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1986 : entre l'Elysée et Matignon, l'apprentissage de la première cohabitation

1986 : entre l'Elysée et Matignon, l'apprentissage de la première cohabitation

Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour de la présidentielle avec 22 % des voix, compte bien remporter les législatives avec sa coalition de la Nupes, afin d'être «élu», selon ses propres termes, « Premier ministre », une façon de proposer au pays une nouvelle cohabitation politique. L'issue du second tour dira si on se dirige vers une nouvelle cohabitation. En attendant, revenons sur les débuts de la toute première d'entre elles, en mars 1986, entre le président socialiste François Mitterrand et son Premier ministre de droite, Jacques Chirac.

Par Cyrille Beyer - Publié le 20.04.2022 - Mis à jour le 10.06.2022
Semaine de la cohabitation - 1986 - 02:43 - vidéo
 

A quelques heures de la fin de la campagne officielle pour le premier tour des législatives, ce vendredi 10 juin à minuit, la Nupes et la majorité présidentielle sont au coude-à-coude dans les sondages. Pour Jean-Luc Mélenchon et ses alliés de gauche, l'objectif est toujours d'accéder au pouvoir, un objectif annoncé par le leader de la France Insoumise dès le 19 avril, lorsque ce dernier, qui avait recueilli 22% des voix au premier tour de l'élection présidentielle, avait demandé aux Français de l'« élire Premier ministre » aux législatives. Une façon d’imaginer une possible cohabitation avec le président Emmanuel Macron, entre-temps réélu le 24 avril.

La France a connu jusqu’à présent trois cohabitations. La première, entre 1986 et 1988, avait vu le président François Mitterrand partager le pouvoir, pour la première fois sous la Ve République, avec un Premier ministre d’un autre bord politique que lui, à savoir Jacques Chirac (RPR ). Entre 1993 et 1995, nouvelle cohabitation pour le président François Mitterrand, avec une nouvelle victoire de la droite aux élections législatives de 1993. Edouard Balladur était alors devenu son Premier ministre. Dernière cohabitation en date, et bien plus longue, celle qui partagea le pouvoir exécutif entre le président Jacques Chirac et le socialiste Lionel Jospin, entre 1997 et 2002. Une cohabitation déclenchée par la décision du président de la République, élu en 1995, de dissoudre l’Assemblée nationale, en 1997.

Si une cohabitation devait résulter des élections législatives du mois de juin, le pouvoir exécutif aurait le recul de ces trois expériences passées pour appréhender le fonctionnement des institutions. Mais en 1986, c’était une première. Le reportage placé en tête d’article, diffusé le 31 mars 1986, une semaine après le début de la cohabitation, illustre les difficultés de répartition des compétences entre l’Elysée et Matignon.

Ambiance crispée

Le sujet commence par ce constat du journaliste Pascal Guimier, sur des images du premier conseil des ministres de la cohabitation : « Samedi 22 mars , à l’Elysée, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un président de gauche, face à un gouvernement de droite. Deux légitimités en vis-à-vis, ambiance crispée entre Jacques Chirac et François Mitterrand, bien plus que la largeur d’une table… » Le pouvoir doit alors se partager : « entre les deux, la Seine », une métaphore géographique pour désigner rive gauche, le palais Matignon, siège du gouvernement, et rive droite, le palais de l’Elysée, siège de la présidence de la République.

Les décisions de la nouvelle politique de la France vont alors faire l’objet de tractations entre la nouvelle majorité et l’Elysée. Exemple, avec la question de la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, que Jacques Chirac avait annoncée quelques jours plus tôt devoir être exécutée par ordonnances. Or, Alain Juppé, porte-parole du gouvernement, annonce finalement que ces mesures seront discutées et votées au Parlement. « L’explication, elle vient de l’autre porte-parole, celui de l’Elysée, Michel Vauzelle, explique le reportage de Pascal Guimier. Le président, dit [Michel Vauzelle], refusera de signer toute ordonnance qui n’irait pas dans le sens du progrès social. » Avec cette première passe d’armes, le président et le Premier ministre « marquent chacun leur territoire. »

Tandem

Autre domaine litigieux, celui des affaires étrangères. « Jacques Chirac a fait savoir qu’il accompagnera le président Mitterrand au sommet de Tokyo en mai prochain. Une innovation, mais surtout un symbole, le Premier ministre montre clairement qu’il n’entend pas se laisser déposséder de la politique étrangère du pays », commente Pascal Guimier. Et si pour l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing, la présence d’un exécutif « en tandem » pour représenter la France lors des grands sommets mondiaux « [ferait] rire le monde entier », cette formule est au contraire prise très au sérieux par Henry Kissinger, « spécialiste des rapports de force », qui affirme « que personne ne voudra prendre la responsabilité d’avoir empêché le système de fonctionner. »

Après ces deux premiers ajustements, la cohabitation continue à chercher son modus vivendi. Le reportage annonce ainsi la tenue très prochaine de deux rendez-vous essentiels de la vie politique française : « le même jour, message de François Mitterrand au Parlement, engagement de la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée ».

Conclusion ironique de Pascal Guimier : « la cohabitation, ça se construit à la petite semaine ».

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