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Au Niger en 1970 lorsque l'exploitation de l'uranium par la France débutait

Au Niger en 1970 lorsque l'exploitation de l'uranium par la France débutait

Après le coup d'État au Niger mercredi 26 juillet, la France peut-elle être menacée par une pénurie d’uranium importée de ce pays ? En effet, depuis les années 1970, la France entretient avec Niamey des relations économiques suivies, notamment pour l'uranium, ce combustible qui permet de faire fonctionner les centrales nucléaires.

Par Florence Dartois - Publié le 01.08.2023

L’ACTU.

Le 26 juillet 2023, un putsch militaire pour destituer le président Mohamed Bazoum de ses fonctions a provoqué de nombreuses réactions internationales pour appeler à son retour. Parmi elles, celle de la France, inquiète de la rupture possible des liens historiques et stratégiques qui unissent les deux pays. L’Élysée a annoncé dès le samedi 29 juillet l’arrêt provisoire de son aide au développement et de son appui budgétaire. Décision qui provoquait le lendemain une manifestation violente devant l'ambassade de France à Niamey.

L’Élysée a mis en garde contre d’éventuelles attaques qui toucheraient les intérêts français sur place. Entendez, l’exploitation de gisements d’uranium. Après le coup d'État au Niger, une question se pose : la France serait-elle menacée par une pénurie d’uranium importée de ce pays ? Car depuis les années 1970, la France, même si les sources d'extraction sont désormais diverses, est dépendante de l'uranium nigérien qui lui permet de mener sa politique « d'indépendance énergétique » et de faire fonctionner les centrales nucléaires.

Nous avons retrouvé dans nos archives un très beau reportage sur les débuts de cette coopération économique, diffusé le 3 août 1970, dans le magazine de l’ORTF « Eurêka », qui s’intitulait « Uranium et Touaregs ». Elle décrivait comment la France « aidait » un pays présenté comme « quasi désertique » et sans ressource, à développer l’exploitation des immenses réserves d’uranium recelées dans le sol.

L'ARCHIVE.

Le reportage commençait par une déclaration étonnante : « le Niger n’a pas eu la même chance que l’Algérie, l’Arabie ou le Koweït, son désert ne recouvre aucune nappe de pétrole… ». Oui, mais il dissimulait, un minerai bien plus précieux : l’uranium, et dès 1968, les ingénieurs français du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) avaient découvert la présence d’importants filons dissimulés sous la roche chauffée à blanc par le soleil. « Qu’il y ait de l’uranium, c’est désormais certain, les compteurs Geiger le disent », précisait le commentaire.

Le reportage décrivait les nombreux travaux de recherche d’une équipe de prospection, car la question qui se posait au début des années 1970, était de savoir s’il existait assez de filons exploitables. Inlassablement, les jeeps sillonnaient les pistes sablonneuses en quête d’un nouveau gisement. On quadrillait le pays à l’aide de forages pour connaître la nature du sous-sol, « de l’eau injectée en permanence remonte à la surface les débris du terrain ». Les forages étaient minutieusement surveillés par une main d’œuvre locale employée par le CEA. L’un d’entre eux expliquait que les forages pouvaient descendre jusqu’à près de 450 mètres.

Un ingénieur français ajoutait que dès qu'un forage était terminé, un autre était lancé immédiatement à dix kilomètres, la distance prévue entre chaque forage. Le repos des ouvriers n’était pas sa priorité. « Même si c’est en pleine nuit, nous n’avons pas cinq minutes à perdre. Le contrat est strict ».

Au petit matin, un spécialiste examinait les petites mottes de terre réparties non loin du forage, en quête d’indices de la présence d’uranium. Le journaliste commentait observer « quelques Sisyphe égarés qui jouaient au rendement et à la rentabilité au centre du désert ». Les petits tas de sable contenaient 2 pour 1000 d’uranium.

Exploiter la terre des Touaregs

Le ton du reportage allait se faire plus mitigé à l'évocation de l'exploitation massive de cette région du Sahara, traditionnellement occupée par les Touaregs. La quiétude du désert allait bientôt être troublée par une explosion, au nord d’Agadèz, présentée une nouvelle fois comme une région « déshéritée que même les Touaregs l’évitaient », mais où se trouvait un trésor, « le métal de l’avenir ».

Devant les caméras, grues et bulldozers commençaient l’excavation du minerai. Le journaliste décrivait ainsi le chantier : « aujourd’hui, un immense entonnoir blesse le désert et au fond, où il fait encore plus chaud, de grosses fourmis mécaniques creusent, creusent encore ».

Ce qui étonnait, c’était la quantité d’eau qui se trouvait au fond du trou de ce désert supposément aride. Un ingénieur expliquait que l’exploitation de la mine passait par une nappe phréatique profonde de 27 mètres, niveau où ils se trouvaient alors, « on pompe depuis un mois, il faudra pomper jusqu’à la fin de la carrière », précisait-il. Pour exploiter l’uranium, il avait fallu retirer 37 mètres de terrain.

Une usine et une ville seraient également construites à proximité. À partir de 1971, il était prévu de produire 750 tonnes, et 1500 tonnes pour 1974. Au loin, les débris de l’excavation formaient désormais une montagne, visible sous l'objectif de la caméra.

Des modes de vie bouleversés

Nous vous proposons ci-dessous une autre archive extraite du même reportage d'août 1970 qui décrit, avec de magnifiques images, l’organisation de la vie aux alentours de la mine, avec la création d'une « ville induite » formée de paillotes, isolée au milieu de « centaines de kilomètres de désert » et peuplée d’une multitude d’ouvriers, de petits commerçants qui avaient tout abandonné, en quête d’une vie meilleure.

Non loin de là, la caméra dévoilait une oasis artificielle où s’était établie la haute société, principalement composée du personnel du CEA, qui ce soir-là, à l’occasion de la présence des caméras, organisait un méchoui. À 10 km au sud-est d'Arlit, à Madawela, le CEA avait en effet établi l’exemple de ce que serait le pays « si l’eau n’était pas si rare. »

Le reportage concluait sur l’impact de ces bouleversements sur les Touaregs, dont les silhouettes continuaient à « donner un sens au désert ». Certains, séduits par le progrès, abandonnaient leurs traditions, leurs dromadaires, délaissant l’entretien de leurs puits ancestraux pour les trop-pleins des piscines de forage.

Dans l’école sous tente où le CEA formait des prospecteurs, l’un des cinq élèves était d’ailleurs un Touareg. Il deviendrait chercheur d’uranium « dans un pays où la scolarisation est pratiquement nulle ». De longs plans montraient ces jeunes gens, compteur Geiger en main, en quête d’uranium dans une immensité de pierres. D’autres deviendraient ouvriers et gagneraient beaucoup plus que leurs pères restés dans le désert. C'était du moins une promesse.

Le journaliste concluait son reportage par une phrase d’avertissement teinté de regret, « je vous le disais, il reste peu de temps pour aller voir Agadez ». Grâce aux images filmées sur place en 1970, quelques brides du Niger « d’avant l’uranium » auront tout de même subsisté.


L’uranium du Niger

Le Niger est le premier des pays africains producteurs d’uranium. 97% de cette production sont destinés à l’exportation, notamment à la France. Depuis un demi-siècle, des milliers d’hectares sont dévolus aux mines d’uranium qui se concentrent dans la région d’Agadez, à 800 km de la capitale du Niger.

La plus ancienne carrière est celle d’Arlit. Exploitée à ciel ouvert depuis 1969, elle a produit 70 000 tonnes d’uranium cumulées jusqu’en 2019.

À 15 kilomètres, la mine souterraine d’Akouta (créée en 1974) est l’une des plus grandes au monde : 291 km de galeries et l’extraction de 75 000 tonnes de minerai, associée à une usine de traitement du minerai. Des millions de mètres cube d’eau sont ainsi pompés dans la nappe fossile de Ti-n-Taghat, avec une problématique de pollution et d’épuisement de la ressource. À 10 km au sud-est d’Arlit, à Madawela se trouve cet ancien site du Commissariat à l’Énergie Atomique, transformé en oasis, que l’on voit dans le reportage.

Des conséquences écologiques

La décision de relancer le nucléaire français va permettre à l’entreprise minière Orano Mining (la filiation industrielle française comportant Areva, Cogema, CEA) de reprendre un gigantesque projet de « la plus grande mine d’uranium à ciel ouvert d’Afrique occidentale » sur le site touareg d’Imouraghen, à 80 km au sud d’Arlit. Il faut souligner que cette exploitation intensive n'est pas sans impact sur l’environnement et les populations et de nombreuses ONG dont Médecins du monde ont largement dénoncé une aggravation de la pollution déjà conséquente dans la région. En cause les procédés d’excavation et de nettoyage du minerai nécessitant de l’acide qui pollue les nappes d’eau et les ressources naturelles, obligeant les habitants nomades à s’éloigner de plusieurs centaines de km.

Quant aux débris abandonnés, décrits comme une « montagne » dans le reportage ci-dessus, en janvier 2022, l’Atlas de l’uranium, faisant état d’« une vingtaine de millions de tonnes de résidus de traitement contenant à peu près 80 % de la radioactivité ». La main-d’œuvre locale travaillant sans protection vestimentaire ni consignes sanitaires est largement malade de la pollution radioactive et chimique, une problématique dénoncée dans le film documentaire sur Arlit, La colère est dans le vent, d’Amina Weira en 2016.

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