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La place des femmes de théâtre dans les archives avec Reine Prat

La place des femmes de théâtre dans les archives avec Reine Prat

Agrégée de lettres, Reine Prat a occupé différentes responsabilités dans le domaine des politiques culturelles, au ministère de la Culture, à la mairie de Marseille et au Quai d’Orsay. Pour le prochain Lundi de l’INA au Centre Pompidou, lundi 11 mars à 19h, elle propose un voyage dans « sa boîte à théâtre » autour de la place des femmes de théâtre dans les archives. Entretien.

Propos recueillis par Benoît Dusanter - Publié le 09.11.2023 - Mis à jour le 13.03.2024

Maria Meriko interprète la reine Atossa dans « Les Perses » d’Echyles adapté par Jean Prat pour l’ORTF en 1961. Un souvenir marquant pour Reine Prat. Crédits : Daniel Fallot.

INA - Quels sont vos premiers souvenirs de théâtre ?

Reine Prat - J’ai découvert le théâtre à la télévision. J’ai le souvenir de Silvia Monfort et Maria Casarès, deux grandes tragédiennes que j’ai vues à la télévision à cette époque. Leur voix m’a beaucoup marquée, elles étaient mes idoles. La grande découverte a été « Les Perses » d'Eschyle, une création télévisuelle réalisée par Jean Prat qui a aussi été un grand événement technologique, puisque le son était retransmis en stéréo sur les postes de radio (stéréophonie). On regardait donc la télévision en écoutant la radio. C’était le 31 octobre 1961 ; le spectacle était très fort, très hiératique. Un magnifique texte contre la guerre avec des comédiens qui portaient tous des masques et n’étaient reconnaissables que par la voix. Ce théâtre filmé m’a complétement embarquée. Par la suite, j’ai voulu être tragédienne et aller au conservatoire, mais mes parents m’en ont dissuadé. Je crois qu’ils voulaient me mettre à l’abri de ce genre d’institution… Et ils avaient sans doute raison.

INA - La télévision a donc beaucoup marqué votre enfance…

Reine Prat - Absolument, bien que je ne la regarde plus du tout aujourd’hui. C’était une véritable télévision de service public. Le théâtre à la télévision, notamment, créait une forme de lien social. Beaucoup d’émissions ont marqué mon enfance, d’ailleurs, faire des recherches dans les archives de l’INA a été une expérience vraiment extraordinaire ! Pour les besoins de ce Lundi de l’INA, j’ai pu - un peu égoïstement - mettre en avant des archives qui avaient une résonance très personnelle. Je pense par exemple à « Orfeu Negro », un film musical avec Marpessa Dawn, qui est une transposition d’« Orphée et Eurydice » au carnaval de Rio. Tous les interprètes étaient noirs ; c’était très étonnant, dans mon souvenir ! Je pense aussi à de grandes figures comme Marguerite Duras, Françoise Sagan ou Nathalie Sarraute.

INA - Justement, vos travaux portent sur la place des femmes dans le monde de la culture. Quelle est la place des femmes aujourd’hui dans le monde du théâtre et comment sont-elles traitées par les médias ?

Reine Prat - Il y a eu une époque où la télévision donnait à voir du théâtre, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour moi, elle ne joue plus son rôle de service public sur ce critère. Bien sûr, il y a eu quelques émissions comme « Le cercle de minuit », mais, dans l’ensemble, cela reste assez timide… Et pour ce qui est de la mise en avant des femmes de théâtre, c’est encore pire ! En 1986, il y a eu une couverture plus importante grâce à Alain Crombecque, qui dirigea le Festival d’Avignon et qui a programmé énormément de femmes. Mais tout cela était très lié à la popularité du Festival d’Avignon. Au final, dans les archives de l’INA, on trouve essentiellement des documents sur les femmes de théâtre sur les antennes régionales de France 3 : elles passent complétement sous le radar de la reconnaissance nationale ! En revanche, si on met parfois en avant les comédiennes et les metteuses en scène, ce n’est jamais le cas des femmes de l’ombre, c’est-à-dire les dirigeantes de théâtres et ou de centres dramatiques nationaux.

INA - Vous avez écrit un ouvrage qui s’intitule « Exploser le plafond ». Comment faire évoluer les choses ?

Reine Prat - Le système demeure extrêmement pyramidal et les reconnaissances en matière de distinctions et de prix restent encore très largement masculines. Pour ainsi dire, les choses n’avancent pas. En écrivant deux rapports sur les inégalités femmes-hommes pour le ministère de la Culture, j’ai découvert qu’il y avait beaucoup de directrices de théâtres privés avant la décentralisation, autrement dit, avant que l’État n'invente le théâtre public. Certaines étaient metteuse en scène, certaines étaient actrices, certaines étaient simplement directrices de théâtre, mais en il y en avait beaucoup plus ! L’ensemble du secteur doit réfléchir à la manière dont on peut améliorer les choses, hommes et femmes confondus. Il faut être à l’écoute de tous ces talents que l’on entend pas, que l’on ne voit pas. C’est vraiment nécessaire.

À propos de Reine Prat

Reine Prat a occupé plusieurs fonctions pour les politiques culturelles. Elle anotamment dirigé l’association Arcanal, l’institut français de Marrakech et a été chargée d’une mission sur le multilinguisme en Guyane puis nommée DRAC de Martinique. Autrice de deux rapports ministériels Pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts du spectacle (2006, 2009), elle a publié en 2021 Exploser le plafond. Précis de féminisme à l’usage du monde de la culture (Rue de l’échiquier).

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