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Portraits d'agricultrices en quête de statut

Portraits d'agricultrices en quête de statut

Mardi 27 février, à 21 h10, France 2 a diffusé le documentaire d'Édouard Bergeon intitulé « Femmes de la terre  » dans lequel il évoque la place des femmes dans l'agriculture et leur combat pour obtenir un statut. En effet, jusqu'aux années 60, l'agriculture était vue comme une affaire d'hommes et le travail des femmes invisibilisé. Les archives témoignent de cette injustice.

Par Florence Dartois - Publié le 27.02.2024
La journée d'une agricultrice - 1961 - 02:08 - vidéo
 

L'ACTU.

Aujourd'hui, un quart des exploitations agricoles est géré par des femmes. Longtemps considérées comme « sans profession », celles que l'on appelait les « femmes d'agriculteurs » ont dû batailler durant des décennies pour obtenir un statut légal et le rang d'agricultrices au même titre que les hommes. Un combat que décrit le documentaire d'Édouard Bergeon intitulé « Femmes de la terre », diffusé mardi 27 février à 21 h10 sur France 2. En effet, jusqu'aux années 60, l'agriculture était vue comme une affaire d'hommes et le travail des femmes invisibilisé. Leur charge était pourtant énorme, cumulant le soin des bêtes, le travail au champ, la tenue de la maison et l'éducation des enfants. Une main d’œuvre non reconnue et gratuite, largement décrite dans les archives.

LES ARCHIVES.

Pour illustrer l'évolution du regard porté sur leur profession, nous avons choisi quelques archives fortes de la vie que menaient les fermières dans la seconde moitié du XXe siècle. La première disponible en tête d'article résume à elle seule le quotidien des paysannes. Nous sommes en 1961, le magazine « Dimanche en France » consacre un sujet aux jeunes des campagnes, dans une période où l'exode rural bat son plein. Pour ceux qui restent, souvent à la ferme, la vie est rude et les conditions d'existence et de travail sont difficiles. Parmi les témoignages ce jour-là, celui d'une jeune femme pas encore mariée qui travaillait avec son frère à la ferme. Levée à l'aube, elle enchaînait les tâches ménagères et le travail de la ferme jusqu'à tard dans la soirée. Voilà comment elle décrivait sa longue journée de labeur, estimant qu'elle avait de la chance, car sa mère, avant elle, travaillait encore plus dur : « Le matin, je me lève à 6 heures et demie, je porte le lait au camion et puis, je prépare le petit déjeuner, je fais la vaisselle, je fais le ménage (...) Je donne aux poules, je donne aux lapins et je fais les lits. Et après, je pars aux champs. Je reviens pour manger. L'après-midi, je repars aux champs après avoir fait la vaisselle et le soir, je reviens (...). Je prépare le dîner et après, je fais la vaisselle. Ou bien, il y a encore des choses pour aider mon frangin : regarder après les génisses dans le parc et après, je peux me coucher... »

Des travailleuses invisibles

Cette journée type est emblématique de la vie des femmes paysannes et de l'absence de reconnaissance qu'elles subirent jusqu'à récemment. Cette exploitation et le mépris ressenti sont également discernables dans le témoignage de l'agricultrice interrogée ci-dessous. L'archive date de 1976, elle est extraite d'un long reportage diffusé dans le JT de 18h30 d'Antenne 2 consacré aux « femmes d'agriculteurs ». À l'époque, l'exode des femmes devient un problème. Dans l'introduction du reportage, le commentaire souligne qu'elles sont « 524 .000 femmes » à avoir quitté la campagne en sept ans pour fuir leurs conditions de vie difficiles. Ce départ impacte directement la natalité des campagnes avec une « baisse de 60 % en 20 ans du taux de natalité des ouvriers ».

Pour illustrer l'origine de l'exode féminin, le reportage propose le témoignage de Madame Alègre dans le Vaucluse. Depuis la mise en place de la TVA, l'exploitante profite de l'heure de la sieste pour se charger de la comptabilité, mais ses nombreuses tâches ne s'arrêtent pas là. « Eh bien, en saison, on se lève vers 5 h et demie et on commence à travailler à 6 h. On va au champ. On va ramasser les melons, les fraises ou les tomates selon la saison. À 8 heures, on revient pour déjeuner, puis je réveille les enfants... »

Sa longue description de la journée se poursuit avec l'éducation des enfants, les tâches ménagères, la gestion des repas, le retour au champ... La jeune femme très lucide se décrit comme « qualifiée », avec le sentiment d'exercer un métier, mais son discours est sans équivoque concernant le regard que la société pose sur elle et ses homologues.

Madame Alègre : « Souvent les femmes d'agriculteurs pendant de nombreuses années ont été considérées comme des ouvriers qu'on ne paye pas. »

Le tournant des années 1970-80

Cette description de la situation correspond bien à ce que vécurent les femmes jusqu'au milieu des années 1970. L'épouse du chef d’exploitation est considérée comme une « simple » aide familiale, qualifiée sur les documents officiels de « sans profession ». Les tâches agricoles ne correspondent pas aux critères sociétaux en vigueur à l'époque, où la place de la femme s'inscrit davantage dans le cadre familial que dans le cadre professionnel.

Mais les choses commencent à bouger à partir des années 1970, avec l'émergence des mouvements féministes et des syndicats professionnels qui légitiment la revendication des femmes pour la reconnaissance de leur travail. En 1973, le statut d’ « associé d’exploitation » est un premier pas vers la reconnaissance d'un statut pour les femmes d'agriculteurs. Un autre pas décisif est franchi en 1980 avec la création du « statut de coexploitante » permettant à la conjointe d’obtenir des droits dans la gestion de l’exploitation. Ce combat a été largement mené par la syndicaliste agricole Anne-Marie Crolais, auteure du livre L'agricultrice.

Originaire des Côtes-d’Armor, elle fut la première femme à présider le Centre départemental des jeunes agriculteurs (CDJA) en 1976. Elle s'est battue pour l’obtention du statut juridique et social des agricultrices, mais aussi pour l'obtention d'un salaire, d'une protection sociale, du congé maternité et de la retraite.

Dans l'archive ci-dessous, Anne-Marie Crolais est reçue dans « Apostrophes » le 5 février 1982. Agricultrice, épouse, mère et militante, elle cumule les casquettes. Dans cet entretien, elle revient sur sa vie d'agricultrice et de militante syndicaliste et raconte ce qui la poussa à militer. Elle évoque ses actions, notamment ses manifestations, en tant qu'élue syndicale et présidente du comité syndical de sa ville.

Vers la reconnaissance

Deux ans après cette interview, en 1986, le débat sur le statut des femmes dans le monde agricole était toujours d'actualité, et était même au centre d'une émission réalisée au Salon de l'agriculture, à regarder ci-dessous. Sur TF1, Annik Beauchamps consacrait son dossier aux femmes agricultrices. En compagnie de Régine Gressier, vice-présidente C.N.J.A, elle évoquait l'absence de statut des femmes dans l'agriculture. Il était notamment question de la difficile formation agricole des femmes et de l'apport de la loi de 1980 apportant à la femme d'exploitation agricole un statut minimum. Un reportage sur une femme d'agriculteur de Seine-et-Marne, Madame Bouteille, décrivait ensuite la volonté des femmes à obtenir un statut, mais aussi la difficile reconnaissance sociale. Le commentaire était particulièrement éclairant : « Au plan social, au plan fiscal, au plan économique, Madame Bouteille n'est rien ! »

De retour au salon, Annik Beauchamps donnait la parole à Régine Gressier et à des agricultrices ou femmes d'exploitants agricoles qui trouvaient la loi de 1980 imprécise, notamment en matière de formation professionnelle et de protection sociale, avec l'absence, par exemple, de retraite complémentaire ou de pension invalidité.

Dossier : Les femmes dans l'agriculture
1984 - 00:00 - vidéo

Madame Bouteille à propos de sa condition : « En tant que femme (...) nous n'avons aucun statut qui reconnait la femme d'agriculteur. »

Un statut officiel et protecteur

La loi du 10 juillet 1982 permet aux femmes d'acquérir un statut de cheffe d’exploitation au même titre que les hommes. Mais la véritable avancée en matière de reconnaissance du travail agricole des femmes date de 1985, avec la création de l’EARL (exploitation agricole à responsabilité limitée). Les conjoints peuvent s’associer légalement. Chacun peut individualiser les taches et les responsabilités. Toutefois, il s’agit toujours d’un statut professionnel à partager avec le mari. En 1988, après 20 ans de luttes syndicales, le décret du 23 février 1988 confère aux agricultrices les mêmes aides à l'installation et les mêmes droits que les hommes. Il s'agit de la DJA (Dotation jeune agriculteur-trice). L'égalité des droits devient une réalité.

« Voilà une révolution dans les campagnes, une évolution dans les mentalités et les comportements (...) Avant, la femme n'était rien ou pas grand-chose. L'homme est le chef d'exploitation, le patron, le maître »... En France, la première agricultrice à bénéficier de ce statut est originaire du Tarn. Elle s'appelle Véronique Aurel. Le 3 mai 1988, le JT Quercy Rouergue Actualités lui consacrait un reportage lors de la remise du chèque de la DJA. Elle avait 22 ans.

Véronique Aurel : « Moi toute seule, je pourrais prendre des engagements, des décisions... ou signer. »

De conjoint collaborateur à cheffe d’exploitation

En 1999, un nouveau pas est franchi. La loi d’orientation agricole donne le jour au statut de conjoint collaborateur. La loi étend au 1er janvier 2006 le statut de conjoint collaborateur aux pacsés et aux concubins. En 2010 s'ajoute la possibilité de créer un Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) entre conjoints.

Le reportage qui suit date de 2012, il décrit bien l'évolution du statut des agricultrices. Il s'agit du portrait d'une jeune agricultrice, Ingrid Septier, titulaire d'un bac professionnel et d'un BTS agricole, elle est éleveuse de vaches laitières. Elle est cheffe d'exploitation au même titre que son mari.

Dans son interview, l'exploitante souligne les avancées réalisées par rapport à l'absence de statut et de reconnaissance sociale des générations précédentes. Une situation qui ne serait plus concevable à ses yeux. Une chose reste identique : Ingrid cumule sa vie sur l'exploitation avec sa casquette de mère de famille, « c’est la course comme toute maman », confie-t-elle philosophe. Pour le reste, elle, contrairement à sa mère, touchera une retraite.

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