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1972 : la révolution de la première étude sociologique sur la sexualité des Français

1972 : la révolution de la première étude sociologique sur la sexualité des Français

Une étude de l'Ifop publiée le 6 février révèle que les Français font de moins en moins l’amour, notamment les plus jeunes. Une évolution que l'on peut mesurer grâce à de régulières enquêtes sociologiques sur la sexualité. La première étude du genre en France avait été publiée en 1972. Et à l'époque, c'était assez révolutionnaire.

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 07.02.2024
La sexualité - 1973 - 06:32 - vidéo
 

L'ACTU.

Seuls 76 % des Français ayant déjà eu un rapport sexuel déclarent avoir eu au moins un rapport sexuel ces douze derniers mois. Un chiffre révélé par l'Ifop début le 6 février 2024 et en chute de 15 points par rapport à une enquête similaire de 2006. Interrogé par Libération, François Kraus, directeur du pôle genre, sexualités et santé sexuelle de l’Ifop analyse : « Les années 80-90 étaient une époque d’hypersexualisation, il y avait un dogme “Je baise donc je suis”. Aujourd’hui, on passe à une sexualité plus qualitative que quantitative. »

Pour pouvoir commenter une telle évolution, il faut disposer de données sur la vie sexuelle des Français. La première étude sociologique du genre en France date de 1972. Le « rapport Simon », comme il était appelé en référence à son auteur, avait été une petite révolution tant jusque-là le sujet était tabou.

LES ARCHIVES.

« 75 % des Français n'abordent que très rarement les problèmes sexuels, ils limitent au strict minimum les conversations sur les sujets que pour la plupart, ils considèrent encore comme tabous. » Fin 1972, un rapport sur le « comportement sexuel des Français » était publié par une équipe de chercheurs emmenés par le gynécologue Pierre Simon. Au lendemain de 1968, il devenait urgent de mieux connaître cet aspect de la vie sociale humaine, jusque-là uniquement étudiée sous le prisme médical. D'autant que les premières études du genre, les Rapports Kinsey, avaient été publiés aux États-Unis plus de 20 ans auparavant.

Dans l'émission « Actuel 2 », qui proposait une longue table ronde avec Pierre Simon et son confrère sociologue Jean Gondonneau pour y détailler les conclusions et surtout les méthodes nouvelles de leur enquête, on parlait d'un véritable « événement culturel et politique qu'il ne faut pas craindre de traiter ». Et comme on l'entend dans l'archive en tête d'article, dans le même temps, le journal télévisé se faisait l'écho de la publication inédite.

L'enjeu de la notion de plaisir

La « crainte du qu'en-dira-t-on » y était soulignée. Celle-ci, disait-on, se transformait « en sentiment de culpabilité lorsqu'on aborde la contraception ». L'arrivée puis la démocratisation de nouvelles méthodes de contraceptions plus sûres se heurtaient à « vingt siècles de civilisation chrétienne » qui avaient « solidement ancré le mythe de la faute ».

Traditionnellement, l'amour y était lié à la procréation, « or la contraception permet une nouvelle finalité : le plaisir ». Et d'après l'étude de Pierre Simon, « entre les conceptions traditionnelles et les conceptions nouvelles, c'est encore la tradition qui l'emporte puisque 95 % des femmes connaissent la pilule, 45 % croient à son efficacité, 8 % seulement la prenne. »

Le co-auteur de l'étude Jean Gondonneau détaillait : « Demander une contraception, c'est demander, en fait, le droit au plaisir. (...) Or si la fonction de reproduction pour la femme est considéré comme quelque chose de moralement utile, de socialement valable, et pour laquelle elle n'a aucune honte à venir demander assistance à un médecin, par contre la démarche qui consiste à aller demander à un médecin un moyen de contraception est, pour certaines femmes, une démarche véritablement très délicate, très difficile. »

Néanmoins, de nouvelles attitudes en ce qui concernait la vie sexuelle apparaissaient, expliquait le sociologue. « Il y a un changement dans la manière de considérer la sexualité avec peut-être un petit peu moins de bluff. Le souci justement de mettre en accord sa pensée et ses actes me parait être une caractéristique et une exigence de la jeunesse qui me parait être un signe de santé et d'équilibre. Et non un signe de perversion. »

Parmi les chiffres clés, on relevait un âge moyen pour le premier rapport sexuel de 19,2 ans pour les hommes et de 21,5 pour les femmes. Une première expérience qui se faisait de plus en plus dans la même classe d'âge et le principal lieu de rencontre (17 %) était le bal. De nombreuses autres questions étaient posées sur la localisation, la chronologie et la régularité des rapports sexuels ou encore sur la diversité de pratiques, les positions empruntées pendant l'acte et les différences entre hommes et femmes.

Une enquête révolutionnaire dans sa méthode

Au-delà de ses conclusions, le rapport Simon était révolutionnaire par sa méthode. Comme le racontaient en 2003 les différents extraits de « La Fabrique de l'histoire » ci-dessous, cette étude tentait « de saisir la sexualité à travers sa dimension sociologique ». Objectif : comprendre « les normes de la sexualité occidentale afin de procurer à ceux qui exercent une fonction de médiation sociale un outil d'éducation sexuelle ».

Pierre Simon expliquait : « Toutes les tribunes de mai 1968 disaient "Faute d'un rapport sur la sexualité française, on ne sait pas où on va". J'ai pris la décision d’essayer de faire un rapport sur la sexualité des Français. » Et de poursuivre : « Mon analyse était la suivante. Il existe un impact de la technique sur la morale. Et la morale, c'est ce qui inspire souvent le législateur, c'est le principe d'une démocratie. »

L'étude avait été initiée en 1969, sur commande gouvernementale et avec le concours du planning familial dont Pierre Simon était l'un des fondateurs. Elle fut conduite auprès d'un panel représentatif de 2 500 personnes et permit de proposer une image chiffrée des comportements sexuels des Français. Cette étude devait également permettre le développement de l'éducation sexuelle, bientôt au programme du secondaire.

Dans « La Fabrique de l'histoire », la militante française du droit à l'avortement et présidente du Mouvement français pour le planning familial entre 1973 à 1979, Simone Iff notait quelques limites au rapport Simon. « Ce rapport a été fait par des hommes et c'est une recherche d'hommes sur la sexualité. (...) Les positions, mais qu'est-ce que ça intéresse les normes de positions pendant l'acte sexuel ? C'est vraiment une vue masculine. » Et d'ajouter : « Une autre déception concernant le rapport Simon, il n'y a rien sur les relations forcées, sur le viol au niveau des femmes. »

De la libéralisation sexuelle de 1972 aux années Sida

« Après la libération sexuelle des années 1970, voici les années Sida. » Il fallut attendre 1992 et un tout autre contexte politique et social pour qu'une nouvelle enquête d'ampleur mette à jour les données du rapport Simon. Cette fois-ci 20 000 personnes furent interrogées. Coordonnée par Alfred Spira et Nathalie Bajos de l'Inserm, cette étude sur le comportement sexuel des Français avait pour objectif de « définir la prévention contre le SIDA ».

Le 20h de TF1 de l'époque, disponible ci-dessous, expliquait : « Premières conclusions de l'enquête, c'est l'heure de la stabilisation. (...) Depuis 20 ans le nombre de rapports sexuel par semaine, deux en moyenne, ne s'est pas modifié, l'homosexualité concerne toujours 5 % des hommes, et l'âge du premier rapport sexuel est toujours de 17 ans pour les garçons, 18 ans pour les filles. »

Et Alfred Spira de commenter ce dernier point : « Ce qui indique que, contrairement à ce que certains pouvaient penser, l'arrivée du sida n'a pas modifié l'entrée dans la vie sexuelle active ». Signe du changement de contexte, au lieu de souligner une libéralisation de la vie sexuelle comme en 1972, on insistait sur la plus grande utilisation des préservatifs par les jeunes. « Ceci va dans le bon sens », ajoutait Alfred Spira.

En conséquence, les questions étaient plus poussées, notamment sur les pratiques sexuelles à risque ou le nombre de partenaires. Au cours de l'étude, comme on l'entend ci-dessous, « Envoyé spécial » avait passé du temps avec les enquêteurs. Les personnes étaient sondées par téléphone, leur anonymat garanti. De silences gênés en exclamations sur le caractère osé des questions, au fil des appels les téléspectateurs découvraient l’ampleur du tabou qui pesait toujours sur le sujet. « Parmi les personnes interrogées, certaines ont été choquées, certaines nous l'on dit, d'autres ont raccroché, certains nous ont écrit et fait par de leur mécontentement ».

« Les représentations de la sexualité continuent à rester traditionnelles »

En 2006 et 2007, une troisième étude sur la vie sexuelle des Français était menée par la socio-démographe Nathalie Bajos et le sociologue Michel Bozon. Selon l'archive de France 3 ci-dessous, celle-ci montrait que les Français vivaient de façon plus libre leur sexualité que dans les années 1970. Plusieurs nouveautés étaient alors soulignées : les «flirts sur internet», une plus grande proportion de personnes poursuivant une vie sexuelle après 50 ans.

Dans leurs premières conclusions, les auteurs notaient : « Depuis la dernière enquête, le contexte de la sexualité a beaucoup changé. À partir de 1996, des traitements de l’infection à VIH sont devenus disponibles, ce qui l’a transformée en une maladie chronique. Des infections continuent néanmoins à se produire tous les ans. Mais surtout, l’épidémie s’est banalisée et les représentations des risques liés à la sexualité se sont profondément modifiées. » Ils notaient également une évolution des structures familiales, une plus forte égalité de genre et entre les sexualités et une meilleure approche politique des violences faites aux femmes.

Si les pratiques des hommes et des femmes convergeaient avec le temps, une certaine asymétrie dans la façon de percevoir la vie affective et sexuelle était encore à l'œuvre. Les femmes étaient par exemple quatre fois plus à même d'accepter des rapports pour faire plaisir à leur partenaire. Ainsi, les chercheurs expliquaient : « Les premiers résultats de l’enquête de 2006 montrent que les femmes ont et déclarent une vie sexuelle de plus en plus diverse et active, si l’on compare avec les enquêtes précédentes. Les indicateurs concernant les hommes changent moins. Ces changements renvoient aux transformations des trajectoires et des vies familiales, ainsi qu’aux évolutions sociales générales. Dans le même temps, malgré certaines évolutions, par exemple dans les attitudes à l’égard de l’homosexualité, les représentations de la sexualité continuent à rester traditionnelles, et à opposer fortement la sexualité qui convient aux femmes et celle des hommes. »

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