L'ACTU.
Mardi 7 février 2024, Emmanuel Macron a surpris les habitants du bourg de Roulans dans le Doubs en s’arrêtant prendre un café dans le bar-tabac de cette petite municipalité de 1125 habitants peu habituée à faire la une de l’actualité.
Personne n’avait été averti de cette visite, pas même le maire, Alain Jacquot, qui a confié à France Bleu avoir cru à une blague sur le moment. Le président a profité de cette pause et de deux cafés « sans sucre » pour discuter avec les clients présents.
Emmanuel Macron ne savait peut-être pas que Roulans en 1999 avait défié la République et remplacé la Marianne officielle, en l’occurrence Laëtitia Casta, par son propre buste de Marianne à effigie d’une Roulanaise locale... Ce fut toute une histoire.
LE CONTEXTE.
À l'orée de l'an 2000, l’État souhaite changer le visage de la Marianne républicaine et organise un vote auprès des maires français pour choisir qui l'incarnera. À Roulans, le maire Georges Mailley, élu RPR depuis 1977 de la petite ville de 1005 habitants (à l'époque), ne sait pas qui choisir.
Il décide d'entrer en résistance et organise un référendum pour demander à ses concitoyens de voter pour la Marianne qui ornera la mairie parmi les Roulanaises. Dans une interview accordée au journal Le Pays, le 16 octobre 1999, il déclare sur le ton de la boutade : « Au départ, j'avais dit sur le thème de la plaisanterie qu'à Roulans, on avait assez de belles femmes pour faire une Marianne et puis finalement l'affaire a été lancée ». L'article poursuit : Les Roulanaises sont invitées à s'inscrire, "sans précision d'âge" à la mairie. Une simple photographie suffit. L'élue sera désignée par les habitants et le buste réalisé par un tailleur de pierre local. »
L'initiative intrigue, au point de devenir une affaire nationale. Le quotidien Le Monde lui consacre un article le 11 novembre 1999. « J'ai joué l'homme qui dit "Non" », plaisante le maire dans les colonnes du quotidien, « Marianne, c'est le symbole de notre République. Elle n'a pas à être personnalisée de cette manière. »
Alors que Laëtitia Casta est choisie officiellement, Roulans organise un référendum exclusivement réservé aux femmes de la ville. L'élection se déroule le dimanche 14 novembre 1999, de 9 heures à 18 heures. Évidemment, l'affaire qui fait grand bruit attire les médias et la presse. Mais le maire leur réserve un accueil glacial.
En effet, il a vendu l'exclusivité à TF1, plus précisément à la société de production de Julien Courbet chargée de filmer l'élection de la Marianne roulanaise. Le maire a reçu la modique somme de 7000 francs (environ 1050 euros) pour réserver les images jusqu'à leur diffusion prévue le 13 janvier 2000. Soit 2000 francs pour la commune et 5000 francs pour financer un voyage scolaire. Un coup médiatique qui permet à la ville d’acquérir une petite notoriété. C’est ce que nous racontent les archives qui ont immortalisé ce (grand) moment de marketing communal.
LES ARCHIVES.
Le jour J, devant la mairie, l'ambiance est électrique. C'est ce que montre le reportage de FR3 Besançon ce jour-là. Une archive à découvrir en tête d'article. Le reportage mouvementé relate comment ce « village d’irréductibles Gaulois » a choisi d’élire sa propre Marianne « dans la sérénité », ou presque…
En effet, le maire de Roulans compte bien faire respecter son contrat d'exclusivité avec Julien Courbet et contraindre le reste de la presse, même locale. Ce choix assumé empêche les JT de TF1 et de FR3 Besançon de réaliser leur sujet. L’affichette « caméras interdites à l’intérieur de la mairie » trônant sur la porte d’entrée du bâtiment municipal est explicite. L’équipe locale de FR3 est sortie manu militari de la mairie.
Une situation, qui, on le sent bien dans le commentaire de FR3, agace la journaliste : « Marianne qui, avant même d’être élue, a été vendue à une société privée ». Le maire, lui, n’en démord pas : « Ils ont payé ! Foutez-moi le camp ! Je suis maître de ma mairie ! »
La porte est claquée devant la caméra : donc pas d’images. Et pas d’interviews non plus, car la population a été priée de se taire. Ce qui a le don d'exaspérer la journaliste, on le sent, agacée : « Libre et indépendante, la République est tombée bien bas, victime des sirènes d’un showbiz qu’elle disait pourtant honnir » ironise-t-elle. Éconduite, elle conclut en évoquant « l’aumône reçue par un élu naïf qui croyait bien faire ».
Pas de passe-droit pour le JT de TF1
L'archive ci-dessous, extraite du JT de 13h de TF1 du 15 novembre, présente un Jean-Pierre Pernaut peu habitué aux rebuffades des élus locaux : « Notre équipe, comme les autres, a été accueillie par des insultes ». Le présentateur vedette s’étonne que « monsieur le maire ait refusé l’accès de la mairie, un bâtiment pourtant public. »
Doubs : Marlène choisie pour Marianne du village de Roulans
1999 - 00:00 - vidéo
Il nous faut attendre janvier 2001 pour découvrir dans nos archives le visage de la Marianne de Roulans à l'occasion d'un nouveau « coup de com' » de monsieur le maire. Cette fois, l’édile tente de relancer la notoriété de sa ville en éditant des timbres représentant sa Marianne. Pour lui, il n’est question que de marketing, « une notoriété, il faut la garder puis l’amplifier ». Ce reportage est l'occasion de découvrir le buste réalisé à partir des traits de Marlène Laffond, une vendeuse de 26 ans. Pour elle, le tapage médiatique réalisé autour de son élection a été « excessif », déclarant un peu gênée : « Ça devait être intime et ça a pris des proportions extraordinaires ! » Entre temps, elle aura toutefois rejoint les services d'une autre municipalité...
La Marianne de Roulans
2001 - 00:00 - vidéo
