« S'il est bien un sujet sur lequel tous nos invités ici seront d'accord (...) c'est qu'aujourd'hui le débat le plus chaud, le sujet le plus brûlant sur l'actualité (...) c'est bien le débat sur l'immigration et sur l'intégration » expliquait Patrick Poivre d'Arvor en ouvrant le débat réunissant ce 8 décembre 1989 à 23h sur TF1 le député de Marseille Bernard Tapie au président du Front national Jean-Marie Le Pen. Intitulé de l’émission : «L’immigration en questions».
Ce débat évènement est devenu, avec les années, autant un moment de télé qu’un échange politique nourri, alors même que la société française apparaissait divisée sur la question. « Ils n'ont qu'à retourner dans leur pays », «il y en a beaucoup trop » ou encore « c’est une richesse pour la France », disaient des Français interrogés dans les rues comme on le voit dans cette archive disponible sur la chaîne YouTube INA politique.
L’opposition entre les deux responsables politiques était donc exceptionnelle : le leader du Front national contre Bernard Tapie, celui qui ne cachait pas livrer une croisade à l'extrême droite. Les records d’audimat furent battus. Le débat faisait suite à une déclaration polémique du Premier Ministre Michel Rocard lors de la séance du 6 juin 1989 à l’Assemblée nationale. Il affirmait : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l'Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles ».
Le cadre ainsi planté, très vite le ton est monté. Et pour cause. Au-delà d’opposer la dite « bête médiatique », selon les dires de Tapie, au député «tartarin», selon le président du FN, le débat sur l’immigration était un « sujet émotionnel, très tripal ». Les dialogues électriques entre les deux invités reflétaient les tensions et préoccupations de la société. TF1 a essuyé « une cascade de refus » face à des hommes et partis politiques de l’époque refusant le débat contre Le Pen jugé porteur d’une « idéologie indigne de la France ». Bernard Tapie, lui, affirmait avec aplomb la nécessité que ce débat ait lieu. Il en sortira vainqueur aux yeux de l'opinion publique.
Retour sur 5 moments forts.
1. Jean-Marie Le Pen : « Monsieur Tapie est beaucoup plus connu comme commentateur sportif que député à l’Assemblée nationale ».
Jean-Marie Le Pen dénonce les absences de Tapie aux séances du parlement et à la commission des finances. Il conclut son propos par de lourds sous-entendus : « Dieu merci, il est bien vu de l’Elysée. »
2. Bernard Tapie à Jean-Marie Le Pen : « Ce n’est pas parce que vous avez une grande gueule et que vous criez fort (...) ce n’est pas parce que vous affirmez fort quelque chose que ce que vous dites est vrai. »
Bernard Tapie se place en retrait des virulences de Jean-Marie Le Pen qui semble être dominé dans le débat. Sa posture plus posée et moins agressive que son adversaire lui permettra de gagner en popularité auprès de l’audimat.
3. Patrick Poivre d'Arvor (présentateur) : « Mais très franchement Jean-Marie Le Pen… Jean-Marie Le Pen, répondez à ma question : vous ne les aimez pas beaucoup les musulmans ? » Réponse de l'intéressé, insurgé : « Comment ça ? Mais j'en ai tout plein autour de moi ! ». Le président du FN ne manque pas d’ailleurs de « rappeler que (il a) été le premier Français à proposer la candidature d’un Français musulman d’Algérie aux élections législatives. »
4. Bernard Tapie : « Il n’y a plus de raisons qu’il fasse chauffer ses meetings en donnant des musulmans à manger aux fanatiques du Front national. »
En ne s’adressant pas directement à son adversaire mais au public, Tapie joue la carte de la proximité avec son auditoire. Il poursuit son propos : « Ce ne sont pas les immigrés qui créent le chômage. Continuez d’alimenter la haine des gens qui sont déjà touchés par le fait qu’ils ne travaillent pas (...) Continuez à leur dire et leur faire manger de l’immigré en leur disant et désignant le responsable c’est celui là c'est criminel parce que c’est faux. »
5. Jean-Marie Le Pen : « Ne me menacez pas physiquement Monsieur Tapie, il vous en cuirait. »
Ce à quoi Tapie ricane : «Enfin regardez-vous » en référence à la corpulence de Le Pen. Le dialogue tournait au pugilat. Cette phrase devenue culte donnera d’ailleurs lieu à une autre scène télévisée en 1994 très controversée à l’époque. Alors que les deux hommes politiques se retrouvaient invités du 20h de France 2, le présentateur Paul Amar ouvrait le débat en distribuant des gants de boxe. Référence très peu appréciée par les candidats, Jean-Marie Le Pen arguant qu'ils n'en n'auraient pas besoin, Bernard Tapie faisant remarquer froidement : « C'est sérieux, la politique ».
