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1960, la radio diffuse l'explosion de la 1ère bombe A française

1960, la radio diffuse l'explosion de la 1ère bombe A française

Le 13 février 1960, à 7h04 du matin, la France faisait exploser sa première bombe atomique dans le sud du Sahara algérien, près de la base de Reggane. Le même jour, la radio diffusait un reportage exclusif de l'explosion.

Par Florence Dartois - Publié le 10.02.2020 - Mis à jour le 13.02.2020
 

La première bombe atomique française porte le joli patronyme de "gerboise bleue", sa puissance de 70 kilotonnes équivaut à trois à quatre fois celle d'Hiroshima. Cette explosion va être diffusée à la radio dans une édition spéciale du journal parlé de France 1, Paris Inter. Un avantage, car la télévision ne va bénéficier que de quelques images. Ce document sonore, envoyé à Paris via un avion à réaction, a transité au préalable au ministère français des armées. Il est donc diffusé quelques heures après l'explosion, en différé.

Une explosion de 14 secondes

Le reportage débute à 6h45, à 14 minutes de l'explosion, à la base de Reggane. Deux journalistes non identifiés se trouvent à quelques kilomètres du point zéro. A H-2, les hommes prennent la position de sécurité (assis au sol, dos tourné à l'explosion, tête entre les genoux, protection des yeux avec les coudes repliés). Le lancement de deux fusées (orange et blanche) indique que l'on est à moins d'une minute de l'explosion. Le journaliste explique qu'il prend lui-même la position de sécurité. Le décompte jusqu'à l'explosion débute. L'explosion retentit au loin durant 14 secondes. Une annonce officielle de la défense nationale [ajoutée au reportage par le ministère des armées] précise que cet enregistrement est une première mondiale ! Un speaker l'annonce au cours de la diffusion : "Voici en toute première mondiale puisque c'est le document original du bruit de l'explosion de la première bombe atomique française. Le reportage est arrivé de Reggane. Actuellement il est écouté par la commission de censure. Ici la défense nationale. A vous les studios".

Un champignon "du plus bel effet"

Un reporter interviewe à présent des soldats sur leurs impressions alors que le champignon se forme dans le ciel : "On voit un magnifique champignon...", "J'ai vu un petit éclair". Le reporter décrit à son tour ce qu'il observe : "Un champignon s'élève maintenant dans le ciel." Soudain l'onde de choc de l'explosion retentit dans le micro et le journaliste souligne qu'il a fallu tout ce temps pour que l'onde de choc leur parvienne. Des cris de joie l'accueillent : "Oh la vache !", "La Lune elle fait pâle à côté de ça !".

La description se poursuit : "Le champignon continue à se développer lentement dans le ciel. Il s'élargit sans cesse. C'est extraordinaire parce qu'il a une certaine immobilité. Le sommet prend actuellement la forme d'un immense ballon sphérique. Une espèce de comète dont la queue serait de fumée et une tête de neige. L'impression est merveilleuse… Le champignon a certainement plus de trois kilomètres de haut à l'heure qu'il est. Il monte lentement, très lentement."

Le reporter précise que dans le désert, il y a peu d'éléments de comparaison pour jauger la taille du champignon. L'autre journaliste évoque des "corolles" qui se forment à la base du champignon. Ils continuent leur description enthousiaste du champignon qui s'élargit sans cesse tout en se déportant vers le soleil levant. L'un d'eux ajoute que malgré la protection de leurs bras repliés sur les yeux et les lunettes de protection, la lumière était éblouissante : "Nous avons aperçu un éclair extraordinaire !" L'autre reporter ajoute qu'il a eu l'impression d'être "traversé" par la lumière.

La description de la dislocation du champignon se poursuit. Bientôt, la vie reprend sur la base.

La satisfaction du commandement

Vient ensuite l'interview du commandant de la base (non nommé) : "Je suis convaincu que je viens d'assister à un grand événement de l'Histoire de France", lance-t-il. "La première bombe française a explosé à l'heure exacte qui avait été prévue. Ce magnifique résultat est l'aboutissement de la science et de la haute technique de tous les Français qui ont fabriqué l'engin. Tous ici éprouvent un sentiment de fierté et de ferveur patriotique."

Un autre commandant ajoute : "C'est une grande émotion et un peu de surprise à la vue de ce spectacle pour moi inoubliable." Il décrit la lueur, les couleurs violettes "d'un très bel effet", l'immense nuage de plusieurs kilomètres.

Un reporter conclut : "Dans ce matin tiède du Sahara, il y a comme un élément de poésie qui se dégage de ce long nuage qui s'élève."

Au total, la France effectuera en Algérie 57 expérimentations et essais nucléaires entre 1960 et 1966. Six ans après "Gerboise bleue", la France fera exploser sa première bombe H (thermonucléaire) à Mururoa en Polynésie (Mururoa). Après plus de 200 essais nucléaires, Jacques Chirac relancera une campagne d'essais après son élection présidentielle en 1995... avant d'annoncer, sous la pression, un arrêt définitif le 29 janvier 1996. Il faudra attendre les années 2000, avec le long combat de vétérans des essais victimes de cancers, puis 2013, avec la déclassification des documents, pour découvrir l'ampleur des retombées radioactives. Elles furent beaucoup plus importantes que celles annoncées à l'époque. Elles s'étendirent sur toute l'Afrique de l'Ouest jusqu'au sud de l'Europe.

Ecoutez tout le reportage

Pour écouter toute l'édition spéciale. Explosion de la première bombe atomique française (Audio, France 1, Paris Inter, 13 février 1960)

Pour aller plus loin :

13 février 1960, premier essai nucléaire français dans le Sahara, en images. (Article)

Paris vous parle : Interview du général Ailleret sur les retombées de la bombe atomique. Huit jours après l'explosion de la première bombe atomique française à Reggane. Tollé de protestations à l'étranger à propos des retombées radioactives. Fernand Lot interviewe le général Charles Ailleret, responsable de cet essai, commandant inter-armées des armes spéciales à propos des deux sortes de retombées radioactives et des risques : "Nous n'avons pas à nous inquiéter de cette pincée supplémentaire négligeable de radioactivité lointaine que nous introduirons dans le monde". (France 1, Paris Inter, 20 février 1960)

Reportage à Reggane dans le Sahara à 6H15 pour l'explosion de la deuxième bombe atomique française (Gerboise blanche) commentaires du commandant Colon : description de la lueur fulgurante. Echo sonore de l'onde de choc. Description du champignon. En plateau Francis Mercury donne des précisions techniques sur la bombe (moins puissante, 20 kt contre 70kt pour la première). Il termine en évoquant la question des retombées radioactives (jugées insignifiantes). "Les résultats des postes de mesures répartis sur tout le continent africain devraient être rendus publics prochainement". (Paris vous parle, 1er avril 1960, France 1, Paris Inter)

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