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Gabriel García Márquez : «J'essaie de restituer une réalité révoltante»

Gabriel García Márquez : «J'essaie de restituer une réalité révoltante»

Il y a 10 ans, le 17 avril 2014, mourait l'auteur colombien Gabriel García Márquez. En 1982, il avait reçu le prix Nobel de littérature. Juste après la remise de son prix, TF1 l'interrogeait sur son écriture, son rapport à l'Amérique latine et l'engagement.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 17.04.2024
Gabriel Garcia Marquez sur l'Amérique latine - 1982 - 00:00 - vidéo
 

Il y a dix ans, la figure majeure de la littérature latino-américaine Gabriel García Márquez disparaissait à l'âge de 87 ans. D'abord journaliste, également scénariste pour le cinéma, c'est son talent d'écrivain qui le mena à la postérité. En 1967, l'auteur colombien publiait son roman le plus remarqué : Cent ans de solitude. En 1982, ce maître du réalisme magique obtenait le prix Nobel de littérature.

À peine récompensé, TF1 s'entretenait avec lui dans une longue interview dans la langue natale du romancier. Dans l'extrait en tête d'article, également traduit et retranscrit ci-dessous, il disait son attachement pour le réalisme et l'impératif de l'engagement des hommes et femmes de lettres sud-américains.

Gabriel García Márquez - « Quand André Breton est venu à Mexico, en voyant la réalité mexicaine, il a avoué que, finalement, le surréalisme avait été inventé ici. Pour nous, ce n'est pas du surréalisme, c'est notre réalité quotidienne. Nous y vivons. Je me considère comme un écrivain réaliste et me définis comme tel. Il n'y a pas une seule ligne de mes livres dont je ne sois pas capable de déterminer exactement de quel fait réel il s'inspire.

Journaliste - Cette Amérique latine qui inspire votre œuvre, aujourd'hui, en 1982, de quoi est-elle faite ?

Gabriel García Márquez - Nous sommes des pays en formation, des volcans en ébullition. Mais dans une situation beaucoup plus confuse et complexe que d'autres pays sous-développés. Car le problème que nous avons en Amérique latine n'est pas un problème de sous-développement à proprement parler ou comparable à celui de l'Afrique noire par exemple, mais plutôt celui d'un développement inégal. Quelques zones chez nous sont au niveau européen, au niveau des États-Unis. Tandis que d'autres souffrent de la plus grande misère. Je crois que c'est à cause de l'inégalité de répartition des richesses. Ici, il y a une grande concentration du pouvoir. Et, il y a également une concentration des richesses dans les mains de ceux qui ont le pouvoir beaucoup plus grande, beaucoup plus contrastée que dans les pays en développement.

Que mes livres tournent autour de la mort, c'est aussi un reflet de notre réalité. Je crois que tous les hommes vivent près de la mort, mais rarement dans la même mesure qu'en Amérique latine. Ici, la mort est bien plus proche. Comme nous le disons ici, la muerte, la tenemos detrás de la oreja. Pour nous la mort n'est pas quelque chose de métaphysique, c'est un fait réel, concret, une possibilité permanente. J'essaie de restituer une réalité révoltante. J'essaie de la décrire, de la porter à la connaissance de mes lecteurs, de rendre furieux ceux qui la découvrent, de les irriter, de les faire pencher de notre côté.

Le manque de conscience politique en Amérique Latine est tel qu'un écrivain avec la renommée, la quantité de lecteurs dont je dispose, s'il est indifférent à cette réalité, s'il ne participe pas à cette réalité, s'il ne milite pas d'une certaine manière, je considère que c'est un crime. Donc, je suis vraiment forcé d'être engagé. Je pense que si je n'étais pas latino-américain, je ne le serais probablement pas, car je n'aurais pas la vocation pour cela.

Journaliste - Si vous n'étiez pas latino-américain, vous n'auriez pas été l'ami de Castro, de François Mitterrand, l'ami de nombreux révolutionnaires en Amérique latine ?

Gabriel García Márquez - Je ne crois pas, non.

Journaliste - Cela vous est arrivé de dire que vous vous considériez comme révolutionnaire. Vous vous sentez aussi révolutionnaire que ces guérilleros que la télé a montrés dans la montagne du Salvador ?

Gabriel García Márquez - Tant que je fais bien mon travail d'écrivain, je me sens aussi révolutionnaire que ces hommes de la guérilla pour lesquels j'ai beaucoup d'affection et sur lesquels je fonde beaucoup d'espoirs. Je me considère aussi révolutionnaire qu'eux, au même titre que le cordonnier qui fait bien ses chaussures.

Je crois que l'une manière de faire la révolution, particulièrement ici en Amérique Latine, est que chacun fasse son travail au-delà de ce qu'il pourrait faire et de ce dont il se sentait capable. L'erreur est de renoncer à la responsabilité du travail. Je ne crois que je renoncerai pour rien à ma littérature. En écrivant, moi, Gabriel García Márquez, je la crois bien plus efficace qu'un fusil. Chacun doit trouver son front. Et se tromper de front, c'est aussi une erreur révolutionnaire. »

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