L'ACTU.
En déplacement à Saint-Laurent-d’Agny dans le Rhône, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le 20 janvier 2024 que des séances d’éducation « à la vie affective, relationnelle et sexuelle » feraient partie d’un nouveau programme à l’école primaire, en septembre. Ces temps d’apprentissages seront réalisés à partir de la primaire, tout en précisant que « l’éducation sexuelle, en tant que telle, ce sera au collège et au lycée ».
Le site de l’Éducation nationale précise qu' « au moins trois séances annuelles d’éducation à la sexualité sont mises en place dans les collèges et les lycées. Elles relient et complètent les différents enseignements dispensés en cours ». Il s'agit de l'« EAS » (Éducation à la sexualité) déjà mise en place dans les années 70, mais peu développée en pratique.
LE CONTEXTE.
La relation des jeunes à la sexualité a évolué au cours du XXe siècle, obligeant l'école laïque à tenir compte de cette évolution. Dès 1947, un comité chargé « d’étudier dans quelle mesure et sous quelle forme l’éducation sexuelle peut être donnée dans les établissements d’enseignement » fut créé par arrêté du ministre de l’Éducation nationale. Il fut présidé par Louis François, inspecteur général de l’instruction publique. Son rapport, publié en 1948, indiquait la nécessité de prodiguer une éducation à la sexualité, cantonnée à la biologie. Il soulignait que « les enfants et les adolescents s’instruisaient entre eux de la façon la moins morale et la plus malfaisante ». Mais il resta lettre morte. Le comité considéra que cet enseignement ne pouvait pas encore être appliqué dans la réalité au monde scolaire.
Jusqu'aux années 60, l'éducation sexuelle resta tabou. Peu évoquée dans les familles, elle laissait les jeunes, notamment les jeunes femmes, démunis et ignorants. Lorsque l'information était donnée, elle l'était de manière parcellaire, voire orientée, par trois types de personnes comme en témoignent les archives : les médecins, nombreux à intervenir dans les débats, les curés, souvent soucieux de préparer les couples à la vie maritale, mais le plus souvent à freiner l'usage des méthodes contraceptives, et les féministes qui souhaitaient éduquer leurs enfants et informer les filles sur la contraception ou l’avortement.
Les premières expérimentations
Bien que disparates, les réflexions menées dans l'enseignement donnèrent naissance à de nombreuses expérimentations et débats nés d’initiatives isolées d’enseignants, d’éducateurs ou d’organismes spécialisés. L'archive ci-dessous est un bon exemple de ce type d'expérimentation. Ce reportage est extrait de l'émission « Procès » d'avril 1972. Ce programme original présentait le débat sur l'éducation sexuelle sous la forme d'un procès, avec les accusés, les défenseurs et opposants à l'éducation sexuelle. Les séquences de tribunal étaient illustrées de courts reportages. Ici, par exemple, une séquence censée appuyer le camp des « pro éducation sexuelle », avec une expérience décrite comme avant-gardiste. Elle se déroulait dans un collège. « Ici, on appelle les choses par leur nom », dans la salle de classe, des collégiens assistaient à un cours d'éducation sexuelle mené par deux parents d'élèves. « Les ricanements stupides, les plaisanteries de corps de garde qui ont tenu lieu à l'éducation sexuelle de la plupart d'entre nous auront perdu, pour ces enfants, toute raison d'être après quelques séances », précisait le commentaire.
Les deux animateurs décrivaient les avantages de cette initiation précoce. Elle répondait aux attentes des enfants, avec des questions posées en toute confiance et des réponses simples. Ce jour-là, le thème étudié était le baiser sur les lèvres...
Un cours d'éducation sexuelle dans un collège
1972 - 00:00 - vidéo
« Les jeunes sont beaucoup plus intéressés par ce qui gravite autour de l’affectif, que la biologie ».
La circulaire Fontanet
Les années 60-70 vont apporter leur lot de révolutions et changer la donne : l'ouverture du premier planning familial en 1961 et sa célèbre campagne « Un enfant si je veux quand je veux », la légalisation de la contraception (Loi Neuwirth en 1967), la « libération sexuelle » revendiquée par la jeunesse de Mai 68, ou la lutte féministe en faveur de l'avortement firent évoluer le regard d'une partie de la société. L'évolution des mœurs poussa l'école à organiser de manière plus pragmatique l’éducation à la sexualité.
Son enseignement obligatoire fut mis en place à la rentrée 1973, en application de la circulaire Fontanet du 23 juillet 1973, du nom de Joseph Fontanet, ministre de l’Éducation nationale. Il est le premier à véritablement définir une vraie politique d’information et d’éducation sexuelle en milieu scolaire.
Son projet mixait deux manières d'aborder l'enseignement : l'information et l'éducation. Dans la circulaire, il était établi que l'« information sexuelle obligatoire » serait prodiguée au collège, en 6e et 5e, par des professeurs de sciences naturelles. Cet enseignement passerait essentiellement par la physiologie et la biologie.
Le second volet du texte concernait l'« éducation sexuelle ». Ces ateliers ou conférences facultatifs seraient donnés en dehors des heures de cours obligatoires. Ils devaient permettre de tenir compte de la diversité et de la variété des opinions et convictions morales et religieuses des familles. Dans l'esprit de Joseph Fontanet, les parents seraient associés à ces cours et les intervenants recevraient une formation pour permettre de traiter « ces matières avec le tact et la prudence voulue ». Voilà comment le ministre de l’Éducation décrivait sa réforme dans le « Journal de la nuit » en juillet 1973, quelques semaines avant la rentrée.
M. Fontanet sur l'information sexuelle à l'école
1973 - 00:00 - vidéo
« L'information [sexuelle] entrera dans le cadre de l’enseignement des sciences naturelles. Elle portera sur les réalités anatomiques, physiologiques de la procréation humaine... nous estimons qu’une telle information doit être graduée par l’âge des élèves. Leur capacité de compréhension est progressive ».
Une réforme discutée
Cette petite révolution provoqua un débat animé dans la société. Il opposait les partisans de l'enseignement à la sexualité aux farouches opposants. Une opposition parfois étonnante comme le montre certaines archives. La télévision s'empara de ce débat dès la préparation de la circulaire, en 1972. Les deux archives qui suivent illustrent les deux points de vue. Des témoignages extraits de l'émission « Procès » du 25 avril 1972.
La première séquence est le témoignage positif d'un jeune étudiant de 20 ans. À 15 ans, il avait bénéficié d'un cours d'éducation sexuelle de quatre fois une heure, animé par un psychologue. Pour lui, l'expérience avait été positive et enrichissante et avait levé plusieurs interrogations : « Ça a été une libération vis-à-vis des parents, les rapports se sont détendus… personne n’a été choqué. »
Un étudiant parle des cours d'éducation sexuelle dans son lycée
1972 - 00:00 - vidéo
Le second reportage est plus étonnant, il a été réalisé dans un café où des jeunes garçons et filles, expliquaient pourquoi ils étaient opposés à l'éducation sexuelle dans les établissements scolaires. Ils arguaient que la sexualité devait se découvrir seul, comme cela avait été le cas depuis des millénaires et décrivaient ces cours comme « un embrigadement ».
Des jeunes contre les cours d'éducation sexuelle
1972 - 00:00 - vidéo
« Je ne me vois pas poser des questions intimes avec 40 camarades autour de moi », « il faut le laisser découvrir tout seul... il se rendra compte de ses erreurs », « On s’en est pas mal sorti depuis des milliers d’années », « Pour tout, on veut absolument nous embrigader », « On a besoin d’hommes responsables, au lieu d’aller au cours d’éducation sexuelle comme on va en vacances dans un club de vacances organisées. Ça c’est quelque chose que je refuse absolument »(les garçons)
« Il faut avoir sa propre expérience », « c’est fini, y’a plus de rêve ! » (les filles)
L'information sexuelle s'installe à l'école
« Une évidence, l'information sexuelle à l'école, ce n'était plus possible d'y échapper. Les quelques élèves de sixième et cinquième qui auraient encore des doutes sur les choux et les roses seront fixés une bonne fois. C'étaient des blagues. En "Sciences nat", ils étudieront les mécanismes de la procréation d'une manière exclusivement scientifique, précise la circulaire ministérielle ».
À la rentrée 1973, la « circulaire Fontanet » qui instituait l'information sexuelle dans le secondaire, au collège et au lycée, accaparait toutes les conversations et les JT. Élèves, enseignants et parents découvraient ses contours et dévoilaient leurs ressentis. C'est ce type de reportage que propose l'archive disponible en tête d'article. Elle est extraite du JT de 20 heures du 16 décembre 1973. Le panel interrogé est un bon condensé du débat qui agitait les cours de récré et les salles des profs. Une belle illustration des peurs, des incompréhensions.
Les moins stressés étaient peut-être les plus jeunes qui se déclaraient globalement informés (parfois, mais pas souvent) par leurs parents, (enfin les mamans), et (surtout) par les copains. Globalement satisfaits de l'information « physiologique », ils réclamaient aussi « l'aspect affectif et moral ». Certains appréciaient la reconnaissance de leur intelligence et de leur maturité. D'autres encore confiaient leur envie d'interroger des médecins plutôt que leurs professeurs.
Dans la nouvelle circulaire, seule l'information sexuelle était obligatoire, mais pas l'éducation sexuelle. Malgré ces précautions, plusieurs fois réitérées par le ministre de l’Éducation, la frontière était ténue, voire impossible à établir, même pour les professeurs. Dans cette archive, ils confiaient leurs inquiétudes. Les enseignants interrogés ne cachaient pas un certain « trac » et une difficulté à trouver le bon discours face à une classe aux convictions diverses. L'un deux décrivait ainsi son anxiété : « Je suis pour l'éducation sexuelle à l'école, mais je crois qu'il faut l'aborder d'une manière très prudente et c'est d'ailleurs pourquoi nous sommes tous actuellement presque angoissés sur la manière dont nous allons l'aborder. » Il était aussi question de la maturité des enfants, de leur naïveté (supposée), constituant, pour certains, un obstacle de poids à l'éducation sexuelle. Ces cours semblaient être considérés comme l'occasion de poser des « mots précis » sur des « choses sexuelles ».
Sur un étrange choix d'images d'illustration - des façades de sex-shops et de cinémas pornos -, le commentaire poursuivait : « Et les parents ? On leur a souvent reproché leur silence aux questions posées par leurs enfants dans le domaine de la sexualité. » Dans ce reportage, les avis étaient plutôt positifs. Certaines mamans (aucun papa n'avait été interrogé) trouvaient cette information indispensable « puisque les parents ne la font pas », et souhaitaient même qu'elle débute « en primaire », devançant sur ce sujet de plusieurs années les directives de Gabriel Attal.
Un cours type
À quoi ressemblait ces premiers cours d'information sexuelle dispensés en cours de biologie ? L'archive ci-dessous nous fait découvrir le programme, les manuels utilisés et le déroulement d'un cours.
L'Education sexuelle à l'école
1974 - 00:00 - vidéo
Une éducation peu dispensée
Faute de formation appropriées, la circulaire Fontanet sur l'« information et éducation sexuelle » n'a pas tenu ses promesses. L'information s'est cantonnée à quelques heures en cours de biologie, quant aux séances d’éducation, elles n'ont été que rarement mises en œuvre. Aujourd'hui encore l'éducation à la sexualité reste anecdotique et cantonnée au seul cours de SVT. Une enquête de l’Inspection générale de 2021 a établi que seulement 15% des écoliers et lycéens bénéficient des trois séances annuelles obligatoires d’EAS, à nouveau imposées par la loi depuis 2011. Au collège, seuls 20% des élèves ont reçu cet enseignement.
Depuis 1974, plusieurs circulaires ont tenté d'assurer la pérennité de l'information sexuelle à l'école, avec un texte important en 2001. La loi no 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception rendait une nouvelle fois obligatoire l'information et l'éducation sexuelles dans les écoles, les collèges et les lycées (au moins trois séances annuelles). L’objectif était double : répondre à un plus large éventail de sujets de santé publique (grossesses précoces non désirées, infections sexuellement transmissibles dont le VIH/sida), tout en intégrant des problématiques plus sociétales sur les relations entre garçons et filles, les violences sexuelles, la pornographie ou encore la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes. Un an après le vote de la loi, seules certaines écoles offraient une information sexuelle adaptée. Dans le primaire, l'initiative était laissée au bon vouloir des écoles.
Pour accompagner les enfants dans la découverte de leur corps, les sensibiliser sur des comportements à risque et les inciter à aborder ces questions en famille, les infirmières de l'école primaire arménienne de Lyon dispensaient un cours d'éducation sexuelle. France 3 Lyon filmait quelques échanges de ce cours.
Education sexuelle à l'école primaire
2002 - 00:00 - vidéo
Aujourd’hui, avec le développement de la pédo-pornographie et de l'accès facilité au porno sur Internet, ce n'est plus le manque d'information sexuelle qu'il faut combler, mais bien une sensibilisation accrue aux dangers inhérents à la sexualité et à ses dérives. Des thématiques évoquées par Gabriel Attal dans sa déclaration du 20 janvier : « On doit apprendre à l’école primaire le respect de l’intégrité du corps, le fait qu’on ne peut pas atteindre à cette intégrité. Si c’est le cas, ce sont des violences et il faut apprendre aux enfants à les signaler. » Reste à mettre en applications les nouvelles dispositions pour que l'éducation sexuelle fasse réellement partie intégrante des cursus.