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Alain Touraine : ses mots sur la jeunesse, l'action collective et la sociologie

Alain Touraine : ses mots sur la jeunesse, l'action collective et la sociologie

Alain Touraine, grand intellectuel français, est mort vendredi 9 juin. Il avait 97 ans. Figure majeure de la sociologie, il avait fait de l'action collective sa spécialité et s'attachait à expliquer les changements du monde au grand public. 

Par Romane Sauvage - Publié le 09.06.2023
Alain Touraine à propos de l'engagement - 1993 - 01:38 - audio
 

L'ACTU.

L'un des pères de la sociologie moderne, Alain Touraine, est mort vendredi 9 juin à l'âge de 97 ans. Il était de ces intellectuels engagés qui s'était attaché à commenter les évolutions du monde dans ses livres, mais aussi dans les médias. Agrégé d’histoire, directeur d’études à l’EHESS et fondateur du Cadis (Centre d’analyse et d’intervention sociologique), il n'hésitait pas à intervenir dans le débat public. Spécialiste des mouvements sociaux, il avait commencé par s'intéresser au milieu ouvrier, puis avait été un observateur des luttes sociales du printemps 1968 et de celles qui suivirent. Auteur prolifique à partir de sa thèse, publiée en 1955, il a rédigé près de 50 ouvrages au cours de sa carrière.

Au fil de ses interventions à la radio et à la télévision, Alain Touraine a montré ses engagements et sa vision de la sociologie. Retour en archives sur son parcours.

LES ARCHIVES.

« Je crois absolument à la mission des intellectuels, qui est de comprendre le monde pour le transformer. » En 1993, Alain Touraine était interrogé dans un long entretien pour l'émission « Le bon plaisir », échange disponible en tête d'article. Il y racontait son attachement à l'engagement des intellectuels. « Je pense qu'il faut se battre contre le mal. Nous sommes tous les petits-fils d'un siècle qui a été dominé par le totalitarisme, nous sommes dans un continent dont la grande réalité, c'était les camps de concentration. Alors, si vous croyez qu'on n'a pas de quoi se battre ! Et puis, le monde de la marchandise et puis le baratin stupide des idéologies déclinantes. »

Il en faisait un mot d'ordre : « Je pense qu'il faut être en colère. La grande qualité d'un intellectuel, c'est d'être en colère. »

Sociologue du changement

« Je suis un homme autodidacte », expliquait le sociologue au micro de l'émission « Le bon plaisir », dont un second extrait se trouve ci-dessous. « Je me suis mis, avec ce dont je disposais, c'est-à-dire un peu d'esprit historique, à étudier ce que je voulais comprendre. (...) Moi, c'était cette société industrielle. Et j'avais ce sentiment d'humiliation, d'être dans un pays de merde, un pays qui avait été infoutu de se développer entre les deux guerres et s'était mal conduit en 1940, qui avait été lamentable en tout. Et, il fallait tout réinventer. Alors, moi, j'ai trouvé ça absolument formidable. »

Intro + Alain Touraine et la sociologie
1993 - 08:07 - audio

« Il s'est toujours orienté vers une sociologie du conflit, du changement et des mouvements sociaux, là où d'autres privilégiaient l'étude de l'intégration, de la permanence des structures », résumait le journaliste. Dans ce long entretien, Alain Touraine tentait ainsi de synthétiser sa pensée. « Moi au fond, j'ai toujours cru (...) qu'il fallait revenir à une pensée (...) qui est celle du droit naturel : je crois que notre société, c'est l’engagement pour mettre en forme dans une réalité concrète, la liberté, la créativité de l'homme que Dieu a fait à son image. »

Comme Descartes à son époque, expliquait-il, à cela près que depuis, « ce que nous avons appris est que l'être humain est engagé dans des rapports sociaux (...) et cette liberté, créativité, il faut les défendre dans des rapports sociaux. » De Marx et d'Hegel, il retenait : « il faut analyser dans la société un drame du pouvoir, des relations de domination, non pas des choses et de l'argent, mais des rapports sociaux. »

Analyste des mouvements sociaux

« Que se passe-t-il chez les jeunes Français ? » Dans cette archive d'un 20h de mars 1973, face à un journaliste dérouté, Alain Touraine décryptait les ressorts de la mobilisation lycéenne contre la loi Debré, comme il a pu à d'autres époques commenter les mouvements du printemps 1968. « Ce milieu de jeunesse est un milieu qui est porteur de revendications nouvelles qui n'ont pas encore la maturité pour être canalisées par des organisations. D'autre part, ce milieu est stimulé, excité, provoqué par des méthodes de gestion politique. Et troisièmement, ce milieu vit une expérience quotidienne qui lui montre une distance très grande entre la culture scolaire (...) et les aspirations d'une catégorie sociale qui est celle des jeunes », analysait le sociologue.

Qu'est ce qu'un gauchiste ? Alain Touraine
1973 - 02:42 - vidéo

Il proposait de chercher les racines de cette mobilisation plus loin que dans la seule opposition à la réforme Debré. « Il y a une mobilisation politique qui est le phénomène fondamental : la jeunesse à qui on ne donne pas de droits politiques, les exerce. »

Observateur du changement social

Historien de formation, Alain Touraine ne commentait pas seulement les mouvements sociaux, mais aussi le changement social sur le temps long. Ainsi, en 1996, le sociologue était interrogé sur le plateau de « Télématin » sur l'histoire politique du pays et les septennats de François Mitterrrand. « À partir du milieu des années 1970, tout bascule, le monde s'ouvre, de nouveaux concurrents et pour y répondre : le grand saut en avant technologique. » Selon lui, il y avait un enjeu : éviter l'explosion des inégalités sociales. Un « bilan mitigé » car, dans les années précédant l'arrivée au pouvoir de Mitterrand, « la France fait la politique de l'autruche. »

Alain Touraine
1996 - 06:31 - vidéo

Marqueur de sa pensée, Alain Touraine croyait en la capacité d'action des individus. Il le rappelait dans « Télématin » : « Les Français courraient de très grands dangers s'ils pensaient qu'ils sont impuissants devant une économie mondialisée qui impose ses lois. » Et de conclure : « Chaque pays doit créer son mode de gestion de la modernisation, de gestion des changements. »

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