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Comment Vladimir Poutine a instrumentalisé l'attentat de Beslan en 2004

Comment Vladimir Poutine a instrumentalisé l'attentat de Beslan en 2004

Quatre suspects dans l'attentat contre une salle de concert située près de Moscou, vendredi 22 mars, ont été arrêtés. Même si l'attentat a été revendiqué par le groupe Etat islamique, Vladimir Poutine a, dans un premier temps, accusé à demi-mots l'Ukraine. En 2004, il avait déjà utilisé un attentat pour intensifier une guerre en cours.

Par Florence Dartois - Publié le 25.03.2024
 

L'ACTU.

Vendredi 22 mars, une attaque terroriste s'est déroulée au Crocus City Hall, une salle de concert située à Krasnogorsk, une banlieue du nord-ouest de la capitale russe. Un bilan provisoire a fait état de 137 victimes. L'enquête a mené à l'arrestation et la présentation devant la justice de quatre hommes soupçonnés d'avoir participé à l'attentat, revendiqué par le groupe jihadiste Etat islamique (EI).

Si Vladimir Poutine a bien évoqué un acte « terroriste barbare » lors de son allocution télé et reconnu le 25 mars l'implication de l’État islamique, il a également sous-entendu que Kiev pourrait être partie prenante dans cette attaque en déclarant que les suspects « se dirigeaient vers l'Ukraine où, selon des données préliminaires, une "fenêtre" avait été préparée pour qu'ils franchissent la frontière ». Une allégation que les Ukrainiens ont fermement démentie, précisant que cette insinuation était pour le maître du Kremlin une façon de justifier une « escalade » de la guerre.

Ce n'est pas la première fois que Vladimir Poutine instrumentalise un attentat pour intensifier un conflit et asseoir son pouvoir. C'est ce qu'il avait fait en 2004, après la prise d'otages de Beslan, en Ossétie du nord, par des terroristes séparatistes tchétchènes.

RAPPEL DES FAITS.

Le 1er septembre 2004, en pleine « seconde guerre de Tchétchénie », une trentaine de séparatistes tchétchènes armés prenaient en otage environ un millier d'enfants et d'adultes dans l'école numéro 1 de Beslan. Les assaillants réclamaient le départ des troupes russes de la Tchétchénie voisine. Dans un premier temps, Moscou avait exclu de donner l’assaut. Le 2 septembre, des négociations étaient entreprises et les terroristes acceptaient de libérer quelques nourrissons et leurs mères. Mais l'inquiétude persistait, car les assaillants refusaient toute aide alimentaire.

Beslan : prise d'otages
2004 - 01:52 - vidéo

Le 3 septembre, la situation allait dégénérer comme le montre les images fortes de l'archive ci-dessous. Après deux explosions d'origine indéterminées en provenance du gymnase où se trouvaient les otages, un assaut était lancé dans la plus grande confusion. Dans le désordre, les forces russes étaient contraintes d’intervenir. C'est ce que reconnaitrait plus tard Valery Andreiev, responsable de la sécurité russe : « On n’avait pas du tout décidé de lancer l’assaut... » Le premier bilan provisoire fut dramatique, avec plus de 150 morts et 650 blessés parmi les enfants et leurs parents.

Beslan : assaut des forces russes
2004 - 02:43 - vidéo

L'intransigeance de Vladimir Poutine

Le soir du 3 septembre, dans la confusion de la prise d'otages toujours en cours malgré l'assaut du matin, Vladimir Poutine prenait la parole. Il se voulait rassurant et garantissait le choix du dialogue plutôt que la force : « Notre mission essentielle est maintenant de protéger et de préserver par tous les moyens la vie de tous les otages. » Mais aux abords de l'école de Beslan, les propos du président ne rassuraient pas les familles, car il était connu pour assumer une politique de non-négociation. Le sujet ci-dessous est consacré à la façon dont le gouvernement russe avait répondu aux précédentes actions terroristes tchétchènes. Il montre comment les prises d’otages s'étaient soldées par la mort de nombreuses victimes sacrifiées volontairement. Notamment lors des prises d'otages opérées à Moscou en octobre 2002 (théâtre de Doubrovka) et à Boudennovsk en juin 1995.

La conclusion du journaliste n'était pas plus rassurante : « Tous ces évènements tragiques traduisent une seule chose, la détermination du Kremlin d’éradiquer par la force le problème tchétchène. Une politique de fermeté qui n’avait pu empêcher les tchétchènes de multiplier les actions terroristes. »

Un dénouement sanglant

Malgré les promesses du Kremlin, la prise d’otages de Beslan se termina donc dans l’horreur. L’ampleur du massacre donnait le vertige. Le bilan officiel faisant alors état de 323 morts, dont 156 enfants, et 700 blessés. La majorité des victimes étaient mortes dans le gymnase qui s'était effondré. Le reportage ci-dessous relate le déroulement des faits.

La chute du toit du gymnase avait fait beaucoup de victimes, mais d'autres avaient été tuées par balles, dans le dos, alors qu'elles tentaient de fuir. Face aux critiques sur la gestion de la crise, Vladimir Poutine se rendait sur place et allait prononcer un mea cula inédit. Après avoir annoncé la tenue de deux journées de deuil national, il reconnaissait que la Russie avait fait preuve de faiblesses et qu'elle reverrait sa stratégie contre le terrorisme : « Nous n'étions pas prêts au changement qui a eu lieu depuis la désintégration de l'Union soviétique. Nous avons cessé de prêter suffisamment d'attention aux questions de défense et de sécurité. Nous avons autorisé la corruption à atteindre les systèmes des forces de l'ordre et de la justice ».

À Beslan, la population grondait et demandait des explications. Les services russes, quant à eux, accusaient le dirigeant indépendantiste Chamil Bassaiev (il sera retrouvé et tué en 2006) d'être l'instigateur de la prise d'otages. À Moscou, une partie de la presse pointait la faillite de la politique russe en Tchétchénie.

La recherche des responsables

Le 6 septembre, la télé russe montrait les images de l'un des preneurs d'otages qui font beaucoup penser à celles des 4 suspects présentés aux caméras en mars 2024. Mais, à l'époque, on lui avait laissé la parole et il niait avoir tiré sur des enfants. Les terroristes étaient présentés comme des « extrémistes fanatiques extrêmement déterminés ». La télé diffusait aussi des témoignages de rescapés allant dans ce sens ou des images de propagande tchétchène très violentes. En réponse, la Russie avait choisi la force en Tchétchénie, « rafles dans les villages, exécutions, aucune négociation », précisait le commentaire. Une stratégie expliquée par Vladimir Poutine dès 1999 et rappelée également dans l'archive ci-dessous, avec sa phrase d'intimidation restée célèbre : « Nous poursuivrons les terroristes partout, à l'aéroport, s'ils sont à l'aéroport et, excusez-moi, s'ils sont aux toilettes, on ira les buter dans les chiottes ! »

La conclusion du journaliste résonne encore avec la position tenue par Poutine concernant la guerre en Ukraine : « Plus que jamais, le conflit tchétchène est dans l'impasse. Vladimir Poutine a construit sa popularité sur sa fermeté dans ce dossier. Aujourd’hui, il ne donne aucun signe de fléchissement de sa politique. »

L'ARCHIVE.

À l'issue du drame de Beslan, de nombreuses questions agitèrent l'opinion publique russe (et internationale) : comment ce drame avait-il pu avoir lieu ? Quelles étaient les responsabilités des services de sécurité russes dans cette catastrophe ? Et quelle était la position des Russes dans la politique anti-terroriste de Vladimir Poutine ? Dans ce contexte, le président russe entendait bien jouer la carte de la fermeté et museler toute opposition. L'archive disponible en tête d'article décrit assez bien sa stratégie de reprise en main du pouvoir, à l'extérieur et à l'intérieur du pays, avec l'instrumentalisation du drame de Beslan qui assénerait un coup à la démocratie russe.

Le 17 septembre 2004, quelques jours après la prise d'otages, le journal de 20h de France 2 revenait sur la dernière déclaration du président russe sur la politique de son pays face au terrorisme. Contrairement à ses déclarations rassurantes de Beslan, sa position n'avait pas changé. « Nous ne négocierons pas avec les terroristes, pas plus que vous ne le faites », disait-il aux Occidentaux qui lui conseillaient d’utiliser la voie diplomatique pour résoudre le terrorisme tchétchène. Il annonçait au contraire sa volonté de mener d'autres actions antiterroristes.

Au nom de la lutte contre le terrorisme, Vladimir Poutine décidait de renforcer le pouvoir central en supprimant l’élection au suffrage universel de l’Assemblée, le Conseil de la fédération. Désormais les gouverneurs régionaux, élus jusqu'ici au suffrage universel, seraient nommés par le Kremlin.

Pour les opposants au Kremlin, cette décision était perçue comme un recul de la démocratie et une crise politique majeure. Les propos de Serguei Kovalev, président de l'association russe de défense des Droits de l'Homme « Mémorial », étaient extraordinairement prémonitoires aux vues des élections de 2024 remportée à plus de 87% par Vladimir Poutine. L'opposant avertissait alors : « A mon avis, la démocratie n’est pas encore morte, mais on la prépare depuis longtemps pour l’enterrement. Elle est déjà dans le cercueil. »

Un bilan accablant et de nombreuses questions

L'identité des commanditaires de l'attaque à Beslan est sujette à caution et n'a jamais vraiment pu être prouvée. À la conférence de presse du 7 septembre 2004, Vladimir Poutine rejetait l'idée d'une enquête publique, lui préférant une enquête parlementaire diligentée par la Douma. La commission parlementaire conclurait sur la négligence des autorités locales. En 2005, malgré des contre-expertises et une polémique, les juges chargés de l'enquête dédouanèrent complètement l’État russe.
Le 17 mai 2005, le seul preneur d'otages survivant, Nour-Pachi Koulaïev, était tout de même traduit devant la cour de la république d'Ossétie du Nord. Il était accusé de meurtre, terrorisme, kidnapping et d'autres crimes. Il fut condamné à mort, mais suite à un moratoire sur la peine de mort, cette sentence fut commuée en prison à perpétuité.

Cinq ans après le drame, la question de la responsabilité de l’État russe dans la conclusion sanglante sur la prise d'otages restait posée. Un comité de mères de victimes, des voix médiatiques, mais controversées, réclamaient une contre-enquête indépendante. Elles n'excluaient pas que l'assaut ait bel et bien été programmé et s'interrogeaient sur l'origine des deux explosions et de l'incendie qui avait suivi. Un incendie attribué aux armes utilisées par les forces russes selon elles. La seule certitude relayée par les autorités locales, c'était la désorganisation et l'absence de coordination des forces de l'ordre.

L'affaire a plus tard été portée devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) par 409 ressortissants russes, anciens otages ou proches de victimes. En avril 2017, elle rendait sa décision sur la manière dont Moscou avait géré le drame. À l'unanimité, la Cour jugeait qu'il y avait eu « violation de l'article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l'homme, en raison d'un manquement à prendre des mesures préventives ».

Selon elle, la Russie savait qu'une attaque se préparait, mais n'avait rien fait pour protéger l'école ou avertir le personnel ou les familles. Elle pointait également « de graves défaillances » dans le déroulé de l'opération et l'utilisation d'armes inappropriées telles « un canon d'assaut, des lance-grenades et des lance-flammes (...) en l'absence de règles juridiques adéquates », et concluait que l'usage fait par les forces de sécurité de « la force létale a contribué, dans une certaine mesure, à faire des victimes supplémentaires parmi les otages. » La Russie a été condamnée à verser aux plaignants 3 millions d'euros au grand dam de Vladimir Poutine qui a contesté ce jugement.

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