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L'histoire de la libération de la Corse en 1943 par ceux qui l'ont vécue

L'histoire de la libération de la Corse en 1943 par ceux qui l'ont vécue

Lors de son déplacement en Corse le 28 septembre, Emmanuel Macron a commémoré les 80 ans de la libération de l'île. Le 4 octobre 1943, après un mois de combats, l'île de beauté devenait le premier territoire français libéré. Récit de ces semaines historiques en archives audio et vidéo.

Par Florence Dartois - Publié le 28.09.2023
TEMA 2nde Guerre Mondiale : Fred Scamaroni - 2021 - 02:46 - vidéo
 

Le voyage d'Emmanuel Macron en Corse les 27 et 28 septembre 2023 a été marqué par plusieurs commémorations organisées pour les 80 ans de la libération de la Corse. Le Président s'est rendu à la Citadelle d'Ajaccio où il a rendu hommage aux Corses qui ont servi dans la Résistance, ainsi qu'aux goumiers marocains et aux Italiens résistants.

L'occasion pour nous de revenir en archives sur le rôle de la Résistance en Corse au cours de la Seconde Guerre mondiale.

La Corse fut occupée par les Allemands du 11 novembre 1942 au 4 octobre 1943. Grâce à sa position géographique, elle se trouvait au centre d'un terrain de guerre englobant l'Afrique du Nord et l'Italie fasciste. La Corse, la Sicile et la Sardaigne devenaient à partir de novembre 1942 des postes stratégiques à conserver coûte que coûte.

Le 8 novembre 1942, avec le débarquement allié en Afrique du Nord (l'opération Torch), les troupes allemandes envahirent la zone libre (opération Attila). En Corse, 80 000 Italiens débarquèrent dès le 11 novembre 1942. Ils seront rejoints, à partir de juin 1943, par 14 000 Allemands de la brigade SS Reichsführer. L'île comptant à l'époque environ 200 000 habitants, cela faisait presque un occupant pour deux habitants ! Un chiffre élevé qui s'explique par la crainte d'Hitler de voir la population favoriser un potentiel débarquement anglo-américain.

Cette surreprésentation de l'ennemi allait inciter le général de Gaulle à envoyer en Corse un émissaire pour s'informer des réseaux de Résistance présents sur l'île. En décembre 1942, il délègue sur place le général Giraud, co-président du Comité français de libération nationale. Le militaire de la France libre parvient à bon port à bord du sous-marin « Casabianca ». Ce sous-marin s'appelait en réalité « Le Glorieux », mais avait été rebaptisé ainsi après avoir réussi à rejoindre la France libre en novembre 1942. Il jouerait bientôt un rôle très important dans le soutien à la Résistance corse, lui livrant des armes et lui apportant un soutien logistique.

C'est ce que racontait à Radio Nice le commandant Lhermmier en 1950. Durant 10 mois, il a aidé ses « compatriotes d'adoption et d'honneur », comme il les qualifiait dans le témoignage audio à écouter ci-dessous. C'était grâce au soutien de ce submersible que les patriotes corses pourront obtenir les armes nécessaires au soulèvement de la population contre l'occupant, les 8 et 9 septembre 1943.

Fred Scaramoni, un héros corse

Mais l'un des personnages-clé de cette épopée est Fred Scaramoni. Son portrait est présenté en tête d'article. Il s'agit d'un sujet diffusé le 25 août 2021 dans le 19/20 Corsica sera de France 3 Corse ViaStella. Il est sans aucun doute l'un des visages les plus connus de la Résistance corse. Godefroy Scamaroni dit Fred Scamaroni est l'autre homme envoyé par De Gaulle pour organiser la résistance sur place. Né en 1914, il se dirige d'abord vers une carrière préfectorale et administrative comme son père. Mais très vite, dès 1940, il se tourne vers les forces de la France libre. Comme officier posté à Vichy, Scamaroni commence par faire du renseignement en faveur de la France libre, tout en créant deux réseaux. Fin 1941, la situation devenue trop dangereuse, le général de Gaulle le rappelle à Londres. Il est alors intégré dans le service « Action R2 corse ». Son rôle : préparer la libération de la Corse. Il est envoyé sur place.

Fred Scamaroni débarque en Corse, à la suite de Giraud, dans la nuit du 6 au 7 janvier 1942 dans la baie de Cuppabia.
Pendant trois mois, il va préparer l'unification de la Résistance, mais il ne parviendra pas à terminer sa mission. Scamaroni arrêté par l'OVRA (police politique italienne équivalente à la Gestapo) est torturé. Il se donne la mort dans sa cellule à Ajaccio pour ne pas parler, le 19 mars 1943. Il avait 29 ans. Jamais il ne verra la libération de la Corse 6 mois plus tard. Avec son sang, il écrit sur le mur « Je n'ai pas parlé, vive la France, vive de Gaule ». Son réseau est alors démantelé.

La Résistance s'organise

Pour remplacer Scaramoni, le général Giraud envoie le 4 avril 1943, Paul Colonna d'Istria pour continuer le travail fédération de la Résistance sur place. En parallèle, le sous-marin « Casabianca » multiplie ses missions débarquant agents, armes et munitions pour armer la Résistance insulaire.

Le 10 juillet 1943, les Alliés débarquent en Sicile (opération Husky). Mussolini est destitué. En août 1943, les Allemands décident de concentrer leurs forces sur la Corse et l'île italienne d'Elbe, mais, le 3 septembre, l'Italie signe secrètement un armistice avec les Alliés. Proclamé le 8, il stipule que la Corse doit être « restituée aux Alliés ». Dans une situation extrêmement confuse, les partisans italiens acquis aux alliés décident de bombarder les navires allemands basés dans le port de Bastia. Patriotes corses et soldats italiens s'allient et s'emparent de la citadelle, de la gare et des principaux axes de communication. Ajaccio se soulève le 9 septembre.

Dès la proclamation de l'armistice, le 8 septembre, le Front national, qui regroupe tous les mouvements de résistance corses réunis grâce à l'action de Paul Colonna d'Istria se lance dans l'insurrection. Giovoni (cadre du Front national) rencontre le général Giraud à Alger. Ce dernier lui promet de l'aide. Mais l'insurrection est déclenchée le soir même, ce qui prend de court les autorités d'Alger. Le général Giraud, conscient du danger encouru par les résistants, sans en avertir de Gaulle, Giraud prend la décision d'envoyer le 1er corps d'armée du général Henri Martin pour aider la Résistance.

Pour la logistique et l'envoi des troupes, Giraud mandate deux sous-marins, l'« Aréthuse » et le fidèle « Casabianca », ainsi que deux contre torpilleurs et deux torpilleurs. Le port d'Ajaccio étant libre, les premiers à débarquer sont les hommes du 1er bataillon de choc créé par le général Giraud en avril 1943. Ils font la traversée, massés, dans le « Casabianca ». L'archive audio ci-dessous raconte comment le submersible a débarqué les 109 hommes

Le 12 septembre, Hitler demande l'évacuation de ses troupes. Évacuation qui débute le 17 septembre le long de la côte orientale et sur le port de Bastia. Les hommes et le matériel à évacuer est considérable et stratégique, car Hitler envisage de les envoyer se battre en Italie après avoir quitté la Corse : la brigade Reichsführer, la 90e division Panzer (en provenance de Sardaigne), soit 32 000 hommes avec du matériel lourd (chars, pièces d'artillerie et véhicules divers). Un bataillon de parachutistes italiens suit les Allemands dans leur retraite. L'archive ci-dessous, diffusée le 17 novembre 1973 dans le « Journal France Actualités » montre à quoi ressemblaient ces forces allemandes.

Fortifications sur le front d'Italie
1943 - 01:54 - vidéo

Des patriotes et des goumiers...

Le 8 septembre 1943, les Résistants lancent un appel à l'insurrection. Après le début des combats, la Résistance affronte seule les Allemands pendant une dizaine de jours. Les renforts vont venir d'Afrique du Nord. Les troupes françaises arrivent principalement avec des troupes marocaines (goumiers) encadrées par des officiers français, pour reprendre Bastia.

Du 14 au 17 septembre, les Résistants sont rejoints à Ajaccio par le 1er régiment de tirailleurs marocains, par des spahis, et des goumiers. Soit, au total 6 000 hommes, 400 tonnes de matériel, dé véhicules, d'armes et de carburant. Ajaccio devient la tête de pont. Les renforts venus d'Algérie viennent appuyer les patriotes qui ont commencé seuls à défendre les passages entre les deux versants de l'île.

Les goumiers ont joué un rôle essentiel dans la libération de la Corse. Il s'agissait de soldats faisant partie d'un goum, une unité d'infanterie légère de l'armée d'Afrique composée de troupes autochtones marocaines ou de tribus sahariennes nomades (arabes, toubous, touarègues ou maures) sous encadrement français.

Dans l'archive ci-dessous, le journal « Oghje in Corsica » du 22 septembre 2004 revenait sur le rôle capital des Goumiers dans cette bataille de Corse. Ernest Bonacoscia, ancien berger qui avait 14 ans en 1943, les avait rencontrés et guidé de Saint Florent au col de Teghime. Il leur rendait hommage, racontant son périple avec ces Marocains courageux. Le reportage est illustré d'images d'époque.

Des batailles d'anthologie

À partir du 21 septembre les Italiens, commandés par le général Magli, coopèrent officiellement avec les Français. La division « Cremona » participera aux combats de Porto Vecchio, Sotta et Bonifacio des 23 et 24 septembre et la division « Friuli » à ceux du col de Teghime à la fin du même mois.

La position des troupes françaises au col de San Stefano s'avéra déterminante. Après la prise du col de Teghime, le 4 octobre au matin, le Général Louchet donne l'ordre à ses troupes de descendre sur Bastia. La victoire aurait été parfaite sans la terrible méprise des aviateurs américains qui bombardent par erreur la ville.

Le 4 octobre 2003, la ville recevait la plus haute distinction militaire : la Croix de Guerre. À cette occasion, le JT Corsica Sera consacrait un long sujet sur ces batailles essentielles qui libérèrent la Corse. Avec les interviews de Paul Silvani, journaliste, historien, du général Jacques Dehollain, ancien commandant compagnie du 1er RTM, Jean Peltier, ancien sous-lieutenant du 1er RTM et le témoignage du résistant et berger, Ernest Bonacoscia. Une archive à visionner ci-dessous.

À la fin de septembre et pendant les trois premiers jours d'octobre, les Allemands cherchent à protéger leur retraite, se repliant sur le port de Bastia. Ils sont bientôt encerclés par les patriotes, les soldats des goums (tabors, spahis...) et troupes italiennes qui progressent par l'ouest, avec les résistants du Cortenais et de la Balagne. Les Marocains s'illustrent dans la bataille du col de San Stefano qui est gagné le 30 septembre, le col de Teghime le 3 octobre. Le Cap Corse est à son tour contrôlé.

En ce début octobre 1943, Ajaccio est déjà libérée, Corte aussi. Reste à bouter les Allemands hors de Bastia. Nous retrouvons Ernest Bonacoscia, et un historien Sylvain Gregori, qui nous permettent de comprendre l'importance de la célèbre bataille du col de Teghime pour regagner la capitale du nord de l'île.

La première région française libérée

Le 4 octobre, Bastia est libre, mais dévastée par les combats et les bombardements américains. La 90e Panzergrenadierdivision quitte l'île.

Au cours de sa visite en Corse, du 5 au 8 octobre 1943, le Général de Gaulle saluera les sacrifices consentis par les Corses. L'accueil populaire réservé à De Gaulle est chaleureux. Dans son discours d'Ajaccio du 8 octobre, il salue le rôle du Front national dans la libération corse - la première du territoire métropolitain - et réaffirme les liens entre la Corse et la France : « La Corse, que l'héroïsme de sa population et la valeur de nos soldats, de nos marins, de nos aviateurs, viennent d'arracher à l'envahisseur au cours de la grande bataille que les Alliés mènent en ce moment, la Corse à la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France. Ce qu'elle fait éclater de ses sentiments et de sa volonté, à la lumière de sa Libération, démontre ce que sont les sentiments et la volonté de la nation tout entière ». Son discours témoigne de son émotion sincère.

Ce document audio est à écouter ci-dessous. Il s'agit du discours du 8 octobre 1943 prononcé sur la place de la mairie d'Ajaccio par Charles de Gaulle.

La qualité du son est assez médiocre, mais permet de découvrir la fierté qui régnait alors. À travers ses mots élogieux à l'égard du combat corse, le général de Gaulle semble décrire son propre refus d'accepter la défaite contre l'envahisseur. À travers la description de la ténacité des patriotes, il décrit son propre combat : « La Corse n'a cru à la défaite. Il est prouvé qu'elle n'attendait que l'occasion pour se lever, combattre et vaincre. Cette fraction du pays savait bien, comme la patrie, que les revers essuyés par nos armées, en mai et juin 1940, n'étaient qu'un épisode cruel, mais passager, d'une guerre grande comme le monde. »

La Corse s'était libérée, mais la guerre n'était pas achevée, ce que rappelait le général : « Mais le présent exige la guerre, car l'ennemi principal n'est pas encore abattu. À cet égard, c'est d'Ajaccio que nous affirmons la volonté de la France de déployer sa force renaissante aux côtés des vaillantes forces de l'Angleterre et des États-Unis sur les rivages, sur les flots, dans les ciels de la Méditerranée. C'est d'Ajaccio que nous renouvelons notre serment de combattre jusqu'au terme avec tous les peuples qui, comme nous, luttent et souffrent pour écraser la tyrannie... ».

Voyage du Général de Gaulle à Ajaccio
1944 - 03:05 - vidéo

Document muet sur la visite qu'effectua le Général de Gaulle à Ajaccio en octobre 1943, quelques jours après la libération de la Corse. On le voit accompagné par le Général Martin, le préfet Luizet, ainsi que le maire d'Ajaccio Eugène Macchini. Le Général rend hommage à la population d'Ajaccio, aux résistants et aux soldats grâce à qui « la Corse a la fortune et l'honneur d'être le premier morceau libéré de la France... ». 

L'estimation des victimes témoigne de la violence des combats corses : 1 000 tués allemands et 400 prisonniers. Les Italiens dénombrent 637 tués et 557 blessés. La Résistance enregistre 170 tués et environ 300 blessés. Les troupes comptent 75 tués et 239 blessés.

À ce bilan, il faut ajouter l'importance des dégâts matériels : de nombreux ponts ont sauté, des maisons sont détruites, Bastia a subi cinq bombardements alliés entre le 13 septembre et le 4 octobre, ainsi que des tirs d'artillerie. Une partie de la ville est en ruines. Les lignes de chemins de fer sont inutilisables.

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