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Décryptage de la «violence légitime» de Max Weber

Décryptage de la «violence légitime» de Max Weber

En 2020, Gérald Darmanin a déclaré que « la police exerce une violence, certes, mais une violence légitime. C’est vieux comme Max Weber ». Mais à quoi faisait-il référence ? Réponse en archives.

Par Florence Dartois - Publié le 29.03.2023

Une manifestation de journalistes à Paris, le 4 juin 1971. Crédits : INA / Jean-Baptiste Servant.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait utilisé cette notion de « violence légitime » devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 28 juillet 2020, alors qu'elle l'interrogeait sur le recours de la police à la violence à la suite de la mort de Cédric Chouviat. Il déclarait alors que la police exerçait « une violence, certes, mais une violence légitime ». Des propos qui avait fait réagir.

Le ministre de l’Intérieur faisait référence au sociologue allemand Max Weber, qui, dans une conférence en 1919, avait attribué le monopole de la violence au seul État : « L’État est cette communauté humaine, qui à l’intérieur d’un territoire déterminé […], revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime. » Mais l’État a-t-il tous les privilèges, dont celui de la violence et peut-il en priver ses opposants ? En parlant de « violence légitime » et de « violence illégitime », Max Weber donnait-il un blanc-seing aux autorités pour user de violence, policière en l’occurrence, comme semble le penser les hommes politiques qui lui font référence ?

Il semblerait que non, comme l'expliquait deux spécialistes de Max Weber dans l'émission de radio « À voix nue » diffusée sur France Culture le 6 juin 2006. Dans la première archive audio à écouter ci-dessous, Catherine Colliot-Thélène, professeur de sociologie du droit, précisait à Christine Goémé que ce lien qu’il établissait entre « État » et « violence », il fallait le comprendre comme une définition sociologique, à travers le prisme de l’analyse de l’histoire du Droit et des institutions politiques et de la « formation de la modernité occidentale » que faisait Max Weber au début du XXe siècle. L'émergence d'un État moderne ne pouvait selon lui s'établir qu'à travers un recours à la contrainte, voire à une certaine violence légitime. Il ne prônait donc pas la violence, il la constatait.

Selon Catherine Colliot-Thélène cette définition sociologique permettait à Weber de différencier l’Etat d’autres institutions. Par cette notion de « violence légitime », il décrivait « l’Etat moderne comme un organe qui avait réussi à monopoliser la garantie des droits qui, auparavant, appartenait à des corps ou des instances différents ». Il décrivait ainsi un « processus d’unification du pouvoir politique qui correspondait à la genèse de la modernité ».

Dans cette même émission, Christine Goémé demandait à Isabelle Kalinowski, traductrice de Max Weber et sociologue, si le penseur allemand pouvait être considéré comme un « théoricien de la violence ». La sociologue expliquait que cette violence évoquée par Weber n’était pas un appel à « une violence physique » facilement repérable, mais bien « une violence symbolique ». À travers la sociologie, Weber essayait d’expliquer le phénomène de « dominants, en nombre restreint, qui exercent une violence sur des dominés » et de comprendre pourquoi il n’y avait pas « davantage de révoltes, pas davantage de révolutions ».

Weber, théoricien de la violence
2006 - 02:23 - audio

En parlant de « violence légitime », Max Weber tente d’expliquer comment « les révoltes et révolutions étaient réprimées, comprimées, en quelque sorte avalées à travers l’exercice de la violence symbolique, qui fait que les dominés deviennent finalement les acteurs de la violence qui est exercée contre eux. C’est ce mécanisme retord que Weber s’attache à décrypter dans toute son œuvre ».

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