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1971 : les Bretons alertent sur les dangers de la disparition des haies

1971 : les Bretons alertent sur les dangers de la disparition des haies

La Première ministre Élisabeth Borne a présenté lundi matin la version définitive de la Stratégie nationale biodiversité (SNB) de la France. Quarante mesures constituent la nouvelle feuille de route française pour sauvegarder la nature et «stopper l'effondrement du vivant» à l'horizon de 2030. Parmi ces mesures, l'implantation massive de haies. C'est un retour en arrière qui marque une rupture avec le remembrement débuté dans les années 50, avec l'éradication des bocages et des haies. La Bretagne avait été particulièrement concernée par cette politique. Et dans les années 70, des agriculteurs bretons tiraient déjà la sonnette d'alarme sur ses conséquences pour l'environnement.

Par Florence Dartois - Publié le 04.05.2021 - Mis à jour le 27.11.2023
Adieu terroir - 1971 - 12:54 - vidéo
 

L'ACTU.

La Première ministre Élisabeth Borne présente le 27 novembre, dans la matinée, la version définitive de la Stratégie nationale biodiversité (SNB) de la France. Quarante mesures constituent la nouvelle feuille de route française pour sauvegarder la nature et « stopper l'effondrement du vivant » à l'horizon de 2030. Parmi les mesures, la plantation d'un milliard d'arbres, la création d'îlots de fraîcheur dans les écoles, la mobilisation de tous les acteurs, notamment dans le monde de l'entreprise, peu sollicité dans le monde économique. L'une des mesures phare est la reconstitution de 50 000 km de haies.

En mai 2021, le gouvernement avait déjà lancé le programme « Plantons des haies » dont l'objectif était d’aider les agriculteurs à reconstituer les haies disparues avec le remembrement débuté dans les années 50 pour permettre le développement de l'agriculture intensive. Avec ce grand plan, le gouvernement souhaitait replanter 7 000 km de haies et d'alignements d'arbres intraparcellaires sur la période 2021-2022. 45 millions d’euros avaient été alloués pour financer les agriculteurs qui désireraient rétablir les haies pour « favoriser la biodiversité autour et à l'intérieur de leurs cultures ».

La réimplantation massive de haies part du constat que depuis 1950, 70% des haies ont disparu des bocages français et continuent de diminuer. Ce changement de braquet marque, de fait, un retour en arrière et une véritable rupture avec la politique de remembrement qui avait provoqué l'éradication des haies. La Bretagne avait été particulièrement concernée par cette politique. Et dans les années 70, des agriculteurs bretons tiraient la sonnette d'alarme sur ses conséquences pour l'environnement.

LE CONTEXTE.

À l'époque du remembrement, le cadastre est refondu et les parcelles redistribuées pour créer des champs plus vastes et plus accessibles. Le projet est alors présenté comme un gage d'une « meilleure utilisation du capital terre ». Il s'agissait d'une volonté politique de réorganiser l'espace rural, en remplaçant des terres morcelées, entourées de haies, par de grandes surfaces arables, ceintes de chemins carrossables. De fait, le remembrement devait permettre l'accélération de la modernisation et de la mécanisation de l'agriculture. On promettait à l'agriculteur de meilleurs rendements et moins de peine à l'ouvrage. Entre 1955 et 1975, les paysages ruraux ont été profondément transformés par ces opérations de remembrement, avec ou contre la volonté des agriculteurs. L'arrachage des haies et l'arasage des talus étaient subventionnés jusqu'à hauteur de 80 % par l’État et les régions.

L'une des régions les plus transformées par cette restructuration fut la Bretagne. Et vingt ans après le début de l'opération, le constat était amer. Les paysans exprimaient désormais ouvertement leur opposition au remembrement. Battue par les vents, cette région était tributaire de ses haies, de ses talus ou de ses murets de pierre pour cultiver. Cette végétation protégeait les exploitations, les cultures et le bétail des vents salés océaniques. Mais comme partout ailleurs, les paysans n'avaient que peu de moyens de s'opposer aux directives gouvernementales. C'est ce que nous montre l'archive disponible en tête d'article. Un reportage réalisé en octobre 1971 et intitulé « Adieu terroir »." Il fut diffusé dans l'émission « Télé villages ».

L'ARCHIVE.

Au moment de ce reportage, les ravages du remembrement sont déjà bien visibles dans cette région et « des kilomètres de talus brise-vents sont déjà tombés sous les bulldozers ». Certains agriculteurs alertent sur les conséquences de cette disparition programmée. Tel ce paysan, vêtu de son plus beau costume, il fait faire le tour du propriétaire au reporter. L'homme soucieux se désole, car le peu de talus qui reste doit disparaître prochainement, victime d'une politique foncière habilement ficelée selon lui : « le géomètre a établi son plan de telle façon que le paysan soit obligé de l'araser », et pourtant, explique-t-il, « ces talus ont une très grande importance dans une région où la moindre perturbation atlantique devient pour nous une tempête ». Ce qu'il déplore surtout, c'est que les autorités n'aient « pas tenu compte du bon sens des cultivateurs ». Il emploie le mot très fort de « saccage ».

Lui, comme d'autres, ont essayé de pallier la disparition des talus et des haies par l'implantation de cyprès. Malheureusement, l'air iodé ne leur permet pas de pousser, « ils sont brûlés par l'air marin. Le vent circulant à ras du sol les brûle », apprend-on. Le bilan qu'il décrit est dramatique puisque sur les 370 km de talus de la région, 350 km ont été tout simplement rasés.

Dans son intervention face caméra, l'agriculteur demande à ce que la loi du remembrement soit modifiée. Il exprime avec conviction son impuissance face aux rouages administratifs dont il compare l'inhumanité à une période sombre de l'histoire de France : « Nous sommes sous le régime des lois de 1941. Nous sommes comme sous l'Occupation allemande, où le remembrement se fait de façon autoritaire. Les cultivateurs sont minoritaires dans les commissions communales et ils n'ont pratiquement rien à dire au niveau départemental. À cette rigidité bureaucrative, s'ajoute, selon lui, une méconnaissance dangereuse du terroir : « Vous avez énormément de gens qui s'occupent du démembrement et qui n'y ont aucun intérêt. Genre de "maquignonnage", marché aux puces. »

« Du jour où on détruit tout, on arase tout, eh bien, on détruit également la vie elle-même »

Dans cet autre extrait du reportage, à découvrir ci-dessous, sur fond de musique anxiogène, le reporter décrit le remplacement du bocage traditionnel comme une « nouvelle Beauce », cette région recouverte de champs à perte de vue, ultra-productive, sans relief. Il laisse ensuite la parole à un expert agricole, membre de l'association de défense du terroir breton, Robert Goachet.

Adieu terroir
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Lui connait très bien les conséquences néfastes du remembrement et déplore que les chambres d'agriculture n'aient pas assez informé les agriculteurs de l'impact qu'aurait la destruction des haies, talus et brise-vents sur leur activité : « Si les agriculteurs avaient été informés des préjudices qu'ils subiraient en les détruisant, ils ne l'auraient pas fait. Ceux qui ne les ont pas informés sont donc à mon sens responsable. Il s'emporte, « On nous a traité de poètes, de rêveurs ! Mais nous ne rêvons pas ! Il s'agit de la réalité. Il ne s'agit pas d'être ni pessimistes ni optimistes, il s'agit de regarder la terre et de voir toutes les destructions qu'on y fait. » Sa conclusion est des plus clairvoyantes : « Il est un fait certain, c'est que du jour où on détruit tout, on arase tout, eh bien, on détruit également la vie elle-même ».

Ce qui est remarquable dans cette intervention, c'est que cet homme de terrain, particulièrement visionnaire, prévenait notamment sur les conséquences en matière d'eau dans une région déjà sujette à l'assèchement. Un avertissement qui résonne aujourd'hui, avec l’assèchement quasi général des nappes phréatiques : « La disparition des brise-vents, produit l'assèchement des terres et la diminution dangereuse des nappes phréatiques ». Ce remembrement était à ses yeux aussi dangereux que la déforestation. Il envisageait déjà l'impact de la modification de la région, notamment sur le tourisme qui représentait déjà des revenus importants pour la Bretagne. Un argument économique qu'il espérait, toucherait les gestionnaires du pays : « Si l'on détruit toute cette verdure, tous ces arbres que voulez-vous que les gens de la ville viennent chercher dans une steppe ? »

Depuis les années 70, la suppression volontaire des haies des bocages a poursuivi sa progression, laissant place à des domaines agricoles de plus en plus vastes. Les avertissements d'alors sont devenus réalité. Conscient de ces enjeux, l’objectif du gouvernement est désormais d'inverser la tendance d'ici à2030.

Le remembrement, un mal nécessaire ?

Experts agronomes sont rapidement au fait des conséquences du remembrement à outrance, mais impossible de revenir en arrière, alors ils temporisent.

Le 17 novembre 1964, dans le journal télévisé « Bretagne Actualités », Paul Matagrin, agronome et directeur de l’École nationale supérieure agronomique de Rennes décrit avec précision les conséquences probables dangereuses pour le climat et l'équilibre biologique ancestral des régions de la Bretagne.

Au milieu des années 1970, les dégâts du remembrement sont désormais avérés, le 18 juin 1972, dans l'émission « La France défigurée », le ministre de l'Agriculture lui-même, Michel Cointat, reconnait les inconvénients et les limites du remembrement en termes de coûts, d'environnement et de ses conséquences biologiques préjudiciables. Il ne parle pas encore de biodiversité, mais il a déjà pris conscience des répercussions de la disparition des haies et demande déjà à ce que quelques talus puissent être préservés en partie.

« Je considère qu'il ne faut pas tout raser, car le bocage répondait à une nécessité biologique. Vouloir le faire sauter complètement apporterait des désordres à long terme qui seraient préjudiciables pour tout le monde ».

Le 17 juillet 1973, le journal de 20 heures consacre un sujet sur le remembrement, ses atouts, ses inconvénients. « L'homme se livre au regroupement des terres et à des gestes dont on ne mesure pas encore l'influence sur l'équilibre de la nature. Le remembrement et la suppression des bocages à grande échelle est synonyme de métamorphoses encore inconnues sur le climat et la biologie des paysages. Des scientifiques alertent sur la responsabilité de l'homme dans le façonnage du micro climat ».

Les conséquences du remembrement
1973 - 05:31 - vidéo

Certains dénoncent les risques, d'autres parlent de chance pour les prochaines générations... Avec les interviews de Jacques Damagnez de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ; Jean-Claude Lefèvre, professeur de Biologie animale Écologie à l’université de Rennes ; Gérard Guyot, bio-climatologiste à l'INRA et monsieur Brunel, ancien maire de Plumelec, pionnier du remembrement.

Pour aller plus loin :

Actualités Françaises : La nécessité du remembrement pour s'adapter à la mécanisation de l'agriculture. (17 septembre 1958)

Reportage sur le remembrement à Mirepoix sur Tarn. Des bulldozers arrachent les haies, remplacées par des chemins recouverts de chlorure de sodium pour les rendre plus durs et éviter les ornières. Interviews du maire de la commune et d'agriculteurs satisfaits, d'un ingénieur rural et d'un représentant agricole. (21 juillet 1965)

« La France défigurée » : Discorde autour du remembrement en Vendée. (18 juin 1972)

Dans la même émission : À Saint-Michel de Chaillol dans les Hautes-Alpes, également pays de bocages, la majorité de la population est satisfaite du remembrement. (18 juin 1972)

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