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L'affaire du talc Morhange qui causa la mort de 36 enfants en 1972

L'affaire du talc Morhange qui causa la mort de 36 enfants en 1972

Aux États-Unis, le géant pharmaceutique américain Johnson & Johnson a proposé le 4 avril un accord de 8,9 milliards de dollars pour mettre fin aux poursuites le visant pour la vente de talc accusé d'avoir causé des cancers. Une situation qui n'est pas sans rappeler l'affaire du talc Morhange responsable de la mort de 36 enfants au début des années 1970. Retour sur ce drame qui a bouleversé la France.

Par Florence Dartois - Publié le 05.04.2023
Affaire du talc Morhange - 1972 - 03:19 - vidéo
 

L'ACTU.

Le 5 avril 2023, le groupe pharmaceutique Johnson & Johnson a annoncé la signature d'un accord de 8,9 milliards de dollars pour clore l'affaire l'incriminant sur la fabrication d'un talc jugé responsable de cancers. Cet accord met un terme à toute poursuite. Selon l'AFP qui a relayé le communiqué officiel « l'accord, dont les payements réalisés par une filiale pourront s'étaler sur 25 ans, doit "clore toutes les plaintes présentes et futures sur le talc" ». Dans le communiqué du groupe, un responsable juridique de « J&J » a précisé que l'entreprise continuait de penser que ces plaintes étaient « infondées et manquaient de fondement scientifique ». Cette affaire rappelle celle qui secoua la France dans les année1970, celle du talc Morhange et du procès qui aboutit, comme aux États-Unis, à l'indemnisation d'une partie des victimes.

L'ARCHIVE.

Le 24 août 1972, le ministère de la Santé publiait l'interdiction de l’utilisation d’un talc de la marque Morhange, une poudre utilisée par les mères de familles pour adoucir la peau des bébés et éviter les rougeurs sur les fesses. L’archive en tête d’article revient sur cette annonce retentissante qui créa la panique dans le pays. En effet, le talc était alors très courant, on le vendait en pharmacie, mais également dans les épiceries ou aux rayons des supermarchés. Ce produit hygiénique du quotidien était même offert aux jeunes mères dans les maternités ainsi que le montre la vidéo de 1967 à regarder dans le lien ci-dessous.

L’alerte venait de l’Est de la France, des services du professeur Jean-François Elchardus, à Charleville-Mézières, où l'on avait constaté l’arrivée de cas de nourrissons présentant les mêmes étranges symptômes : des fesses irritées, un état somnolent, voire comateux, associés à des spasmes nerveux pouvant aller jusqu’à la mort. Le lendemain de la demande de retrait des lots, le 25 août, le 20 heures de la 1ère chaîne de la RTF interrogeait les protagonistes de l’affaire. Parmi eux, Monsieur Berty, le directeur de l’usine Morhange, visiblement étonné, et qui venait d’apprendre la nouvelle « comme tout le monde par la télévision ». Il expliquait que cela faisait une trentaine d’années que son entreprise fabriquait ce talc sur une recette inchangé et qu'il n'y avait jamais eu de problème.

Intrigué par ces décès suspects de bébés en pleine santé, deux laboratoires réalisèrent des analyses d'un talc de la même marque utilisé par toutes les familles. Interrogé dans le laboratoire de centre anti-poison de l’Institut national de la recherche médicale, où avait été analysé le talc incriminé, le docteur Étienne Fournier expliquait qu’on avait trouvé un antiseptique puissant dans le talc, un additif susceptible d'être nocif à forte dose. Il évoquait déjà des décès.

L'hexachlorophène « inoffensif », mais « toxique »

Le verdict tombait rapidement, le talc incriminé contenait de l’hexachlorophène, un produit chimique inoffensif à petite dose, mais très toxique en cas d’usage répété. « Il s'agit vraisemblablement de l’addition de substances dans un but pour une amélioration théorique du fonctionnement du produit... mais l’addition de certaines substances n’est pas anodine précisait-il. Et dans certains cas apportent des dangers qui ne sont pas toujours contrôlable », soulignait le médecin.

Il expliquait qu'il s’agissait d’un anti-bactérien et que l’usage de ces produits n’étaient « absolument pas contrôlés ». À l'époque, seuls les médicaments subissaient des contrôles systématiques, pour les produits d’hygiène, c’était plus aléatoire, voire rarissime. Il confirmait qu'il n'y avait aucun contrôle législatif, ajoutant qu'en tout état de cause, il s'agissait ici « de droit commun, c’est-à-dire que le fabricant devient directement coupable de l’accident dont il est la cause ».

Le médecin déclarait qu'une réglementation devrait être rapidement mise en place, car de nombreux produits utilisés dans la maison comme les nettoyants, pesticides, en contact avec l’être humain, ne subissaient pas de véritables contrôles toxicologiques, « ce qui est proprement anachronique dans un pays de haute technologie industrielle », déplorait-il.

Les jours suivants, il reviendrait plusieurs fois à l'écran pour réclamer une nouvelle législation, subissant des critiques pour ses prises de position. Mais il estimait que ce n'était pas à la population de se protéger contre les substances nocives, mais aux autorités de les protéger.

Le 28 août 1972, quatre jours après l'alerte, on dénombrait déjà une vingtaine de morts d’enfants. Le parquet de Pontoise ouvrait une information pour homicide involontaire et décidait la saisie de tous les stocks de talc, les autorités se demandant comment un antiseptique aussi puissant avait pu se trouver à 6 % dans le talc Morhange.

Le drame qui se jouait aller secouer les Français alors que la télévision commençait à présenter des portraits de familles endeuillées. Le 15 septembre suivant, le magazine « Aujourd’hui madame » donnait la parole à une jeune mère de trois enfants qui avait perdu sa dernière petite fille en 24 heures seulement. Elle relatait les faits, des premiers symptômes aux soins reçus, jusqu’au décès rapide de son enfant d’une « toxicose ». À travers ses mots, pointaient un désarroi et une incompréhension communs à toutes les familles interrogées.

À la suite de ce témoignage, le professeur Etienne Fournier réapparaissait une nouvelle fois pour insister sur l'omniprésence de substances toxiques dans les produits d’hygiène du quotidien. Il réclamait une surveillance « permanente » et une législation internationale face aux risques d’intoxication. Ce reportage sur le talc Morhange s’achevait par un focus sur un centre d'appel anti-poison où les coups de fil affolés se multipliaient.

« L’hygiène est devenue une obsession, on passe son temps à couvrir de pommades, d’onguents, etc. Cette consommation est tellement multipliée que les dangers apparaissent… et dans ce cas l’intoxication devient possible » (Étienne Fournier).

La demande de contrôles sanitaires que prônait Étienne Fournier était d’autant plus urgente que l’hexachlorophène, aussi appelé « G-11 », était à l’époque, omniprésent dans la plupart des produits cosmétiques (savons, crèmes à raser, déodorants et même dentifrices) pour ses qualités antiseptiques. Face à la pression, le ministre de la Santé Jean Foyer décidait fin août 1972 de classer le G-11 au « tableau C des substances vénéneuses » regroupant les produits dangereux utilisés comme médicaments.

Un procès au goût amer

Il faudra attendre sept ans pour qu’un procès ait lieu. Il allait s’ouvrir le 2 octobre 1979 au tribunal correctionnel de Pontoise. Six inculpés comparaissaient : des dirigeants et employés de la Sético (sous-traitant qui conditionnait le talc), des directeurs de Morhange et de Givaudan-France, qui vendait le G-11 à la Sético sans l'avoir suffisamment informé des dangers du produit. Dès le premier jour d'audience, la demande des responsables d'indemniser les victimes jetait le trouble, biaisant le procès.

Cette démarche reflétait l'inégalité frappante des deux mondes opposés dans cette affaire, d'un côté des entreprises puissantes, défendues par des ténors du barreau, face à des familles démunies et démotivées, contraintes d'accepter des indemnisations, parfois dérisoires, au regard du préjudice subit et d'abandonner leurs plaintes. Dans l'archive ci-dessous, les avocats des deux parties expliquent leur choix respectif.

Procès du talc Mohrange Givaudan
1979 - 06:03 - vidéo

Maître Leclerc, l'avocat des plaignants explique pourquoi les familles ont accepté l'accord : « dans des situations financières souvent très douloureuses », « malheureusement, dans notre société, tout se résout en argent », « ils ont accepté en pleurant, parce qu’ils avaient souvent besoin d’argent ».

Maître Robert Badinter, défenseur de monsieur Flahaut, PDG de Givaudan-France : « ce qu’on oublie, c’est que c’est un homme qui est jugé ... c’est un homme et pas une entreprise qui est poursuivie... c’est un homme qui est condamné, et moi ça me suffit pour que je le défende »

En décembre 1980, après un second appel, le procès allait aboutir à l'amnistie automatique des peines liée à l’élection présidentielle de 1974. Un dénouement décrypté dans ce lien par le journaliste Paul Lefèvre, qui concluait : « Un acquittement et cinq condamnations avec sursis. Comme toujours la sanction parait dérisoire par rapport au nombre des victimes. » L’empoisonnement a causé la mort de 36 enfants, fait 204 victimes au total, provoquant de graves séquelles et handicaps à vie.

Vivre avec un handicap

Parmi les victimes du talc, il y avait la petite Sylvie Perez que la télé avait retrouvée 7 ans après les faits. Après un coma prolongé, le bébé avait dû subir quatre opérations en trois ans. Lourdement handicapée à 100%, elle avait reçu une indemnité, mais il fallait vivre avec son lourd handicap au quotidien. Pour le magazine « L’événement », Jean-Pierre Berthet s'était rendu à Charleville-Mézières où ses parents avaient acheté un pavillon avec l’indemnité de « 150 millions d’anciens francs » versée par Givaudan-France. Malgré cet argent, la famille ne connaîtrait jamais une vie normale. Une famille brisée, où la maman vivait dans la culpabilité d’avoir acheté « ce jour-là » la dernière boîte de talc de l’épicerie.

En 1991, FR3 Reims avait retrouvé la famille Perez. La maman se sentait toujours responsable du handicap de sa fille. Sylvie, elle, bientôt 19 ans, restait coincée sur son fauteuil. L’argent reçu, finalement dérisoire, n’avait pas soigné les cicatrices laissées par l'affaire du talc Morhange.

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