L'ACTU.
La rentrée 2024 est marquée par une expérimentation : l'interdiction du portable au collège. Près de 200 établissements testent le dispositif qui est un durcissement d'une loi qui existe déjà et qui avait été votée durant l'été 2018. Une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Le texte préconisait que les téléphones soient éteints et rangés dans les sacs. Avec cette nouvelle expérimentation, l'interdiction stricte des téléphones portables au sein des collèges doit permettre selon le ministère de « prévenir les violences en ligne, limiter l'exposition aux écrans et faire respecter les règles encadrant l'usage des outils numériques ».
L'ARCHIVE.
La question de l'usage du téléphone portable à l'école est déjà ancienne. Nous avons retrouvé dans nos archives un sujet de 2004 traitant de cette question. À l'époque, faute de loi, c'était aux établissements d'établir leurs propres règles dans leurs règlements intérieurs, avec plus ou moins de réussite. La première archive disponible en tête d'article est le premier exemple de ce genre dans les collèges et lycées de Rodez.
Au lycée Monteil, pris pour exemple, 90 % des 1 700 élèves étaient possesseurs d'un portable. « Et pour que les cours ne virent pas à la cacophonie, à défaut d'une règlementation nationale, l'établissement a instauré une règle de conduite... », précisait le commentaire au début du reportage.
Il ne s'agissait pas d'une interdiction stricte, le directeur précisait qu'ils étaient autorisés dans la cour, mais devaient être éteints dans les classes et les bâtiments. En classe, les élèves l'avouaient, personne ne les éteignaient et ça sonnait pas mal en cours.
Dans un autre établissement de la ville, privé cette fois, le règlement était plus dur. Le portable était strictement interdit au collège. Au lycée, il devait, « être éteint et rangé dans le cartable ». Mais comme dans le public, la consigne était difficile à faire appliquer comme le soulignait une professeure de philosophie déplorant le manque de concentration de ses élèves. Les lycéens eux-mêmes multipliaient les stratégies de camouflage pour pouvoir communiquer discrètement avec leurs contacts. Certains assumaient : « On les a dans la poche sur vibreur et quand on a un message, on regarde. - Et vous répondez ? - Ça dépend dans quelle matière on est... » La sanction, lorsqu'on était surpris était la confiscation du téléphone.
Nathalie Kosciusko-Morizet tête de pont de l'interdiction
Deux ans plus tard, en 2006, le débat de l'autorisation du téléphone portable dans le milieu scolaire continuait. Il ne s'était jamais vendu autant d'appareils à destination des plus jeunes. Un quart des 10-13 ans possédait un mobile. Mais ce qui inquiétait l'opinion, c'étaient les conséquences nocives de l'exposition des enfants aux ondes du téléphone portable.
Huit députés dont Nathalie Kosciusko-Morizet, députée (UMP) de l'Essonne, s'interrogeait sur la nécessité d'interdire les portables dans les collèges pour diminuer les risques. S'ils étaient défavorables à la concentration des enfants, ils pouvaient être aussi nocifs en matière de santé comme l'explique ci-dessous la députée de l’Essonne.
Les portables à l'école
2006 - 00:00 - vidéo
: « Les derniers travaux de l'Agence française de la sécurité sanitaire environnementale demande, au nom du principe de précaution en matière sanitaire, qu'on limite l'exposition des enfants au téléphone portable. »
Autre argument avancé par Nathalie Kosciusko-Morizet et ses collègues en 2006 : la nécessité de stopper une violence spécifique liée aux mobiles comme le vol ou le « happy flapping ». En français, le vidéo-lynchage ou vidéoagression, pratique consistant à filmer l'agression physique d'une personne.
Le sujet ci-dessous revenait sur cette tendance émergente dans un collège de l'Essonne. Ici, un élève sur deux possédait un téléphone capable de photographier ou filmer. Récemment une scène de bagarre avait été captée à l'issue d'un match de foot. Les élèves interrogés assumaient cette tendance et la députée développait ses arguments pour interdire les portables à l'école. Elle demandait au ministre de l’Éducation de lancer une action nationale dans cette optique.
Nathalie Kosciusko Morizet demande l'interdiction des téléphones portables dans les écoles
2006 - 01:57 - vidéo
« C'est marrant à faire. C'est le côté sadique que tout le monde a » (un élève à propos de cette pratique) Nathalie Kosciusko-Morizet : « Je trouve qu'on est loin des cas marginaux, on est face à un phénomène de société et il y a matière à avoir une action, par le biais d'une circulaire du ministre, ou en tout cas, un acte national, une réflexion au niveau national ».
2010 : une première loi fait entrer l'interdiction dans le code de l'Éducation
Nous l'avons vu, faute de cadre législatif, ce sont les règlements intérieurs qui tentent de réguler l'utilisation du portable en classe où la norme veut qu'il soit éteint et rangé. Mais l'utilisation compulsive des adolescents pose de plus en plus de problèmes aux professeurs. À l'époque, 70 % des 12-18 ans possédait un portable. Cette année-là, suite aux conclusions du Grenelle de l'environnement sur les ondes, qui s'était tenu au printemps, les sénateurs décidaient de donner un véritable cadre légal à l'interdiction du portable à l'école.
En mai, le Grenelle avait rendu ses propositions sur l'usage de téléphones portables et préconisait notamment leur interdiction à l'école primaire et la mise au point d'appareils utilisables uniquement avec une oreillette. Pour les moins de 12 ans, la préconisation était l'interdiction pure et simple du téléphone. Dans le viseur de l’État, les téléphones jouets pour les moins de 6 ans ou la publicité en direction des enfants.
En octobre 2009, s'appuyant sur ces conclusions, les sénateurs votèrent un amendement instaurant l'interdiction des téléphones portables dans les écoles et collèges, en application du principe de précaution pour la santé des jeunes. Ils limitèrent la publicité pour les portables aux enfants de plus de 14 ans (au lieu de 12).
Bien qu'aucune étude ne prouvait réellement le danger des ondes pour le cerveau en formation des enfants, les sénateurs prônaient l'application du principe de précaution. En votant ce texte, le Sénat espérait harmoniser les pratiques et donner une base légale aux chefs d'établissements. Charge à l'Assemblée de valider le texte.
Projet d'nterdiction des téléphones portables dans les écoles et collèges
2009 - 01:49 - vidéo
Du côté des parents, l'annonce de la mesure était plutôt bien accueillie, à l'image de ceux interrogés dans le 13 heures de TF1.
France : interdiction du téléphone portable à l'école
2009 - 00:00 - vidéo
Adolescent et téléphone : un lien complexe
« Apparu il y a à peine plus de 10 ans, le téléphone portable est devenu en quelques années un objet indispensable de la panoplie de l'adolescent... ». Quant aux élèves, que pensaient-ils de l'interdiction du téléphone au lycée ? En décembre 2009, le « Midi pile Franche-Comté » leur donnait la parole dans sa rubrique « Paroles aux jeunes ». Pour l'occasion, les terminales hôtellerie du lycée professionnel Toussaint Louverture de Pontarlier s'emparaient du sujet réalisant eux-mêmes un reportage dans leur lycée. Sans faux-semblant, ils abordaient toutes les problématiques posées par cet outil de communication que 95% des lycéens possédaient.
Le sujet abordait l'utilisation du portable par les ados, les dernières innovations technologiques, les états d'âme d'un professeur inquiet du manque d'attention des élèves préjudiciables à leur apprentissage. Par la voix de la proviseure, le sujet énumérait les sanctions.
Avec humour, les élèves avouaient leurs petits trucs pour contourner l'interdiction. Mais plus intéressant, ils évoquaient le lien affectif qui les unissait à leur « boîte à secrets, ou encore un bijou que l'on porte fièrement ou même un doudou qui partage nos nuits ». Les lycéens donnaient aussi la parole à une psychologue décrivant le portable comme un « objet transitionnel dans le lien mère-adolescent, avec sa fonction de réassurance des parents » et un rôle « séparateur et sociabilisant, dans le lien adolescent et son milieu extérieur ».
En conclusion, le commentaire reconnaissait l'utilité du portable sans nier ses nuisances à l'école. Et de conclure : « En clair, il est nécessaire d'apprendre à l'éteindre. »
Paroles aux jeunes : Le téléphone portable au lycée
2009 - 00:00 - vidéo
2018 : une loi d'interdiction très souple
Après le Sénat, l'Assemblée nationale votait l'interdiction des téléphones portables à l'école et au collège. Promulguée le 12 juillet 2010, la loi portant engagement national pour l'environnement, dite «Grenelle II», crée une disposition dans le Code de l’éducation : « Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l'utilisation durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d'un téléphone mobile est interdite ». Le texte laissait cependant largement l'usage du portable à l'école à la bonne volonté des chefs d'établissements.
En 2018, cet article L511-5 est étoffé. Il interdisait strictement le portable, non plus seulement en classe, mais dans toute l'enceinte des établissements. Elle laissait le soin aux établissements de fixer les modalités des exceptions. Si la grosse majorité des parents étaient pour cette mesure (87%), les élèves et les professeurs étaient plus mitigés.
À la rentrée 2018, les JT s'emparaient du sujet, à l'instar du 20 heures de France 2 qui proposait l'exemple de deux établissements dans le Bas-Rhin et de Seine-et-Marne où le portable n'était pas totalement banni. Dans ces collèges le téléphone portable était utilisé comme « outil d'apaisement des tensions » pendant la récréation ou autorisé en cours pour certains exercices pédagogiques.
Rentrée, une école vraiment sans portable
2018 - 00:00 - vidéo
Finalement, la loi de 2018 n'imposa rien, laissant aux établissements le choix des modalités de l'interdiction. La nouvelle expérimentation mise en place par Nicole Belloubet s’appuie cette fois, sur les conclusions de la commission sur les écrans, créée à l'initiative d'Emmanuel Macron, pour faire l'état des lieux des connaissances scientifiques sur les effets des écrans sur les enfants et les adolescents et proposer des recommandations.
Si 199 collèges et 50 000 élèves sont concernés par la première phase de la « pause numérique », la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale prévoit une généralisation d'ici à janvier 2025.