La guerre d'Algérie : Kateb Yacine

Kateb Yacine : " Oui, ce sont des événements qui ont eu lieu à Sétif et à Guelma, deux villes de l'est algérien, et ça a été un massacre ; un véritable massacre qui n'a pas manqué de laisser des traces d'autant plus pour moi que j'ai été touché dans ces deux villes. Cela s'est produit quand j'étais jeune, j'avais 15 ans, donc je ne comprenais pas très bien ce qui se passait mais, grosso modo, c'était la fin de la guerre. La victoire sur les nazis. C'était donc un grand événement, c'était la fête. On entendait sonner les cloches et puis tout de suite la rumeur s'est répandue que le lendemain nous serions libres. C'était un jour de liberté et donc le 8 mai au matin, il y avait une manifestation officielle prévue au centre de la ville et il y avait une manifestation populaire. C'était un jour de grande espérance en un sens pour les Algériens. A Sétif, c'était le jour du marché, un mardi. Il y avait une foule énorme quand j'ai vu venir le cortège. Au début, il y avait des scouts, puis des étudiants, des militants et j'ai reconnu parmi eux des copains de classe. Ils m'ont fait signe et je me suis joint au cortège sans trop savoir ce que cela signifiait et puis tout de suite il a y eu des coups de feu. Après les coups de feu, ce fut la panique. Cette foule énorme qui refluait ; j'ai vu une petite fille qui a été écrasée devant moi. C'était vraiment terrible. Les gens voulaient se sauver dans tous les sens et puis il fallait que je rentre chez moi puisque j'habitais dans un village à quarante-cinq kilomètres de là. Je suis monté à l'avant du car et j'ai alors vu des choses terribles parce que le peuple venait de toute part. J'ai vu cela vraiment comme une fourmilière. La terre est devenue une véritable fourmilière et je me suis demandé d'où venaient tous ces gens. Comment j'avais pu ne pas les voir avant ! On avait l'impression qu'ils sortaient de la terre, de toute part, ça grouillait de partout et puis il y avait des rumeurs folles. Certains disaient que les Turcs avaient débarqué à Bougie, d'autres que toute l'Algérie était libérée. On racontait un tas d'histoires. Et puis il y avait une grande fièvre parce que l'on sentait qu'il s'était passé quelque chose. A l'arrivée au village, cela a été encore plus dur car c'est là que la répression a commencé. On a amené les Sénégalais. C'est une vieille pratique d'utiliser les uns contre les autres. Il y a eu des scènes de viols, il y a eu encore des massacres et on voyait les corps allongés dans des rues. Au retour, j'ai été arrêté. Par la suite, j'ai fait un récit épique de ce qui venait de se passer, le peuple sans armes avec des cannes de paysan... J'ai fait un récit révolutionnaire. Après on me l'a reproché. "