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En 2007, un prêtre catholique révélait l'existence de «la Shoah par balles»

En 2007, un prêtre catholique révélait l'existence de «la Shoah par balles»

Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs milliers de juifs ont quitté le pays. Entre la menace des bombardements russes et la montée de l'extrême droite dans certaines régions, ils sont nombreux à fuir. Les juifs d'Ukraine ont sans doute encore en tête le sort subit par leurs ancêtres, victimes du nazisme, durant la Seconde Guerre mondiale. Un documentaire «Babi yar. Contexte» vient de sortir.

Par Florence Dartois - Publié le 09.03.2022 - Mis à jour le 30.09.2022
La Shoah par balles - 2007 - 07:27 - vidéo
 

Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, plusieurs milliers de juifs ont quitté le pays, notamment la communauté juive d’Odessa qui compte entre 30 et 50 000 personnes.

Dans une interview accordée à franceinfo, l’un d’eux a expliqué qu’il ne tenait pas à commenter le terme de « dénazification » employé par Vladimir Poutine pour motiver son « intervention » en Ukraine, expliquant qu’il s’agissait à ses yeux « de la propagande », tout en évoquant la montée de l’extrême droite et la résurgence de symboles néonazis vus sur certains responsables ou combattants.

Ce sujet du néonazisme a de quoi les inquiéter et raviver un souvenir longtemps oublié. Celui de la Shoah. Entre 1941 et 1944, on estime qu'1,6 million juifs d'Ukraine ont été assassinés par balles, lors de l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne nazie.

L’archive en tête d’article, relate le travail d’un prêtre catholique, qui, en 2007, a dévoilé l’ampleur de cette extermination de masse, jusque-là largement oubliée. Durant trois ans, le père Patrick Desbois a parcouru les villages, retrouvé les fosses communes et tenté d'offrir aux disparus une sépulture décente, tout en effectuant un travail de mémoire. Le prêtre a retrouvé et interviewé des centaines de témoins dans les villages où ont eu lieu ces exécutions.

Une extermination méthodique

Le reportage nous mène en Ukraine, ce jour-là, le père Patrick Desbois se trouve à Bakiv, au nord-ouest du pays, il interroge des témoins potentiels des massacres. Notamment Elisabetta, qui à l’époque des massacres avait 20 ans. Elle se souvient que les nazis réquisitionnaient les chefs de village pour recouvrir les fosses et qu’on leur demandait à eux, les jeunes, de recouvrir les corps de sables, « il y avait un son, celui du sang qui bouillonnait sous la terre », déclare-t-elle.

Plus tard, un autre témoin, Nikola, lui aussi adolescent à l’époque, raconte ses souvenirs encore vivaces. Avec des gestes saccadés, il mime les rafales des mitrailleuses.

Dans cette zone, le prêtre estime que 18 000 juifs ont été tués. Avec un capteur de métaux, il recherche des traces matérielles. Comme cette douille allemande retrouvée dans la terre. Une seule douille est utilisée pour une personne, il y aurait donc autant de douilles que de victimes.

Des images d’archives montrent l’invasion allemande de l’Ukraine, et rappellent que deux millions et demi de juifs vivaient là en 1941. Les massacres ont débuté avant la création des camps de concentration. Différentes sections allemandes avaient été désignées pour éliminer toute la population juive. Chaque juif était systématiquement fusillé, c'est ce que l’on a appelé « la Shoah par balles ». Cette Shoah ukrainienne a pu être redécouverte grâce à l’ouverture des archives des pays de l’Est.

Travail de mémoire

En 2007, le Mémorial de la Shoah a consacré une exposition aux travail du prêtre français. A l’occasion de l’inauguration, Simone Veil, ancienne rescapée des camps, découvrait le travail considérable du père Desbois. Devant des portraits de témoins aux visages jovials, elle explique qu'ils n’avaient sans doute pas conscience de la gravité de ce qui se déroulait sous leurs yeux, « ils n’ont même pas de responsabilité car ils ne pouvaient pas se révolter ».

Avec ce travail de mémoire, le père Dubois a redécouvert plus de 600 fosses. Sa mission est une véritable course contre la montre car les derniers témoins sont déjà très âgés. L’archive que nous vous proposons ci-dessous est une interview du prêtre en plateau, après la diffusion du reportage. A l'occasion de la commémoration, le prêtre a sorti un ouvrage intitulé Porteur de mémoires, dans lequel il raconte sa mission et compile une centaine de témoignages.

Dans cette interview il revient plus précisément sur la genèse de son projet. A l’origine de cette mission, il y a son grand-père qui avait lui-même été déporté en Ukraine et qui lui avait raconté qu’il s’en était sorti car il était catholique. Il lui avait décrit comment les Allemands encerclaient les villages au petit matin, promettant aux juifs de les renvoyer en Palestine.

Au cours de son enquête il a aussi découvert que la décision d’éliminer les juifs avait été prise dès mars 1941 par des cadres et des chefs de commandos. Il dévoile aussi que la décision de construire des camps de concentration avait été prise pour éviter la culpabilité des soldats impliqués dans ces tueries : « Un jour, Himmler a assisté à une exécution. Il a vu des femmes qui allaient être tuées. Il a détourné le visage. On lui a dit "vous fabriquez une armée d'alcooliques", alors il a fait les camps pour protéger le personnel allemand ».

De terribles découvertes

Dans la suite de l'entretien, il explique la méthodologie utilisée : le travail sur les sources, dans les archives allemandes et soviétiques, puis sur place pour le recueil des souvenirs : « On fait un appel à tous ceux qui étaient présents aux exécutions ». Et enfin, la véritable investigation balistique et archéologique pour retrouver les emplacements de fosses et récupérer des objets ayant appartenu aux victimes : « On fait reconstituer le crime avec les témoins. Et pendant ce temps-là, il y a quelqu'un qui fait une recherche des douilles, car les Allemands ont oublié leurs douilles ».

Le prête raconte au cours de cette interview que son enquête lui a révélé une autre terrible vérité, complètement passée sous silence : les victimes, blessées dans le dos, tombaient vivantes dans les fosses et mettaient plusieurs jours à mourir : « La fosse mettait trois jours pour mourir. Dans tous les villages, on nous a dit les gens mouraient par étouffement.»

En conclusion, le père Desbois estimait qu’en Ukraine, il y avait eu au minimum 1 800 000 fusillés, précisant qu'il s'était passé la même chose « en Russie, en Biélorussie, en Roumanie, en Moldavie, en Lettonie, en Estonie. Ce n'est pas un camp, c'est un continent d'extermination. » d'ou l'importance de témoigner, « car il faut que les gens à l'Ouest sachent qu'ici, on dit qu’on a peut-être trop parlé de la Shoah. Là-bas, on n'a pas commencé ».

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