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Les Segpa, ces classes déjà mal-vues dans les années 70-80

Les Segpa, ces classes déjà mal-vues dans les années 70-80

La bande annonce du film «Les Segpa» coproduit par Cyril Hanouna, a provoqué un tollé chez les professeurs et les élèves de ces classes spécialisées. Une stigmatisation ancienne et déjà vivace au début des années 1980.

Par Florence Dartois - Publié le 10.01.2022
Section enseignement spécialisé à Alençon - 1980 - 04:03 - vidéo
 

Le 2 janvier, en dévoilant la bande-annonce de la comédie Les Segpa qu'il coproduit, Cyril Hanouna ne s’attendait sans doute pas à provoquer la polémique. Depuis, les professeurs d’élèves en grande difficulté dénoncent une stigmatisation et une caricature d’enfants déjà fragilisés.

Les Segpa, ce sont les Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté. Elles ont été créées en 1965. A l'époque, on les appelait les CES (Classes d’enseignement spécialisé), puis les SES (Sections d’éducation spécialisée). C'est en 1989 que les SES ont été renommées Segpa. Mais derrière ces acronymes se cachent la même difficulté scolaire et bien souvent les mêmes injustices sociales. L'objectif de ces classes est de permettre aux élèves en grande difficulté d'obtenir le certificat de formation générale (CFG). Aujourd'hui, il ouvre l’accès à un diplôme professionnel comme le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou le baccalauréat professionnel.

Ces filières sont parfois décrites comme une impasse et les Segpa traînent une mauvaise réputation. Leurs élèves sont méprisés.

Le reportage proposé en tête de cet article décrit ces classes et donne la parole aux élèves et à leurs profs. Il a été diffusé dans le 20h00 d'Antenne 2 en février 1980. Les classes de SES, leur appellation d'alors, disposent d'un seul enseignant pour toutes les matières, mais sans programme obligatoire. L’enseignement doit être le plus concret possible « pour socialiser les élèves » précise le commentaire. Idéalement, ce travail est réalisé en liaison avec des médecins, des psychologues ou des assistantes sociales comme c'est le cas dans ce collège d’Alençon. Ce qui n'était pas toujours le cas dans d'autres établissements moins bien dotés.

Une impasse et pas de reconnaissance

Une enseignante souligne la problématique commune à chaque collégien de SES : « On y retrouve tous ceux qui ont un retard scolaire. Lorsqu’on essaye d’analyser le pourquoi de ce retard scolaire, on y trouve souvent de mauvaises conditions sociales, de mauvaises conditions familiales et aussi quelquefois d’énormes problèmes affectifs ».

L'essentiel de l'enseignement suivi par les élèves est technique. Il est normalement dispensé dans 4 ateliers ou classes pratiques, deux pour les garçons, deux pour les filles. Mais par manque de moyens, le nombre d’ateliers est bien souvent inférieur. Ce sont les filles qui sont pénalisées. Dans cet établissement, on ne leur propose que deux formations : la couture ou employée de collectivité. Pourtant les jeunes filles interrogées rêvent de devenir infirmière, vendeuse ou gendarme. Autant de professions inaccessibles à ces filières. Sortis de l’école à 16 ans sans bagage, il sera difficile pour ces élèves de trouver un emploi ou un apprentissage.

La directrice du SES d’Alençon explique pourquoi : « Les élèves dits normaux ont un CAP en trois ans, je pense que nos élèves auraient besoin d'au moins de 4 ans de formation professionnelle ». Les élèves interrogés dans le reportage semblent résignés à leur sort. Certains vivent mal leur scolarité. Ils se sentent « à part ».

La formation générale minimale et la superficialité de l'enseignement technique représentent de fait des obstacles à leur insertion future dans le monde du travail. Les jeunes s'ennuient et chahutent. Et cela contribue à ternir leur image déjà négative.

«On n’est pas des poubelles »

Trois ans avant le reportage d'Antenne 2, en 1977, des élèves de SES avaient été pointés du doigt après le suicide d'une de leur enseignante âgée de 20 ans. Dans la presse, ils étaient décrits comme « déchaînés » ou « voyous ». Le magazine « Vendredi » était allé interroger leurs professeurs et les jeunes incriminés.

Dans la vidéo ci-dessous les professeurs expriment leur désarroi et les élèves leur désabusement. Les premiers s'avouent épuisés, un jeune prof déclare : « Pour moi c’était un véritable enfer, j’arrivais en classe avec une appréhension ». Plus loin, il nuancera : « Il y a des jours ou ça va, d’autres ou ça ne va pas (…) ». « Je ne prends pas de plaisir à faire mon métier (...) ils attendent leurs 16 ans et puis après ils cherchent du travail, ou ils n’en cherchent pas. Ils attendent. Ils sont dans la rue, ils sont libres », ajoutait une collègue.

Les élèves, eux, sont démotivés : « Il n’y a aucun débouché », « On ne fait rien, on s’emmerde tout l’après-midi alors… » Certains propos trahissent toutefois une blessure : « On est des voyous, c’est marqué dans le journal ! », « C’est marqué qu’on est des poubelles. C’est des cons de dire ça. On n’est pas des poubelles, on est comme les autres ».

« c’est marqué qu’on est des poubelles. C’est des cons de dire ça, on n’est pas des poubelles, on est comme les autres ». (Paroles d'élèves)

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