La guerre d'Algérie : Paul Delouvrier
35?52 Paul Delouvrier : « Alors il y a eu un instant en suspens extraordinaire. Le mercredi j?ai convoqué tous les colonels commandant les régiments, y compris les nouveaux. Je leur ai demandé s?ils étaient prêts à tirer si j?en donnais l?ordre. Ils m?ont répondu qu?ils obéissaient au général Challe. Puis, le dernier que j?ai reçu, le colonel Argoud, m?a dit très calmement que la situation était tout à fait en ordre, qu?ils attendaient le discours du général de Gaulle, que si ce discours était mauvais, ce serait la rébellion. En revanche, si ce discours était bon, les choses iraient différemment. Je lui ai dit : ?Mais Argoud, vous savez qu?il sera mauvais ce discours. Le Général ne va pas céder à quelques colonels.? À ce moment-là, je note qu?on ne savait pas qui était le prisonnier de l?autre. On se parlait tout à fait, je dirais, en gens du monde, comme des individus qui ont simplement une différence de point de vue. Mais en fait, j?étais prisonnier. Alors Argoud m?a dit que ce qui leur manquait c?était un civil pour régler les affaires à Paris. J?ai rétorqué : ?Vous n?avez pas de civil pour régler les affaires à Paris ? Et Monsieur Soustelle, tout cela ne sert à rien ?? Argoud m?a répondu que le seul civil qui ait du caractère, c?était moi, que je n?avais qu?à venir avec eux et que tout serait réglé. Vous croyez que je lui ai dit qu?il était fou ! Pas du tout. Je l?ai remercié de sa confidence avant de le raccompagner très gentiment. En descendant l?escalier du quartier Rignot, je l?ai remercié d?avoir été aussi clair avec moi et l?ai prié de me laisser réfléchir. C?est Argoud qui m?a déterminé à faire ce discours, à partir d?Alger : ?Officiers, sous-officiers et soldats, dans votre recherche du chef qui sauvegardera les idées de l?armée, vous risquez de l?opposer au chef qui commande à Paris, disons-le brutalement, à vous qui aimez le langage clair. Certains vont oser demander au général commandant en chef de désobéir au président de la République. Mais ici, écoutez-moi bien, on ne peut plus refaire le 13 mai. Vous ne referez pas le 13 mai. Il n?y a pas de De Gaulle en réserve. Et si le président de la République rentrait à Colombey [-les-deux-Églises, lieu de sa résidence personnelle], la France pardonnerait-elle à son armée ? Je m?adresse maintenant aux Européens d?Algérie et avant tout aux Algérois. Si je dois rejoindre le général Challe à son nouveau PC pour retrouver, moi aussi, ma liberté de commandement, je vous laisse, Algérois, le dépôt le plus sacré qu?un homme puisse avoir : sa femme et ses enfants. Veillez sur Mathieu, mon dernier fils. Je veux qu?il grandisse, symbole de l?indéfectible attachement de l?Algérie à la France. Ce dépôt sacré me donne le droit de vous parler de tous points, de toutes villes d?Algérie, comme si je n?avais pas quitté Alger. Et voilà ce que j?ai à vous dire. Je m?adresse à vous tout d?abord, Ortiz, Lagaillarde, et vous, Sapin-Lignières, chef des UT [Unités territoriales], et tous ceux qui sont enfermés dans la faculté comme l?Alcázar de Tolède, prêts à mourir. Je crie à la métropole que je salue votre courage, enfants de la patrie. Eh bien, Ortiz, Lagaillarde, Sapin-Lignières et tous les autres, vous allez réussir. Demain vous allez réussir si vous m?écoutez aujourd?hui. Demain, Algérois, si vous me suivez, demain ou après-demain ou dans les jours suivants, je serai à nouveau parmi vous, ayant, grâce à vous, remis de l?ordre, remis en ordre les affaires d?Algérie pour que la France sauve et garde l?Algérie. Nous visiterons l?Alcázar des facultés, nous serrerons la main à Ortiz, à Lagaillarde et à vous, Sapin-Lignières, chef des UT. ?Rien n?est perdu pour un Français quand il rallie sa mère, la France?, a dit le général de Gaulle dans son allocution de dimanche. Alors nous irons tous ensemble au monument aux morts pleurer et prier les morts de dimanche, morts à la fois pour que l?Algérie reste française et pour que l?Algérie obéisse à de Gaulle.? »
Producteur / co-producteur |
Communauté des radios publiques de langue française, Radio France |
Générique | Réalisateur : Christine Bernard Sugy Producteur : Patrice Gélinet Présentateur : Patrice Gélinet Participant : Paul Delouvrier |
Descripteur(s) | Algérie, Guerre d'Algérie, Politique |