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Pourquoi a-t-on tué Aldo Moro ?

Pourquoi a-t-on tué Aldo Moro ?

Le 9 mai 1978, après 55 jours de séquestration, le corps d'Aldo Moro, président de la démocratie chrétienne, était retrouvé dans le coffre d'une voiture garée via Caetani, dans le centre de Rome, à égale distance du siège du parti communiste et de celui de la démocratie chrétienne. Retour sur un événement qui traumatisa l'Italie « des années de plomb ».

Par Cyrille Beyer - Publié le 14.04.2016 - Mis à jour le 06.05.2022
 

C'est un drame qui a traumatisé l'Italie. Le 16 mars 1978 au matin, Aldo Moro, l'un des hommes politiques les plus importants d'Italie, quitte en voiture sa résidence de la banlieue nord de Rome. Le cortège arrive Via Fani, lorsqu'une fusillade éclate. Cinq hommes tirent sur son escorte, tuant ses cinq gardes du corps. Aldo Moro, seul rescapé, est rapidement enlevé par ses ravisseurs.

« L'Italie vit ses heures les plus graves depuis la guerre »

Les Brigades rouges, une organisation terroriste d'extrême gauche fondée au début des années 1970, a à nouveau frappé. Mais personne jusqu’alors en Italie n’avait imaginé qu’ils pourraient aller aussi loin.

Simultanément, depuis Rome, Milan et Turin, le groupuscule revendique l’impensable enlèvement d’Aldo Moro.

Le samedi 18 mars, les Brigades rouges laissent dans une cabine téléphonique du centre de Rome leur communiqué n°1 : Aldo Moro est détenu dans une « prison du peuple » et sera « jugé par un tribunal du peuple ».

Portrait Aldo Moro
1978 - 01:34 - vidéo

Main tendue aux communistes

Celui qui est désormais prisonnier dans un appartement romain aux mains des Brigades rouges a été plusieurs fois président du Conseil (de 1963 à 1968 puis de 1974 à 1976) et plusieurs fois ministre. Depuis le 11 octobre 1976, il est à la tête de la démocratie chrétienne, le premier parti politique italien, au pouvoir sans interruption depuis 1945.

Mais depuis 1969, l’Italie est entrée dans une nouvelle ère, celle des « années de plomb ». Tour à tour, le terrorisme d’extrême gauche répond au terrorisme d’extrême droite, causant la mort de plusieurs centaines de personnes.

L’extrême droite veut créer une « stratégie de la tension » qui favorise le renversement d’une démocratie qu’elle combat, tandis que l’extrême gauche, qui ne se reconnait plus dans la ligne modérée du puissant parti communiste italien, prend les armes pour entamer la lutte révolutionnaire.

Le parti communiste, premier parti d’opposition, choisit en effet la voie du réformisme et marque son attachement à la démocratie italienne, à ses valeurs, et à son système institutionnel. Son secrétaire général, Enrico Berlinguer, élabore en ce sens avec Aldo Moro le « compromis historique » : devant la crise qui déchire l’Italie, le compromis doit permettre aux deux grands partis italiens, le parti communiste et la démocratie chrétienne, de partager le pouvoir. Jusqu’alors, aucun communiste n’a participé à un gouvernement depuis 1947, alors même qu’électoralement, le poids du parti est écrasant. En 1976, il atteint 34 % des suffrages, et la démocratie chrétienne comprend qu'elle ne peut plus gouverner véritablement sans son appui.

Cette ouverture divise au sein de la démocratie chrétienne. Mais Aldo Moro, son chef, y est favorable. Il tend la main à Enrico Berlinguer.

Le 16 mars, jour de son enlèvement, il se rend justement au Parlement pour assister à la mise en œuvre de cette politique : pour la première fois, un président du Conseil, en l’occurrence Giulio Andreotti, doit être désigné avec le soutien des communistes.

Drame de 55 jours

L’enlèvement d’Aldo Moro est ressenti comme un séisme par tous les Italiens. La police et l'armée mobilisent des milliers d’hommes. Perquisitions, contrôles d'identité, barrages se multiplient mais les résultats sont nuls. Durant les 55 jours que va durer la séquestration d’Aldo Moro, ce sont les Brigades rouges qui mènent le jeu.

Les terroristes alternent l'envoi de communiqués et les moments de silence. Des silences qui laissent la porte ouverte à toutes les hypothèses, brouillant ainsi les pistes de la police. Aldo Moro, la victime, va lui-même devenir acteur dans les prises de contact. Il écrit des lettres, beaucoup de lettres : au gouvernement, à sa famille et même au Pape. Il supplie l'Etat de répondre aux dernières revendications des Brigades : relâcher treize des leurs.

Interview Craxi (PSI)
1978 - 01:43 - vidéo

L’Etat refuse, même si en son sein, quelques divergences apparaissent. La majorité des hommes de la démocratie chrétienne, Andreotti en tête, se refusent à tout compromis avec des terroristes. Le parti communiste d’Enrico Berlinguer affiche la même détermination à ne rien céder aux Brigades rouges. Pour bien se démarquer de ces brigadistes issus à l’origine de ses rangs, le parti communiste ne peut qu’afficher cette extrême fermeté dans le but de participer aux futurs gouvernements.

En revanche, Bettino Craxi, le chef de file du parti socialiste italien, est plus nuancé, et voudra croire jusqu’aux derniers jours que « les jeux ne sont pas faits  » et qu'il convient « d'insister » en vue de sauver la vie d'Aldo Moro. Les toutes dernières revendications des Brigadistes sont moins dures. A la libération des prisonniers jusqu'à présent réclamée en échange de la libération de Moro, ils semblent se contenter d'une simple reconnaissance de la part de la Démocratie chrétienne de leur lutte révolutionnaire, de leur existence politique.

Une date à jamais gravée dans la mémoire des Italiens

Le dernier communiqué des Brigades est daté du 5 mai 1978. La conclusion annonce une exécution prochaine.
Le 9 mai, la police retrouve le corps d'Aldo Moro dans le coffre d'une voiture garée via Caetani. Le véhicule se trouve à égale distance du siège du parti communiste et de celui de la démocratie chrétienne. Tout un symbole…
Dans l'après-midi, Francesco Cossiga, le ministre de l'Intérieur, donne sa démission. Les deux mois qui se sont écoulés ont démontré l'impuissance de sa police.

Le 11 mai, un reportage de TF1 sonde l’opinion des Italiens, deux jours après la tragédie. A la question d’un journaliste lui demandant ce qui doit changer dans le pays, Enrico Berlinguer répond par le souhait d'une « plus grande efficacité dans le fonctionnement de l’Etat, et une plus grande implication de l’esprit public, une plus grande coopération de tous les citoyens dans la lutte contre le terrorisme et la violence politique ».

L'Italie après Aldo Moro
1978 - 08:42 - vidéo

« Mon sang retombera sur eux... »

Aldo Moro, désespéré devant l'impuissance de la classe politique à le faire libérer, avait prophétisé en captivité que son meurtre amènerait la fin d'une ère, celle de la toute puissance de la démocratie chrétienne, et l'impossibilité de la mise en oeuvre du compromis historique. Dans une lettre adressée à son épouse Eleonora le 8 avril, il écrivait : « Mon sang retombera sur eux... », suggérant que ses amis politiques n'avaient pas tout entrepris pour le sauver.

Plus de quarante ans après les faits, des zones d'ombre planent toujours sur l'« affaire Moro ». En question, le rôle des services secrets italiens, et surtout l'attitude des principaux leaders de la démocratie chrétienne, aux premiers rangs desquels Giulio Andreotti et Francesco Cossiga. Dans un livre publié en 2008, Eleonora Moro écrivait que « ceux qui étaient aux différents postes de commande du gouvernement voulaient l'éliminer ».

Aldo Moro, personnalité « dérangeante » de la démocratie chrétienne, au point que certains hommes politiques opposés au compromis historique n'aient délibérément rien fait pour le sauver, espérant tirer un avantage politique de sa mort ?

Ou bien tout simplement qu'avec cynisme, la mort d'Aldo Moro représentait une victoire définitive contre les Brigades rouges, définitivement déconsidérées aux yeux de l'opinion publique par son assassinat ?

Quelles que furent les réelles attitudes et motivations de l'entourage politique du chef de la démocratie chrétienne, le meurtre commis par les Brigades rouges marquera le début de leur déclin. Ses membres seront progressivement arrêtés, condamnés lors de différents procès. Mario Moretti, le responsable du commando, est arrêté le 4 avril 1981. Avec ses compagnons Prospero Gallinari, Barbara Balzarani, Anna Laura Braghetti, il est condamné à la prison à perpétuité.

L' « affaire Moro » continuera sans aucun doute ces prochaines années à susciter des recherches et des interrogations pour mieux envisager toute la complexité d'un moment dramatique de l'Italie contemporaine.

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