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Paul-Henri Nargeolet, le spécialiste du «Titanic» qui le connaît par coeur

Paul-Henri Nargeolet, le spécialiste du «Titanic» qui le connaît par coeur

Le 22 juin 2023, les débris du submersible de la société OceanGate Inc. qui avait disparu depuis le dimanche 18 juin ont été retrouvés. L'appareil a visiblement implosé. Les cinq personnes embarquées à bord sont décédées. Parmi les passagers, il y avait Paul-Henri Nargeolet, un expert en plongée profonde. Il fut l'un des premiers à explorer le «Titanic» dans un submersible de l'Ifremer.

Par Florence Dartois - Publié le 21.06.2023 - Mis à jour le 23.06.2023
 

L'ACTU.

Dimanche 18 juin 2023, cinq membres d’équipage, dont Stockton Rush, le PDG d'OceanGate Inc. et le plongeur professionnel Paul-Henri Nargeolet, avaient embarqué à bord du Titan pour observer l’épave du Titanic qui se trouve à 3800 mètres au fond de l'océan. Jeudi 22 juin, la mort des cinq personnes a été confirmée. Le sous-marin aurait implosé sous la pression.

Non homologué, le petit cylindre blanc dont la coque ultra légère est faite d'un mélange de fibre de carbone et de titane, possédait une autonomie de 96 heures. Avec ses 10 tonnes (la moitié du poids d'un submersible similaire), Titan était capable d’atteindre 4000 mètres de profondeur et de résister à une pression de 400 bars, l’équivalent d’une force de 400 kg par cm². Il était l'un des seuls submersibles à posséder un hublot de 57 cm (contre 15 cm habituellement).

Parmi les passagers se trouvait un spécialiste français de la plongée profonde, Paul-Henri Nargeolet, 77 ans. Ancien officier de marine, il était devenu spécialiste de la plongée à grande profondeur à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et avait été l'un des pionniers de l'exploration du Titanic. L'océanaute possédait une connaissance unique du site ayant participé au total à 8 expéditions entre 1987 et 2021.

Dans l'archive en tête d'article, Paul-Henri Nargeolet racontait sa participation à l'exploration de l'épave du Titanic qui avait débutée neuf ans plus tôt, en 1986, après que l’Ifremer lui ait proposé de diriger les plongées du Nautile sur l’épave.

L'ARCHIVE.

Le 7 janvier 1998, invité du journal Midi 2, Paul-Henri Nargeolet revenait sur ses différentes explorations et présentait des images alors inédites, rapportées de ses plongées dans l'Atlantique nord, au large de Terre-Neuve, à 3800 mètres de profondeur. C'est là qu'avait sombré le Titanic le 15 avril 1912, après avoir heurté un iceberg.

À l'époque de cette interview, l’océanaute avait réalisé 4 expéditions avec l'Ifremer (1987, 1993, 1994 et 1996). Le spécialiste des sous-marins racontait comment l'Ifremer l'avait recruté, en 1985, pour s’occuper des expéditions sur l’épave dans le Nautile, un bijou de technologie : « l'Ifremer est un des seuls organismes au monde à disposer des moyens pour descendre sur l'épave, qui est à 3800 mètres. Donc c'est comme ça qu'on a commencé. »

L’emplacement du Titanic avait été découvert un an plus tôt, en 1985, par une équipe américaine dirigée par le scientifique Robert Ballard. La mission menée à bord du navire Atlantis II de la Navy disposait alors de deux submersibles : Alvin, un petit triplace en titane d’une envergure de 2,16 mètres et Jason Junior, véhicule télécommandé et autopropulsé de 70 cm, équipé de caméras de haute définition. Cette mission effectua 11 plongées sur le Titanic. Si une centaine d’heures d’images avaient été filmées lors de cette première expédition, aucun objet ne put être ramené à la surface.

En 1987, les Américains demandèrent donc à l’Ifremer de se joindre à une nouvelle campagne de recherche et d’exploration. Pour cette mission, l’Institut mobilisa son navire de recherche, le Nadir et son submersible triplace, le Nautile. On lui avait adjoint un robot autopropulsé et télécommandé, le ROBIN (Robot d’inspection du Nautile), équipé lui aussi de caméras. Paul-Henri Nargeolet a alors dirigé la mission et piloté le Nautile.

Il a été l'un des premiers à découvrir les restes du Titanic et à l'explorer. Dans notre archive en tête d'article, Paul-Henri Nargeolet décrivait son émotion lors de cette première plongée : « On est arrivés sur la partie la plus belle de l'épave qui est l'étrave », la pièce saillante qui forme la proue d'un navire. L’explorateur déclarait que cette étrave était « absolument fabuleuse, d'un point de vue de son état de conservation, c'est vraiment extraordinaire ».

Ce sous-marin est un gaucher

Le Nautile, ce submersible de 8 mètres de long pour 18,5 tonnes, dont la coque était en titane, fut un élément capital de la mission. Capable de descendre jusqu’à 6 000 mètres, il possédait 6 projecteurs, 2 bras manipulateurs et même une ventouse pour prélever les objets les plus fragiles. Le ROBIN, relié au Nautile, se chargerait des images. Du 22 juillet au 11 septembre 1987, au cours de 32 plongées, la première expédition de Paul-Henri Nargeolet récupéra 1800 objets et réalisa 140 heures de prises de vues et 700 photos.

Dans l’extrait ci-dessous, en 1988, Paul-Henri Nargeolet présentait le Nautile dans l'émission « Thalassa ». On découvre notamment l’un des hublots « très épais », capable de résister à une pression de 600 kilos au centimètre carré, un propulseur, un silo de lestage et le système de propulsion du sous-marin.

Le Titanic livre enfin ses secrets

Dans l'archive en tête d'article, s'appuyant sur les images diffusées, Paul-Henri Nargeolet précisait l’objectif des expéditions. Il s’agissait d’explorer les deux morceaux de l’épave « distants de 800 mètres l'un de l'autre » et de récupérer des objets, « de façon à pouvoir maintenir en vie la mémoire du Titanic et donc de pouvoir faire des expositions pour que tout le monde puisse voir des objets provenant de ce bateau ».

La suite du reportage montrait des images qualifiées par le journaliste Patrick Chêne de « bouleversantes ». Au premier plan apparaissait le bras articulé du robot ROBIN manipulant avec délicatesse des objets aussi fragiles que des assiettes ou des verres.

Le robot muni de projecteurs puissants et de caméras avait également dévoilé l'intérieur du navire. C'était une première. Et c'est encore ému que Paul-Henri Nargeolet commentait les images du grand escalier, qui serait plus tard immortalisé dans le film de James Cameron. Au sol, on apercevait encore de nombreux objets : « on voit ce qu'on retrouve au fond. Ce sont des objets qui sont éparpillés dans un champ de débris et à l'aide des bras du sous-marin, on pose à l'extrémité du bras une suceuse, une ventouse, qui permet d'attraper des objets sans les casser. Là, ce sont des plats à œufs. Il y en avait 240 de ce type-là. On les a tous remontés sans casser un seul. Donc il faut beaucoup de dextérité de la part des pilotes », ajoutait-il.

Paul-Henri Nargeolet venait d'achever sa quatrième expédition, organisée du 1er au 30 août 1996. Cette fois, ils avaient remonté l'énorme morceau de coque de 18 tonnes !

L'ultime expédition avait était déterminante, car elle expliquait enfin les circonstances exactes du naufrage, au point que James Cameron s’était basé sur ses conclusions pour modifier son scénario. « L'idée de départ de cette expédition, c’était de trouver les raisons exactes du naufrage, de voir, à travers les sédiments, de retrouver cette fameuse brèche, qu’on ne pouvait pas voir, mais dont parlait la commission d'enquête ». Une brèche, qui de fait, n’avait jamais existé !

Des objets présentés au public

Près de 5500 objets ont été remontés à la surface au cours des quatre campagnes de l'Ifremer dirigées par Paul-Henri Nargeolet. Certains ont permis d’étudier la structure du bateau, d’autres d’en savoir plus sur l'intimité des passagers, la vie à bord du Titanic. En 2013, une grande exposition se tenait à Paris pour présenter ces objets et la fameuse coque de 18 tonnes ! L'archive ci-dessous revient sur cet événement. Paul-Henri Nargeolet évoquait alors la fragilité de ces reliques revenues à la vie.

Exposition sur le Titanic
2013 - 02:21 - vidéo

Exposition sur le Titanic à la porte de Versailles avec de très nombreux objets ayant été repêchés de l'épave. Avec le témoignage d'une fille d'un rescapé, alors enfant.

« Le rêve devient réalité »

En 2009, à l'occasion des 97 ans du naufrage, la Cité de la Mer de Cherbourg organisait une journée spéciale Titanic, avec Paul-Henri Nargeolet. Sur France 3, il décrivait avec beaucoup d'émotion sa découverte de l'épave, notamment de l'étrave, qu'il décrivait avec de nombreux détails. L'occasion de découvrir des photos inédites des objets et du bateau, issues de sa collection personnelle, qui seraient présentées dans la soirée, dans un film réalisé par le plongeur. Il expliquait aussi, pourquoi, selon lui, le Titanic fascinait toujours autant le public.

Le Titan : une nouvelle aventure

Aujourd’hui, Paul-Henri Nargeolet est responsable des opérations sous-marines de la société RMS Titanic, propriétaire des droits sur l’épave.

En août 2019, il avait encore participé à une expédition dans le cadre de la campagne « Five Deeps » de Victor Vescovo. Il avait effectué cinq plongées sur le site du Titanic et avait observé « l’évolution de la détérioration de l’épave, dont l’acier est en partie "consommée" par les bactéries Halomonas titanicae », comme il l'avait précisé dans une interview mise en ligne sur le site de la Cité de la Mer de Cherbourg.

Dans cette interview, il évoquait également sa dernière plongée de l’été 2021, avec l’expédition « Titanic Survey 2021 », organisée par la société américaine OceanGate, dans le sous-marin cinq places Titan. Celui-là même qui vient de disparaître. Voilà ce que l'explorateur disait de ses innovations technologiques : « une coque en fibre de carbone qui permet un gain de poids important par rapport à une coque en acier ou en Titane ; un régleur souple réversible pour la pesée fonctionnant à l’air jusqu’à 3800 mètres. Ce régleur permet un réglage très fin de la pesée. Autre innovation, toutes les commandes du sous-marin passent par un réseau Wi-Fi y compris celles du pilotageJ’ai été satisfait de pouvoir tester et voir fonctionner ces innovations », concluait-il.

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