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Les mots des jeunes et des psys sur le suicide depuis les années 1970

Les mots des jeunes et des psys sur le suicide depuis les années 1970

Le 5 février, à l'occasion de la Journée nationale de prévention du suicide, Santé publique France a publié son dernier baromètre sur le suicide avec un constat inquiétant : une augmentation des pensées suicidaires et des tentatives de suicide chez les 18-24 ans. Le suicide des jeunes dans les archives reflète le mal-être de la jeunesse dans un monde incertain et exigeant.

Par Florence Dartois - Publié le 05.02.2024
Le mal du bonheur : les tentatives de suicide - 1976 - 00:00 - vidéo
 

L'ACTU.

Dans son dernier baromètre publié le 5 février 2024, Santé publique France dévoile que les jeunes adultes, âgés de 18 à 24 ans, sont de plus en plus victimes d'idées suicidaires et de tentatives de suicide. Selon l'étude, le phénomène s'est amplifié avec la crise sanitaire du Covid.

L'étude montre que les pensées suicidaires ont été multipliées par deux entre 2014 et 2021, passant alors de 3,3% à 7,2%. Quant aux tentatives de suicide, elles sont passées de 6,1% en 2017 à 9,2% en 2021. Le baromètre pointe une « détérioration plus importante de la santé mentale » de cette tranche d'âge suite à la pandémie.

Si les jeunes femmes sont les plus sensibles aux idées suicidaires, les jeunes hommes sont les plus nombreux à mettre fin à leurs jours. Les plus touchés sont souvent les plus vulnérables au niveau socio-économique.

Santé publique France pose une limite à son baromètre - les adolescents n'ont pas été interrogés - mais appelle à une intensification de la prévention en amont et à un meilleur suivi des personnes quittant l'hôpital, gage d'une diminution des récidives.

LES ARCHIVES.

Le sujet du suicide des jeunes est peu abordé dans les archives. Lorsqu'il l'est, il donne lieu à des témoignages très forts qui résonnent aujourd'hui. Les premiers sujets de fond apparaissent à la fin des années 1970, à l'instar de l'archive disponible en tête d'article, diffusée en 1976 dans le JT de FR3 Rhône Alpes.

« Le mal du bonheur : les tentatives de suicide », derrière ce titre littéraire se cache un reportage de près de cinq minutes sur le groupe de parole d'un hôpital non identifié, où des jeunes venaient parler, avec une équipe de psychologues, du malaise qui les avaient poussés à passer à l'acte.

Deux jeunes gens évoquaient la raison de leur tentative de suicide ce jour-là, notamment Françoise, qui apparaissait de dos, pour préserver son anonymat. On pourrait penser que la jeune femme cachait un odieux secret qui l'aurait poussé à commettre l'irréparable. Il n'en était rien : la jeune femme était simplement homosexuelle. Oui, mais à une époque où l'homosexualité était encore illégale.

Un appel au secours

L'intérêt du reportage est de livrer une première analyse du suicide chez les jeunes, notamment par la voix d'un psychologue (malheureusement non identifié dans notre archive). Ses propos restent d'actualité. Ce spécialiste décrivait les deux significations possibles d’une tentative de suicide : « le chantage, pour obtenir quelque chose d’autrui » et « l’appel, qui est un chantage en quelque sorte généralisé ». Mais le plus intéressant résidait dans sa description des causes des pulsions suicidaires : « Le sujet se trouve mal à l’aise et en danger, il ne sait pas comment il faut s’y prendre pour vivre et il signale à autrui, par un appel, qu’il est en danger et qu’il est urgent qu’on s’occupe de lui. La tentative de suicide est une sonnette d’alarme. »

Selon lui, le mal-être était généré par une difficulté croissante à s'insérer dans la société face à des choix de plus en plus nombreux. « Les positions que les individus finiront par occuper se sont multipliées de manière exponentielle qui fait que l’individu se trouve dans une position de plus en plus difficile pour choisir son point de chute », selon lui. Cette complexité sociale provoquait l'inconfort et l'angoisse. Une angoisse qui s'exprimerait différemment en fonction de l'adolescent. « Dans ces groupes d’angoissés, une partie d’entre eux va choisir cette solution (du suicide), seulement parce qu’ils ont envie qu’on s’occupe d’eux. Ils ont envie de vivre, mais ils ne savent pas comment s’y prendre ».

Le commentaire de conclusion semblait accuser la société, « cette société qui ne peut plus répondre aux aspirations des jeunes peut-elle nier sa responsabilité ? En fait, c’est la société qui fabrique un travail inintéressant, c’est la société qui prive les jeunes d’un emploi, c’est elle qui rend le dialogue impossible ».

Est-ce si simple ? D'autres archives dépeignent un tableau bien plus complexe où se mêlent l'absence de reconnaissance sociale, certes, mais aussi le manque de communication, la peur de l'avenir, la perte de repères, où tout simplement la mélancolie.

L'origine des pulsions suicidaires

Nous livrons, ci-dessous, quelques témoignages de jeunes gens très poignants, extraits du reportage « Mourir à 20 ans », diffusé dans « Jeudi magazine » en novembre 1986. Cette fois, les jeunes gens témoignaient face caméra. Le silence des parents, un état d’angoisse et de détresse, l'absence de dialogue avec la famille semblaient être les motifs récurrents de ces témoignages.

Tous décrivaient une grande « douleur » difficile à exprimer. Laissons la parole à la jeune Laurence, à fleur de peau, elle témoignait un an après sa seconde tentative.

Laurence, sensibilité et absence de dialogue

Laissée en pension chez ses grands-parents par des parents séparés et absents, la jeune fille n'avait eu personne à qui confier ses angoisses et ses peurs de l'avenir. « J’avais l’impression d’être niée. On parlait sans parler… Il n’y avait rien de sensible, de profond ». Elle évoquait aussi l'image de fille forte qu'elle souhaitait donner à ses parents lointains. Elle parlait de « tension intérieure » inexprimable.

Ce malaise s'était installé insidieusement, silencieusement, « je ne faisais rien, j’écoutais beaucoup de musique (…) La mort représentait un monde de silence et surtout de repos ». Ses deux tentatives de suicide n'avaient rien changé et on sentait encore sa fragilité : « Moi, je voulais en parler, je voulais que ça éclate, qu’on essaye de comprendre. Ça a fait l’effet inverse : le silence. »

Fabien, culpabilité et échec scolaire

Absence de dialogue avec la famille, culpabilité, angoisse scolaire, autant de motifs qui poussèrent Fabien à tenter de mettre fin à ses jours. Contrairement au témoignage précédent, l'appel du jeune homme avait été entendu par son père. Mais ce qui transparait dans ses mots, c'est une grande solitude et une douleur difficile à déceler. Fabien se sentait coupable de la séparation de ses parents, avec le sentiment de leur gâcher la vie. Son malaise s'était traduit par la baisse de ses notes, une inquiétude face à l'avenir et une impossibilité à supporter la pression scolaire, ce qui l'avait entraîné dans une spirale dangereuse : « Sans l’école, il n’y a plus rien aujourd’hui. On en attend trop de nous… », déclarait-il.

Quelques jours avant sa tentative, il avait ressenti un « vide total », restant des heures à ne rien faire. Il décrivait une souffrance, « une torture morale insupportable » impossible à partager. « Même si je lui avais parlé (à son père), ça n’aurait pas résolu mes problèmes. La mort ça représentait la fin de mes problèmes, la fin de tout ».

Au moment de l'interview, grâce à l'informatique, le jeune homme avait retrouvé goût à la vie, même si les pulsions de mort n'avaient pas disparu. Il s'accrochait et concluait : « et puis surtout, j’ai retrouvé plusieurs valeurs dans la vie qui existent encore, qui ne sont pas mortes ».

Jean-Luc, rejeté par la société de consommation

« J'ai pas envie de continuer ». Dans cet autre témoignage, un jeune adolescent interrogé sur son lit d'hôpital livrait un récit bien sombre de sa dépression qui l'avait poussé à vouloir se supprimer. Il vivait seul depuis six ans, sans le soutien de sa famille ou d'amis. Sans emploi, il ne voyait qu'une issue : la mort. Avec une extrême lucidité, il analysait son mal-être, intimement lié à l'impossibilité d'accéder à la société de consommation, donc à l'intégration sociale dont parlait le psychologue dans l'archive en tête d'article.

« On veut mourir parce qu’il n’y a rien d’important dans la vie, rien d’accessible (…) Tout est basé sur le fric et le fric, à 20 ans, on n’en a pas ! (...) », disait-il.

Sans aide et sans soutien, le jeune homme se décrit dans l'impasse : « Faudrait que des gens m’aident, mais j’en connais pas. Je suis réaliste. Faut que ça s’arrête là. C’est trop con. J’ai la haine contre tous ceux qui ont ce que je n’ai pas… d’ailleurs, je la crache ».

Il concluait amèrement en critiquant le côté voyeuriste de ce type de reportage : « Antenne 2, c’est bien ce qu’ils font là, mais c’est un peu nécrophage. C’est bien de s’intéresser aux gens qui ont failli crever, mais il faut s’intéresser à ces gens-là bien avant... »

Jean-Luc : "J'ai pas envie de continuer"
1986 - 00:00 - vidéo

Laure et le sentiment d'échec

Le dernier témoignage, celui de Laure, est postérieur, il date de 1994, dans l'émission « Français si vous parliez » présenté par André Bercoff. Le thème du jour était consacré au suicide des jeunes. La jeune fille évoquait-elle aussi le sentiment d'échec et de perte de contrôle. « Je ne me sentais pas responsable de ma vie (…) Au niveau des études ça ne marchait pas, je venais de me séparer avec mon copain. J’avais vraiment l’impression de rater tout ce que je faisais et de ne pas avoir ma vie en main et donc j’ai décidé de la prendre en y mettant fin. »

Laure avait raté sa tentative de suicide et décrivait l'intensité de ses sentiments : « C’était encore un échec et en même temps, j’avais peur de moi, je sentais que j’étais dangereuse pour moi-même. C’étaient presque des accès de folie, je ne me contrôlais plus (…) J’avais une souffrance intense. »

Des pistes de compréhension

À la suite de son témoignage, Xavier Pommereau, psychiatre, responsable du Centre Abadie à Bordeaux, seul centre qui accueillait des jeunes après une tentative de suicide, revenait sur les peurs et angoisses de la jeunesse pouvant mener au suicide.

Il tentait d’expliquer d’où venait le désir de mettre fin à ses jours et soulignait qu’en France, les troubles responsables des tentatives de suicide s’étaient développés depuis les années 80, avec l’émergence d'une nouvelle société plus matérialiste générant l'apparition de nouvelles peurs. « En cette fin de siècle, être jeune ça veut dire passer à travers le sida et le chômage », précisait-il.

Mais le point essentiel, selon lui, était une crainte et une incertitude face à l'avenir et une absence de repères, « d’étayage, de possibilité de balises autour de soi pour se sentir exister ». Ces jeunes ne devaient pas être considérés comme des malades mentaux, mais bien comme des êtres « en souffrance » qui, à un moment donné de leur vie avaient l’impression de basculer, faute de soutien pour les aider à prendre en main leur destin. Le vertigineux vide évoqué par certains des jeunes interrogés plus haut.

Cette analyse du phénomène reste valable aujourd'hui encore, dans une période de mutation où la peur de l'avenir, l'absence d'espoir et le manque repères sont présents.

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