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Argentine : comprendre l'influence passée et présente de Juan Perón

Argentine : comprendre l'influence passée et présente de Juan Perón

Dimanche 19 novembre, le candidat d'extrême droite Javier Milei a été élu président de l'Argentine. Il faisait face à Sergio Massa et succédera à Alberto Fernández, tous deux proches du courant politique péroniste. L'élection de Milei peut s'expliquer par la volonté des Argentins d'en finir avec ce courant historique, aussi appelé justicialisme et hérité de Juan Domingo Perón, qui gouverna le pays pendant près de 10 ans après la Seconde Guerre mondiale. Retour en archives sur un concept majeur de l'histoire politique de l'Amérique latine.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 21.11.2023
Juan Peron : Le retour de l'exilé - 1972 - 09:40 - vidéo
 

L'ACTU.

Un véritable séisme politique a eu lieu dimanche 19 novembre 2023 en Argentine : le candidat libertarien, d'ultra-droite et aux frasques répétées Javier Milei a été élu président avec près de 56 % des voix. Celui qui proposait de dollariser l'économie argentine ou encore de couper « à la tronçonneuse » dans les services publics, a remporté cette élection face à Sergio Massa, candidat péroniste. Javier Milei succédera à Alberto Fernández.

La situation économique désastreuse de l'Argentine, victime d'une inflation jamais vue depuis les années 1990, peut expliquer le vote des Argentins pour l'excentrique candidat Milei, parfois comparé à Bolsonaro ou Trump. Mais il est également possible d'y voir un certain «dégagisme», la volonté d'en finir avec le péronisme, ce courant politique historique en Argentine.

LES ARCHIVES.

« L'Argentine a préparé avec fièvre et anxiété le retour de Juan Domingo Perón. Après 17 ans d'exil, le leader suprême revient à Buenos Aires. » Nous sommes en 1972. L'ex-dirigeant phare argentin est de retour après des années loin du pays. Sa popularité n'a pas faibli. Le document proposé en tête d'article a été diffusé par l'ORTF à l'aube d'une nouvelle ère péroniste.

Il permet de comprendre qui est Juan Perón et comment s'est développé dans son sillage l'un des courants politiques majeurs d'Amérique latine. Le péronisme ou justicialisme est encore aujourd'hui un marqueur majeur de la vie politique argentine : on est péroniste, on est anti-péroniste ou on prétend dépasser ce clivage.

Qui était Juan Perón ? « Fasciste, ce dictateur le fut peut-être. Démagogique, il le fut sans aucun doute. Populaire, il le reste indubitablement », décrivait le commentaire dans l'archive ci-dessus. Un véritable « mythe », même de son vivant.

« Ce mythe est né le 17 octobre 1945. Perón, encore colonel, avait été incarcéré par la junte militaire encore au pouvoir parce qu'il était jugé trop ambitieux. Pour le délivrer, des centaines de descamisados, de "sans-chemises" déferlent sur Buenos Aires. Les généraux prennent peur, ils nomment Perón chef du gouvernement provisoire. »

Un militaire au service des classes populaires

Le discours en faveur de la justice sociale du militaire avait su toucher les classes populaires. « Suspect aux possédants, aux riches, à l'armée, Perón s'appuie sur le petit peuple. », décrivait l'archive. En février 1946, Juan Domingo Perón remportait les élections et entamait son premier mandat présidentiel en juin. Il œuvra en faveur des ouvriers, avec des améliorations de leurs conditions de travail et des salaires, participa à renforcer les syndicats, élément clé du péronisme.

Aux côtés du président, il y avait sa femme, Eva Perón, à qui il dut une grande partie de son succès. Surnommée Evita, « de sa voix rauque et passionnée, elle mobilise les habitants des bidonvilles. Elle sera la première ambassadrice de Perón. Franco lui fait un accueil triomphal. Le pape la reçoit avec cordialité. »

Juan sans Evita

À peine son mari réélu en juin 1952, Eva Perón mourrait en juillet d'une leucémie. « Vénérée de son vivant, elle est à sa mort littéralement sanctifiée. L'Argentine la pleure, Perón impose un deuil national de 30 jours. » Sa popularité avoisinait le culte de la personnalité. Sans Evita, Juan Perón perdit en maitrise de sa politique. Notamment, ses relations avec l'Église catholique, institution très importante dans son pays, se tendirent.

Ainsi, « la disparition d'Eva Perón marque le début du déclin. L’ère de prospérité a pris fin. L'Argentine qui avait pu fournir l'Europe en viande et produits agricoles connait une chute brutale de ses exportations. Les deux grands principes de Perón, justice sociale et nationalisme économique sont battus en brèche. Perón livre à une compagnie américaine le pétrole argentin et bloque les salaires. »

Deux tentatives de putsch militaire échouèrent, un troisième parvint à renverser Perón. « En 1955, l'idole tombe. » Il fut condamné à l'exil par le nouveau pouvoir et le Parti justicialiste fut interdit. Le terme « péronisme » également. Et pourtant, selon l'archive ci-dessus : « Jamais exilé n'aura exercé sur son pays aussi forte influence. Isabel, la troisième femme du dictateur, joue aussi un grand rôle. »

Juan Perón prépare son retour

En Argentine, à partir de là et jusqu'au retour de Juan Perón, ce fut la valse des présidents. Pour l'homme politique, qui dans l'archive en tête d'article était interrogé juste avant son retour, cette situation était synonyme de chaos. « Quand, en 1955, le gouvernement justicialiste tomba, il y avait une organisation financière qui fonctionnait et empêchait la décapitalisation du pays, la fuite de capitaux. (...) Qui permettait aux habitants de vivre dignement, c'est-à-dire une économie d'abondance, expliquait Juan Perón, Quand nous tombâmes, nos adversaires détruisirent toutes ces organisations et ne créèrent rien d'autres pour les remplacer. »

Plus nuancé, le commentaire résumait ces 17 années de pouvoir anti-péronistes dirigé par les militaires : « Tout en voulant éviter les contradictions du péronisme, elle se refuse à prendre les décisions radicales nécessaires, tant en matière sociale que politique. » Ce qui menait l'ex-dirigeant à prévoir le pire : « Si dans les jours à venir, on ne prend pas des mesures pour arrêter ces états de chose la situation en Argentine pourrait bien dégénérer en une guerre civile ».

« Général avez-vous été fasciste ? »

Culte de la personnalité, autoritarisme, passion pour les grands rassemblements populaires, ancien attaché militaire à Rome du temps de Mussolini, nationalisme ou encore corporatisme : « Général avez-vous été fasciste ? », demandait le journaliste dans son interview de Juan Perón.

Réponse évasive de l'intéressé : « Je crois que le fascisme est un phénomène purement italien de sorte que le fascisme en Argentine, cela ne peut pas marcher. Le mouvement national justicialiste commence en 1941, la guerre s'achève en 1945 et naturellement traiter quelqu'un de fasciste était une véritable insulte en 1945, c’est pour ça que beaucoup me dirent fasciste. Le temps passa et on me qualifia de communiste. Deux choses aussi contradictoires montrent bien ce qu'il faut penser de telles accusations. » Sous Perón, le multipartisme et les élections furent néanmoins de mise.

L'échec d'un troisième mandat et la dictature

Élu en 1973 pour la troisième fois, Juan Perón mourrait en 1974. Sa troisième épouse Isabel et vice-présidente prit le relai, sans grand succès. Cette nouvelle ère fut celle d'une diversification des positions au sein des forces péronistes, jusqu'à la violence. En 1976, le pouvoir justicialiste fut renversé et une dictature militaire installée. Celle-ci est notamment connue pour avoir normalisé la violence d'État, faisant plus de 30 000 « desaparecidos », des milliers de morts, d'exilés et des centaines de bébés enlevés.

« Le péronisme ne dispose plus d'héritiers naturels »

À l'issue de cette période sombre, 1983 fut le synonyme d'un retour à la démocratie. Comme le racontait l'archive d'Antenne 2 Midi ci-dessous, à la surprise générale, le péronisme ne remporta pas les nouvelles élections. La victoire de Raúl Alfonsín interrompait le « traditionnel face à face entre le parti fondé par le général Perón et les militaires qui à intervalles réguliers reprenaient le pouvoir dans ce pays ». Et l'archive d'en conclure à la fin du péronisme, ce « phénomène parfois quasi mystique, l'adoration par les masses ouvrières d'un homme, de sa femme puis de sa deuxième épouse et veuve. Mais visiblement aujourd'hui le péronisme ne dispose plus d'héritiers naturels ou spirituel ».

Et pourtant, ce mouvement dit sur « le déclin » et « dépassé » avait su s’adapter. Déjà, les années 1960 avaient vu se développer un péronisme révolutionnaire, la mort de Perón laissa le champ libre à une faction d'extrême-droite du péronisme. En 1989 et 1995, Menem, qui inspira un péronisme plutôt de droite, fut élu président. Puis, les Kirchner en 2003, 2007, 2011 furent les représentants d'un péronisme de gauche centriste, le kirchnerisme. En 2019, le parti justicialiste fit élire à la présidence son candidat Alberto Fernández.

Ainsi, si le péronisme des premières années diffère des courants développés à partir des années 1960, il a pu se maintenir grâce à une forme de flexibilité idéologique. L'élection du libertarien Javier Milei en novembre 2023 suffira-t-elle donc à effacer l'ombre de Juan Domingo Perón ?

Qu'est-ce que le péronisme ?

« Plusieurs présidents péronistes après Perón, et on n'arrive toujours pas à savoir précisément ce qu'est le péronisme ». En 2019, l'émission radio « La Marche de l’histoire » proposait une analyse au long court du péronisme et du parcours de Perón. Jean Lebrun y interrogeait Humberto Cucchetti, chercheur argentin : « Les définitions qui tournent autour du phénomène réduise la complexité de presque un siècle de l'histoire. Il y a des caractéristiques qui traversent toute la période. Il faut saisir comment le péronisme évolue ».

Le péronisme est, au départ, ancré dans une époque et la personnalité d'un homme. Humberto Cucchetti expliquait : « Le péronisme, c'est-à-dire un mouvement d'origine personnel qui se fonde sur le charisme d'une personne, du leader, du premier travailleur, mais qui en même temps se fonde sur l'idée de justice sociale. Pourquoi ? Pour se différencier évidemment de la tradition libérale individualiste, mais aussi pour ne pas être confondu avec le socialisme, communisme de l'époque ».

Bien que basé sur un socle démocratique, dans le péronisme « l'aspect plébiscitaire des élections sont fondamentales. » Il s'agit pour Humberto Cucchetti d'une véritable « religion séculière » où Perón avait fini par se définir lui-même comme une « référence sacrée dernière ».

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