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Le jour où Marcel Pagnol fit entrer le cinéma à l'Académie française

Le jour où Marcel Pagnol fit entrer le cinéma à l'Académie française

Il y a cinquante ans, le 18 avril 1974, disparaissait Marcel Pagnol. Écrivain, dramaturge, cinéaste, il donna ses lettres de noblesse à Marseille à travers sa fameuse trilogie «Marius», «Fanny», et « César». En 1947, il entrait à l'Académie française comme une star de cinéma. Les archives témoignent encore de la révolution qui souffla ce jour-là quai Conti.

Par Florence Dartois - Publié le 18.04.2024
Marcel Pagnol sous la coupole - 1947 - 00:00 - vidéo
 

ANNIVERSAIRE.

Marcel Pagnol est né le 28 février 1895 à Aubagne (Bouches-du-Rhône) et décédé à Paris le 18 avril 1974. Écrivain, dramaturge, cinéaste et producteur français, ce fils d'instituteur devint célèbre avec Topaze, une pièce jouée au théâtre France en 1928. L'artiste provençal n'abandonna jamais ses racines et n'eut de cesse de clamer son amour pour Marseille (et son accent chantant). En 1934, il fut l'un des premiers à comprendre l'importance que prendrait le cinéma parlant dans la culture et y créa sa propre société de production et des studios de cinéma. C'est là qu'il réalisa de nombreux films avec les plus grands acteurs de l'époque : le tempétueux Raimu, une vedette qui fit confiance à l'auteur tout au long de sa carrière. Plus tard, Fernandel, qu'il rendit célèbre ou Pierre Fresnay qui immortalisera le personnage de Marius.

Parmi ses films à succès, on peut citer Angèle (1934), Regain (1937), Le Schpountz et La Femme du boulanger (1938), La fille du puisatier (1940), ou encore Manon des sources et Ugolin (1951). Il faut bien sûr citer les adaptations de ses trois pièces de la Trilogie marseillaise dont il a réalisé le troisième volet, celui consacré à César (1936). Les deux premiers opus, bien que supervisés par ses soins, furent réalisés par deux réalisateurs différents : Marc Allegret pour Marius (1931) et Alexander Korda pour Fanny (1932).

Après 1956, Marcel Pagnol s'éloigna du cinéma et du théâtre pour se consacrer à la rédaction de ses souvenirs d'enfance qui donneront des ouvrages aujourd'hui devenus des classiques toujours enseignés dans les classes : La Gloire de mon père et Le Château de ma mère. Il publia enfin, en 1962, L'Eau des collines, roman en deux tomes : Jean de Florette et Manon des Sources, largement adaptés au cinéma.

Une élection « surprise »

Le 4 avril 1946 est une grande date dans la vie de Marcel Pagnol et du cinéma français. Ce jour-là, il fut élu à l'Académie française à la (25e) place vacante laissée par la mort de l'auteur et poète Maurice Donnay (1859-1945). Il avait alors 51 ans. C'était le premier homme de cinéma à s'asseoir sous la coupole. Cette élection recèle un mystère, car pour se faire élire, il fallait faire acte de candidature or l'artiste racontait souvent qu'il n'avait jamais envoyé de lettre de candidature quai Conti. Certes, il l'avait écrite, mise sous plis et déposée sur son bureau, mais jamais envoyée...

Dans une interview accordée au magazine « Panorama » en 1965, l'immortel « malgré lui » racontait comment il avait appris sa nomination à sa grande surprise. Il dévoilait les noms des amis qu'ils soupçonnaient d'avoir posté la lettre à sa place, notamment l'écrivain-journaliste, Henri Jeanson (1900-1970).

Marcel Pagnol de l'académie française.
1965 - 01:29 - vidéo

Une cérémonie télévisée

Marcel Pagnol fut donc reçu à l’Académie française le 27 mars 1947 par Jérôme Tharaud (écrivain, 1874-1953). Cette réception est exceptionnelle à plus d'un titre, car elle fut la première à être filmée. Des caméras qui ne reviendraient sous la coupole que pour la réception de la première académicienne, Marguerite Yourcenar, en 1980.

C'était un souhait du nouvel élu qui voulait que la cérémonie ne soit plus un rite quasi secret, réservé à une élite, mais un événement médiatisé dont il serait le metteur en scène. L'archive en tête d'article est un résumé de cette cérémonie diffusée par les « Actualités françaises ».

Les images décrivent l'ambiance festive, voire impertinente qui régnait ce jour-là sous la coupole. Une décontraction très éloignée des investitures traditionnelles poussives et guindées. Elles montrent bien la volonté de l'auteur et cinéaste marseillais de dépoussiérer la vieille institution. Il s'en était d'ailleurs confié à Georges Simenon quelque temps plus tôt. Des propos que l'on peut retrouver dans les actes d'un colloque intitulé « La performance académique sous les sunlights : Marcel Pagnol, cinéaste irrévérencieux » de 2019 : « C'était en 1945 (...) L’Académie française vient d’être amputée d’un certain nombre de ses membres, non par décès de ceux-ci, mais parce que, ayant été plus ou moins vichystes, ils ont été jugés indignes. Ceux qui restent vont éprouver le besoin de se rajeunir, car l’époque est plus ou moins révolutionnaire et, en accueillant quelques jeunes non conformistes, les anciens se créeront en quelque sorte un alibi. Je pose donc ma candidature. Ensuite, une fois en place, je m’arrangerai pour y faire entrer trois de nos amis. Il me cita les noms (Maurice Garçon, Jean Cocteau et Marcel Achard) tous très connus aussi, tous morts, hélas, aujourd’hui. Puis il ajouta : − Tu t’en rends compte si, à nous quatre, nous allons chambouler toutes ces vieilles barbes du Quai Conti ! »

En entrant à l'Académie française, Marcel Pagnol voulait y insuffler de la nouveauté et de l'impertinence. Message reçu et transmis par la télévision. Le ton du commentaire du speaker était du même allant, joyeux : « Du nouveau sous la Coupole, l'Académie française reçoit Marcel Pagnol qui amène avec lui le goût du cinéma et une pointe d'accent marseillais. Qui n'eût jamais pensé voir Pagnol sous l'habit vert ? Cependant l'y voici, et c'est tant mieux pour la vieille dame du quai Conti. On pense naturellement qu'avec le ban et l'arrière ban des immortels, le Tout-Paris, comme disent les chroniqueurs mondains, était là pour entendre le père de "Topaze" et de "Marius" parler un peu de Maurice Donnay, son prédécesseur. Et beaucoup du théâtre. »

Sa cérémonie d'intronisation se voulait une mise en scène digne d'un film de divertissement, avec un plateau de cinéma et ses projecteurs, caméras et starlettes (le visage de la vedette Josette Day est filmé en gros plan à plusieurs reprises). Pour cette « révolution culturelle » qu'il souhaitait lancer, le cinéaste adoptait une posture décontractée qui tranchait nettement avec les silhouettes guindées, monocles sur le nez et barbes blanches des immortels venus assister au discours.

La coupole avait également pris pour l'occasion des allures de salle de théâtre, avec des gradins bondés, dignes de l'époque des corbeilles surchargées des théâtres de boulevards chers à son cœur. On dit qu'à la place des vingt places généralement réservées au nouvel élu, le cinéaste rebelle en avait exigé deux-cents ! Il en obtint soixante. Les caméras témoignent de ce caprice réjouissant, ne se lassant pas de filmer cette foule de « people » venus assister à la représentation du maître.

Un discours radio-diffusé

Son discours, justement, très attendu, a été enregistré par la radio. Une fois de plus, à la demande de l'immortel. Il se chargea lui-même de superviser l'installation du matériel pour que sa prestation soit amplifiée de la meilleure manière possible. Cet enregistrement est disponible ci-dessous.

Son discours (texte disponible sur le site de l'Académie française) ne pouvait être qu'impertinent. Il illustra l’éloge de son prédécesseur, Maurice Donnay, exercice obligé pour chaque nouvel entrant, d'une foule d’anecdotes triviales. Pagnol n'hésita pas à écorner gentiment l'Académie française en se moquant de l’uniforme d’académicien. Et comme on s'y attendait, il fut longuement question de théâtre, de ses difficultés financières aussi. Sa performance parvint même à faire rire l'auditoire conquis, bien-sûr, mais surtout les (très) vieux sages assis derrière lui pour l'écouter.

Une remise d'épée cinématographique

La cérémonie de remise de l'épée fut tout aussi anticonformiste et se déroula dans les studios de Boulogne-Billancourt dans un décor de cinéma ! Un décor de rue avec une plaque au nom du cinéaste. Quoi de plus normal pour le premier cinéaste à devenir immortel que de recevoir son emblème d'immortalité de la part de ses pairs de cinéma ? Devant une foule de journalistes, en présence de Jacqueline Bouvier, de Louis Jouvet et de la plupart des artistes de l'écran, ce fut Jean-Pierre Frogerais, président du syndicat des producteurs de films, qui lui remit cette arme d'honneur pour qu'elle lui serve à « défendre le cinéma français, mais pas du tout à le combattre ».

Académicien, défenseurs des arts et de la culture, Marcel Pagnol entendait, avec son entrée à l'Académie française, rester le fer de lance du théâtre et du cinéma français. Une volonté qu'il mit en scène avec brio et impertinence avec son entrée chez les immortels. C'est grâce à cette volonté que nos archives peuvent témoigner encore aujourd'hui de ce temps fort de l'histoire culturelle française.

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