geste qui va mourir parce que personne n’est là pour le recevoir, pour le garder, pour le perpétrer avec amour ».

Un boisselier savoyard

Nous vous proposons d'en savoir plus sur ce métier, avec d'autres portraits de boisseliers filmés par la télévision dans les années 1960-70. L'archive à découvrir ci-dessous date de 1967, c'est un court reportage réalisé pour le journal de « Rhône Alpes actualités » sur Monsieur Bouclier, artisan boisselier au Petit Bornand. Il exerçait cette profession depuis ses 15 ans, ça faisait 60 ans. Comme le boisselier présenté en tête d'article, Monsieur Bouclier grimpait lui-même aux arbres pour couper les branches vertes dont il avait besoin, « il faut qu’elles se courbent pour faire des cerceaux », expliquait-il de son accent savoyard. Il montrait les outils spéciaux, fabriqués par ses soins, qu'il utilisait pour confectionner les « seilles », comme ce petit banc spécial avec pédale, « on fait les gabarits, on fait nos rabots, on a une grande varlope… ».

En 1967, le métier se perdait déjà en Haute-Savoie. Il donnait son explication personnelle à cette disparition : « Ce métier se perd, car ça ne rapporte pas ».

Le boisselier
1967 - 03:00 - vidéo

L'atelier de Poitiers

L'archive suivante nous entraîne dans l’une des dernières boisselleries de France qui se trouvait à Poitiers près de l’église Notre-Dame. C'était en 1971 et Monsieur Richard, boisselier depuis 23 ans, ouvrait les portes de son atelier. Un atelier encombré du sol au plafond.

Ici, on fabriquait des boisseaux, récipients en bois qui servaient autrefois à mesurer le grain. Lui aussi faisait la démonstration de ses gestes ancestraux. « On jable, ensuite, on le borde, on monte la potence qui sert à maintenir la mesure et ensuite, on bande tout le tour. Il y a six bandes autour d’un double décalitre ». Il racontait être devenu boisselier après avoir fabriqué à la main son premier seau à vin, un récipient entièrement en bois.

Ses ouvriers, une dizaine, fabriquaient toute la série de mesures disponibles, depuis l’hectolitre jusqu’au décilitre. La production partait partout en France « jusqu’aux colonies, au Maroc, dans les coopératives agricoles, dans les magasins comme les confiseurs pour garnir de bonbons. Des hectolitres pour mesurer les noix, des tamis pour les maçons ». Ils fabriquaient aussi des cerceaux, des tambourins ou des séries de petites mesures pour apprendre aux enfants les capacités pour les écoles.

Le bois de hêtre employé pour la confection des boisseaux provenait des Vosges, mais le travail ne se faisait plus à la « plane » ou au « trusquin » comme autrefois, mais avec un matériel plus moderne qui permettait d'augmenter la production.

Poitiers : le dernier boisselier
1971 - 03:51 - vidéo

Le boisselier d'Embort

L'archive suivante présente l'un des derniers boisseliers d'Auvergne en 1972. Ce maître boisselier s'était spécialisé dans les récipients contenant du lait. On l'appelait la « gerle » (Cantal) ou la « baste » (Puy-de-Dôme). Il fabriquait aussi des « bacholes » pour les vendanges, des bacs à fleurs... Il utilisait plusieurs essences de bois, différentes selon les récipients : le sapin, le châtaignier, le chêne et pour le moule à fromage, le hêtre.

Il se montrait confiant mais aussi fataliste dans l'avenir : « Je suppose qu’il y en aura toujours [des boisseliers], mais ça pourrait disparaître ».

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