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2015, l'attentat de Charlie Hebdo raconté par Riss

2015, l'attentat de Charlie Hebdo raconté par Riss

Le 7 janvier 2015, la rédaction de Charlie Hebdo est victime d'un attentat terroriste. Riss s'en sortira blessé mais vivant. Quelques jours après les faits, le dessinateur racontait l'attaque sur le plateau du JT de 20h de Davis Pujadas.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 09.09.2020 - Mis à jour le 30.12.2020
Plateau invité : Riss - 2015 - 07:08 - vidéo
 

Le 20 janvier 2015, 13 jours après l'attaque, Riss, qui vient de sortir de l'hôpital, accepte de raconter ce qu'il a vécu le jour de l'attentat, sa peur pendant les jours suivants, sa volonté de continuer le travail à Charlie Hebdo, son regard sur la réaction des français après les attentats.

David Pujadas le remercie en premier lieu de sa présence, "Blessé à l'épaule, c'est la première fois qu'on vous entend. Alors vous avez quitté l'hôpital ce matin. Vous êtes sur vos deux pieds. Vous êtes remis ?"

Riss, pâle et la voix blanche, hausse les épaules, "je suis remis partiellement. Je marche, c'est déjà ça et puis mon épaule se remet peu à peu. Voilà".

"j'ai vu un homme armé et cagoulé surgir avec une mitraillette"

Le présentateur l'interroge d'emblée, "alors, que s'est-il passé ce jour-là, le 7 janvier ? Vous étiez, je crois, avec les autres autour de la table de la conférence de rédaction. Que s'est-il passé" ?

"On discutait de choses et d'autres, comme dans n'importe quelle conférence de rédaction. Et puis, soudain, on a entendu une détonation qui nous a un peu intrigués. J'ai cru personnellement que c'était un objet ménager qui était défectueux. Et puis, deux autres détonations qui là nous ont semblé très suspectes puisque tout le monde s'est levé d'un seul coup. Et on a compris que quelque chose d'anormal était en train de se passer. A cet instant-là, la porte de la salle de rédaction s'est ouverte et j'ai vu, de là où j'étais, j'ai vu un homme armé et cagoulé surgir avec une mitraillette. Pour ma part, à cet instant-là, je me suis jeté au sol, face contre terre. C'est la dernière chose que j'ai vu. Après, je n'ai plus fait qu'entendre ses sons. Ces sons, c'était des coups de feu. C'était des coups de feu et uniquement des coups de feu. Il n'y a pas eu de cris, il n'y a pas eu de hurlements. J'ai entendu les sons".

"Vous avez entendu les tueurs s'exprimer" ?, lui demande le journaliste.

"A un moment donné oui, ils se sont parlés entre eux. Il y en a un qui revendiquait l'appartenance de son organisation à une organisation issue du Yémen. J'ai entendu le mot Yémen. J'en ai entendu un qui disait à l'autre qu'il ne fallait pas tuer les femmes. J'en ai entendu un autre qui d'ailleurs était le même, je crois, vérifier avec son acolyte que Charb était bien mort".

"On est tellement vulnérable, rien ne vous protège."

Autre question, "c'est lorsque vous étiez à plat ventre, que vous avez été visé et touché par un tir ?"

"Y'a un tir, effectivement, qui m'a touché à l'épaule".

David Pujadas le questionne encore, "Vous avez cru votre dernière heure arrivée ?"

Calmement, comme déconnecté du présent, le dessinateur acquiesce, "Ben oui, c'est sûr que tout était possible. On est tellement vulnérable, rien ne vous protège. Donc, si il a envie de tirer sur vous, il fait ce qu'il veut".

"A qui ou à quoi, devez-vous la vie d'après vous ?"

"Au hasard, certainement, au hasard. Peut-être par le fait que je me suis couché tout de suite. Mais je n'ai pas de réponse bien précise et bien sérieuse à cette question".

"J'ai vite compris que c'était des gens très, très organisés déjà en les voyant à l'oeuvre."

David Pujadas poursuit, "vous êtes ensuite hospitalisé et vous dites : j'ai vécu des jours dans l'angoisse, dans la hantise que les tueurs reviennent eux, ou d'autres tueurs".

"Oui, parce que j'ai vite compris que c'était des gens très, très organisés déjà en les voyant à l'oeuvre. C'étaient des guerriers. Ils étaient habillés comme des guerriers, ils se sont comportés comme des guerriers et ils ont commis un acte de guerre. Et j'avais vraiment l'impression qu'il y avait peut-être d'autres équipes, ou j'imaginais qu'il y avait d'autres équipes. Alors, il y a eu effectivement d'autres attaques terroristes le même jour. Ça montrait quand même que c'était quelque chose d'assez bien conçu, d'assez complexe et d'assez vicieux comme plan. C'est vrai qu'après, quand on est seul à l'hôpital, on gamberge et on imagine tout un tas de choses. On se dit que peut être peut-être y'en a d'autres qui vont arriver pour vous achever".

"La meilleure réponse, c'est de continuer à faire ce journal"

Quant à l'avenir, le présentateur lui demande, "est-ce que vous avez aujourd'hui le cœur ? Est-ce que vous avez l'envie, le cœur pour reprendre le travail, pour redessiner, pour rediriger Charlie Hebdo?" Au fond de vous?"

Riss décrit son évolution intérieure quant à ce point, "Aujourd'hui oui, mais c'est vrai que le jour de l'attentat, je n'avais plus envie de faire ce métier du tout. Je n'avais plus envie de dessiner du tout. C'est même pas de dessiner dans la presse, je n'avais plus envie de dessiner. Parce que je me disais si, si des gens nous détestent à ce point-là, ça veut dire qu'on n'intéresse plus personne. Ça veut dire que ce métier est vain. Mais bon, ça c'était l'émotion du jour. Mais aujourd'hui, quand même ça a un peu changé, on reprend un peu ses esprits. Puis on se dit que la meilleure réponse, c'est de continuer à faire ce journal".

"Lorsque la manif a lieu, je n'en ai pas eu conscience"

David Pujadas lui demande ensuite son sentiment sur la formidable réaction populaire qui a suivit l'attentat, "Alors, vous dites que vous avez été. Vous n'avez pas suivi les événements au jour le jour. Vous étiez forcément en pleine convalescence, sonné. Est-ce que vous avez eu conscience de tout ce qui s'est passé? Ces millions de gens qui ont brandi des pancartes Charlie Hebdo, de ces millions de gens qui ont défilé ? On va en découvrir quelques images, qui ont défilé dans les rues, pour vous? Pas seulement, pour les autres victimes, qui ont défilé en vous faisant les héros, d'une certaine manière, de la liberté. Vous en avez eu conscience ?

"A l'instant où ça s'est passé, non. Moi, j'ai vécu un peu les choses en décalage. Je demandais des informations, mais deux ou trois jours après la réalisation des événements, je ne voulais pas trop, trop coller à l'actu. J'étais encore un peu dans le jour du crime, je dirais. Donc je voulais, c'est un peu comme un sas de décantation. Je voulais avoir deux, trois jours de décalage entre ce qui se passait et ce qu'on me racontait. C'est vrai que lorsque la manif a lieu, je n'en ai pas eu conscience. Aussi, on m'a dit qu'effectivement, c'est une manif absolument incroyable". 

"Qu'est-ce que vous ressentez aujourd'hui quand vous le réalisez ?" 

"Je me dis que Charlie Hebdo, les crimes qui ont eu lieu durant cette journée, il n'y a pas eu que Charlie Hebdo, qui a été victime des crimes haineux de cette journée, ont choqué toute la France et que cela a été le révélateur aussi de beaucoup de choses. Ce n'est pas moi qui ai la réponse sur le sens exact de cette manifestation, mais en tous les cas elle laisse songeur et invite à de poser des questions. Elle fait chaud au cœur et elle fait réfléchir aussi sur ce qu'il y a encore à faire de positif dans ce pays. Il y a encore des gens qui sont prêts à se mobiliser".

"Il faut apprendre à vivre... avec ce qui n'est pas soi, ce qui est différent de soi"

Le journaliste l'interroge sur l'aspect possiblement choquant des caricatures pour certaines franges de la population, "Alors parlons un peu de l'avenir. Est-ce que vous entendez d'abord, dans le monde, mais aussi en France, la gêne ou les protestations, à l'image de ces manifestations, de ceux qui se sentent offensés par les caricatures parues lors du dernier dans le dernier numéro" ? 

"Bien sûr, c'est inévitable. C'est presque normal. On vit dans une société ouverte. À partir du moment où vous vous exprimez, vous savez très bien que tout le monde n'a pas vos opinions, mais ça fonctionne dans les deux sens. Nous aussi, on accepte d'entendre des choses qui nous heurtent, parce qu'on a aussi des convictions. Quand on est athée, on a aussi des convictions. Mais bon, il faut cohabiter avec des choses diverses et variées. Je crois que c'est aussi l'apprentissage pour nous tous et peut-être à l'échelle mondiale, de vivre avec ce qui n'est pas soi, ce qui est différent de soi".

Vous allez poursuivre dans cette voie, sans hésitation" ?

"Nous, on fera ce qu'on sait faire. On ne sait rien faire d'autre. On ne va pas inventer autre chose. On a un journal satirique, humoristique. Voilà, on continuera à faire un journal satirique et humoristique. Charlie Hebdo vivra ? Bien-sûr, le plus longtemps possible".

Florence Dartois


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