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Pourquoi la Saint-Étienne est-elle un jour férié en Alsace-Moselle ?

Pourquoi la Saint-Étienne est-elle un jour férié en Alsace-Moselle ?

Dans les trois départements d'Alsace-Moselle, le 26 décembre est un jour férié. Une particularité héritée d'une ordonnance de l'empire germanique au XIXe siècle, mais qui remonte en réalité à d'anciennes fêtes païennes, traditions populaires et croyances paysannes. Les archives nous éclairent.

Par Florence Dartois - Publié le 26.12.2023
 

Chaque année, le 26 décembre, les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin bénéficient d'un jour chômé supplémentaire au reste de la France. L'Alsace-Moselle présente une particularité unique, elle possède deux jours fériés supplémentaires : le Vendredi Saint et la Saint-Étienne. Cette exception est le résultat d'une histoire complexe qui a pris corps dans le droit local et a marqué de son empreinte le droit national. À la fois issue d'une tradition religieuse, sociale et politique, cette particularité est inscrite dans le code du travail. Depuis 2011, les spécificités des trois départements mosellans et alsaciens sont également reconnues par le Conseil d’État, notamment les deux jours fériés supplémentaires.

C'est ce qu'expliquait Eric Sander, le secrétaire général de l'Institut du droit local alsacien mosellan dans le reportage de décembre 2018, diffusé dans le magazine « Complètement à l'est », sur France 3 Strasbourg Alsace, à découvrir ci-dessous.

Concrètement, le 26 décembre, les villes d'Alsace-Moselle se vident et ne montrent aux télévisions que des rues désertes puisque les commerces et entreprises restent fermés. Cette particularité ne semblait pas gêner les commerçants de ce reportage. Ils déclaraient n'y voir aucun inconvénient et en profiter pour « se reposer, être en famille ». Même s'ils l'avouaient, à demi-mot, ce 26 décembre chômé était souvent l'occasion de faire du shopping dans les départements voisins et de « partir vers les Vosges pour faire les magasins… ». Une « migration mercantile » largement décrite dans nos archives et qui offre aux régions limitrophes un regain d’activité bienvenu.

Une spécificité historique

Dans les archives consacrées au 26 décembre férié d'Alsace-Moselle, l'aspect historique est largement évoqué. Le caractère chômé de ce jour, le « Zweiter Weihnachtstag » (deuxième jour de Noël), s'explique en grande partie par l'histoire mouvementée de la région. L'Alsace et la Moselle ont changé plusieurs fois de nationalité au cours des derniers siècles, tantôt français, tantôt allemands, au fil des conflits. Le Concordat de 1801, qui régit les relations entre les religions et l'État en Alsace-Moselle, reconnaissait officiellement quatre cultes : catholique, luthérien, réformé et juif. Cette reconnaissance officielle s'accompagnait de l'observance de certaines fêtes religieuses chômées. Ce fut le cas de la Saint-Étienne, une fête catholique qui commémore le premier martyr chrétien, célébrée le 26 décembre, ainsi que le Vendredi Saint, une fête protestante qui commémore la crucifixion de Jésus-Christ.

L'Alsace-Moselle a conservé ces deux jours fériés qui furent institués au XIXe siècle, cette fois par une ordonnance impériale d’août 1892 de Guillaume II. En 1905, alors que la France devenait laïque, l’Alsace, la Moselle et la Lorraine étaient encore sous contrôle allemand, elles ne furent donc pas concernées par la séparation de l'Etat et de l'Eglise. En 1918, ces départements redevenant français, refusèrent d’abandonner leur jour férié, notamment la Saint-Étienne, le lendemain de Noël. Cette tradition est donc restée en vigueur même après le retour de la région à la France.

Depuis, cette exception a été régulièrement remise en cause, notamment en 2005, lorsque l'existence des deux jours fériés a été menacée par une décision de la Cour de cassation. À l'époque des sénateurs UMP et PS de la Région avait sauvé cette tradition inscrite dans le droit local en faisant adopter in extremis un amendement sur mesure pour rappeler le bien-fondé de ce principe.

Une coutume sociale

Une plongée dans les archives régionales de FR3 permettent d'en savoir plus sur le 26 décembre chômé, jour de la Saint-Étienne. Si l'Alsace toute entière semble hiberner ce jour-là, c'est aussi parce qu'au Moyen-Age, la nouvelle année commençait à Noël. À l’époque, les fêtes s’échelonnaient sur 12 jours consécutifs. Avec une particularité pour ce lendemain de Noël qui donnait le point de départ à ce que l’on appelait « la petite année », qui s’achevait au Nouvel an. Durant cette période le travail des champs cessait, en raison notamment des hivers rigoureux qui sévissait alors, il était aussi d’usage d’engager du nouveau personnel de maison ou de s’en séparer. Une coutume observée dans tous les pays de l’ancien empire germanique.

Le 26, c'était « le jour du baluchon », de la foire aux domestiques, où garçons et filles de ferme quittaient leur emploi pour trouver un nouvel employeur. On ne travaillait pas et la journée s'achevait par des festivités chez les nouveaux maîtres. Cette tradition de ne rien faire, de fermer les commerces et de déserter les rues vient de cette époque. L'archive ci-dessous, diffusée le 26 décembre 1995 dans « Alsace soir » raconte cette histoire. Un récit illustré d'un micro-trottoir et des explications de Pierre Erny, un spécialiste local, commentant quelques belles iconographies relatant cette coutume paysanne. Le 26 décembre, c’était aussi le jour de la bénédiction du vin rouge produit dans l’année, apprend-on également dans ce sujet.

De la magie rurale

Autrefois, le 26 décembre était une journée riche en symboles et présages. C'est ce que raconte Georges Klein, conservateur du musée alsacien de Strasbourg, dans l'archive présentée en tête d'article. Dans cet entretien étonnant diffusé dans « Alsace Soir » le 26 décembre 1986, l'érudit dévoilait une tout autre signification de ce « jour du destin ou jour de sorts ». Après être revenu sur la journée du baluchon et sur la « la foire aux servantes, aux valets » qui permettait au personnel des fermes de trouver de nouveaux patrons, il expliquait que la Saint-Étienne était surtout le premier jour des 12 jours qui formaient « la petite année » : « Autrefois la tradition voulait que chaque mois de l’année correspondrait au temps qu'il faisait chacun de ces douze jours. C’était déjà un genre d’oracle concrétisé plus tard par des coutumes comme celle des oignons. »

Cette tradition des oignons, reconstituée à l'image, permettait aux paysans de prophétiser la météo des mois à venir et de les guider dans leurs semailles. La technique consistait à remplir « 12 écailles d’oignons » d'une pincée de sel, « vers le 6 janvier, on les regardait. Là où le sel était le plus fondu cela correspondait à un mois qui serait le plus humide », déclarait-il.

Une autre méthode de présage pratiquée ce jour-là, également reconstituée pour le reportage, permettait aux jeunes filles de découvrir à quoi ressemblerait leur futur mari. Il s'agissait cette fois de verser du plomb fondu dans une bassine d’eau froide, cela donnait des formes et des figures. « Dans ces plaques de plomb les jeunes filles voyaient la configuration de leurs futurs époux » précisait Georges Klein.

Pour conclure cette incursion dans la tradition, voici l'interview (en alsacien, non traduit) d'un agriculteur qui, en 1986, établissait toujours ses prévisions météorologiques de façon traditionnelle à la période de la « petite année », c'est-à-dire les douze jours qui séparent la Saint-Étienne de l’Épiphanie. Un temps calme où, dans le monde rural, traditionnellement, on en profitait pour établir les prévisions météorologiques pour l'année suivante comme l'expliquait Georges Klein. Rencontre avec Joseph Holder, un agriculteur qui utilisait cette coutume et scrutait le ciel heure par heure.

Puis, les explications (en français cette fois) d'Auguste Bitsch, instituteur retraité passionné de tradition. Il ajoutait que cette période correspondait aux 12 nuits sacrées des Germains qui croyaient que le solstice d’hiver permettait un regard sur le futur et que cette époque de l'année, « permettait de soulever le voile de l’avenir ». Quant à savoir pourquoi certains agriculteurs pratiquaient encore ces rites, il répondait avec philosophie : « Nous avons tous le désir de connaitre le futur. »

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