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Alain Poher, le remplaçant de la République

Alain Poher, le remplaçant de la République

Gérard Larcher a été élu président du Sénat pour la cinquième fois. Le Républicain exerce la fonction depuis 2008. Mais c’est Alain Poher qui détient le record de longévité à la tête de la Haute Assemblée : il en a été président de 1968 à 1992. Autre particularité, et non des moindres : il est le seul à avoir assuré la présidence de la République par intérim. Et ce, à deux reprises.

Par Hugo Domenach - Publié le 02.10.2023
 

Ancien résistant et ancien président du Sénat, Alain Poher fut aussi le président le plus atypique et le moins connu de la Ve République : il est en effet le seul à avoir exercé la fonction suprême, à deux reprises, et sans même avoir été élu ! En vertu de l’article 7 alinéa 4 de la Constitution, c’est le président de Sénat qui assure l’intérim du président de la République lorsque celui-ci cesse d’exercer ses fonctions en cours de mandat. Le cas de figure ne s’est présenté que deux fois, en 1969 et en 1974. Et à chaque fois, c’est Alain Poher qui était président de la Haute Assemblée.

La première fois remonte donc à 1969. À l'époque, Alain Poher fait activement campagne pour le « non » au référendum organisé par Charles de Gaulle sur la réforme du Sénat. Et pour cause ! Le premier président de la Ve République souhaitait réduire la Haute Assemblée à un simple rôle consultatif. Déconfit par la victoire du « non », de Gaulle démissionne au lendemain du scrutin, le 28 avril 1969. La France perd son guide. En application de la Constitution, c’est alors Alain Poher qui exerce le rôle de président jusqu’aux prochaines élections anticipées.

Lors de sa prise de fonction, il se présente en rassembleur de la Nation. Et projette déjà les Français dans la future élection, à laquelle il compte bien participer : « C’est après une confrontation loyale des hommes et des programmes qu’en connaissance de cause, vous choisirez le nouveau président de la République », annonce-t-il.

Et si c’était lui ? Goûter à la fonction suprême lui a en effet donné des idées. Mais le centriste ne veut pas se précipiter. Il fait preuve de prudence, consulte les chefs de partis et soupèse ses chances. Qui aura-t-il en face de lui ? Georges Pompidou se déclare le 29 avril après avoir laissé passer un jour franc imposé par la décence à l’égard de De Gaulle. Rassuré par des études d’opinion qui lui attribuent environ 30 % des voix ou le donnent gagnant au second tour face à Pompidou, Alain Poher se lance dans la course le 12 mars, soit 13 jours après son rival !

« Je n’oublie pas qu’il y a quelques semaines mon nom était pratiquement inconnu en France et j’aime une montée progressive, raisonnable (...) 30 % me paraît une base de départ satisfaisante » explique-t-il aux journalistes avec le sourire lors de sa déclaration de candidature.

Ancien premier ministre du général, Pompidou mène une campagne d’ouverture aux autres formations politiques dans la continuité du gaullisme. Quand Alain Poher, lui, joue la carte de la modération, du « bonhomme » et se veut simple, sympathique, proche des Français. Mais sa campagne de Sénateur, ou plutôt de président par intérim qui redoute de froisser les ministres gaullistes, n’imprime pas. Dans un contexte d’abstention inhabituel, Pompidou obtient 44,47 % des voix au premier tour, Poher 23,31 %. Tandis que Pompidou, fort de son avance, se présente en rassembleur, Poher décide de changer de stratégie au second tour pour donner de la voix, paraître plus énergique et surtout plus accusateur.

« Vous m’excuserez tout d’abord d’avoir perdu ma voix en me battant pour la République », s’égosille-t-il en déplacement à Strasbourg, le 11 juin 1969. Et de poursuivre : « L’État ne doit pas appartenir à un seul clan et à un seul parti, l’État, c’est le bien des Français ! ».

Mais ce revirement brutal est mal perçu par l’opinion. Pompidou l’emporte au second tour avec une confortable avance de 58 % des voix contre 42 %. Alain Poher n’aura été président que pendant 53 jours.

Amer, il attribuera sa défaite à la consigne d’abstention du Parti communiste. Il y avait cru. Mais son parcours reste plus qu’honorable pour un homme fort peu connu des Français quelques mois plus tôt.

Alors, il retourne à l’ambiance plus feutrée du Palais du Luxembourg et ne se doute pas que le destin frappera à nouveau à sa porte quelques années plus tard.

Le 2 avril 1974 en effet, Georges Pompidou meurt d’un cancer hématologique alors qu’il lui reste deux années de mandat présidentiel à effectuer. Alain Poher est appelé à la rescousse.

Le 5 avril 1974, les images de son arrivée à l’Élysée sont diffusées au journal de 20 heures. L’air grave, Poher écoute l’orchestre de la garde républicaine jouer la Marseillaise, passe la garde en revue puis sert la main du secrétaire général de la présidence de la République. Un certain Édouard Balladur. Moment d’histoire.

Comme on le voit dans l'archive en tête de cet article, il a profité de ce nouvel intérim pour assoir son profil : «J'ai eu le sentiment que j'étais un président de la République normal». Mais, échaudé par son précédent échec, il ne se représente pas lors de l’élection présidentielle anticipée. Il ne fait pas le poids face à Valéry Giscard d’Estaing, candidat naturel de la droite, soutenu par le parti. Poher reste au pouvoir pendant 55 jours avant de lui céder sa place après son élection. Au total, l’ancien président du Sénat sera resté président de la République pendant 108 jours. Légalement et sans jamais avoir été élu.

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