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L'histoire du Signal à Soulac-sur-Mer, symbole de l'érosion côtière

L'histoire du Signal à Soulac-sur-Mer, symbole de l'érosion côtière

« Il y aura des zones qui seront inhabitables », a prévenu le ministre de l'Écologie Christophe Béchu alors que L’État présente de nouvelles cartes de l’érosion du littoral le 5 avril 2024. Symbole du changement climatique, fin février 2023, le Signal, un immeuble en front de mer dans la station balnéaire de Soulac-sur-Mer, en Gironde, avait dû être détruit. Construit à plus de 200 mètres de l'océan à la fin des années 1960, une époque où l'État finançait l'aménagement de la côte Aquitaine pour le tourisme, le bâtiment n'était plus qu'à quelques mètres de l'eau. Voici son histoire.

Par Romane Sauvage - Publié le 03.02.2023 - Mis à jour le 05.04.2024
Soulac-sur-Mer, Gironde : une ville en été - 1976 - 05:20 - vidéo
 

En février 2023, à Soulac-sur-Mer en Gironde, c'était la fin d'une époque. Le Signal, bâtiment de quatre étages en front de mer, emblématique du recul de la côte atlantique, est désormais entièrement détruit. L'immeuble, construit dans les années 1960 à plus de 200 mètres de la mer, était menacé par les eaux, les vagues ne se trouvant plus qu'à quelques mètres.

« C’est une page qui se tourne. » À Soulac-sur-Mer, le Signal dominait la plage depuis la fin des années 1960. Haut de quatre étages et composé de 78 logements, le bâtiment avait été construit, à l’instar de nombreux autres sur la côte Aquitaine, pour accueillir les estivants, de plus en plus nombreux.

La commune de Soulac-sur-Mer, située à quelques kilomètres de l'embouchure de l'estuaire de la Gironde, du côté de la pointe de Grave, compte aujourd’hui un peu moins de 3000 habitants à l'année et doit désormais faire face à l'érosion de ses plages. Car la mer avance à la vitesse de 2,5 mètres par an en moyenne. Davantage en cas de phénomènes climatiques extrêmes comme la tempête Xynthia en 2010. Comme dans de nombreuses villes de la façade Atlantique, ce phénomène naturel est amplifié par le réchauffement climatique.

À Soulac, on ne veut pas réduire la station balnéaire au Signal ou même à l’érosion : « L’avancée de la mer, c'est sur toute la côte Atlantique », nous explique un habitant interrogé sur le sujet. Toutefois, le bâtiment reste un symbole : celui du développement des stations balnéaires, avec l’instauration des congés payés. Ils permirent notamment aux classes moyennes de partir en vacances et l’État encouragea le développement de lieux de villégiature pour les accueillir.

Aménager les stations balnéaires du rivage aquitain

Dans le Sud-Ouest, cette intervention avait pris une dimension très concrète, avec des financements et la planification d'aménagements d'envergure sur une dizaine de sites côtiers. La Mission interministérielle d’aménagement de la côte aquitaine, créée en 1967, avait ainsi pour objectif de développer et de maîtriser le littoral aquitain de sorte à en faire une zone touristique attractive. Ce projet avait été notamment porté par le Premier ministre de l’époque, Georges Pompidou. Dans l'archive ci-dessous, il se rendait en Aquitaine en mai 1966 pour présenter les grandes politiques d’aménagement décidées par l'État.

Voyage de Georges Pompidou en Aquitaine
1966 - 04:48 - vidéo

Avec le délégué à l'aménagement du territoire, Olivier Guichard, le Premier ministre se rendait en Aquitaine pour faire un état des aménagements faits et à faire, et ce, notamment sur le littoral.

Ce fut dans ce cadre qu'eut lieu la construction du Signal. Dans l’archive de 1976 en tête d’article, la petite ville semblait effectivement le lieu idéal pour passer des vacances. Et les Français ne s'y trompaient pas. « Nous estimons en effet que nous passons de 2 500 à 3 000 habitants permanents l’hiver à une population qui peut monter de 50 000 à 60 000 habitants pendant l’été », disait Jean-François Pintat, maire de la ville à l’époque. « Pour répondre à l’assaut de cette armée de vacanciers qui déferle tous les ans et qui multiplie par 20 la population sédentaire, l’intendance doit suivre », décrivait le commentaire. Cette masse estivale nécessita des aménagements, que précisait le maire : « Nous avons rénové le front de mer et l’idée a été de construire un quartier neuf à chacune des deux extrémités du front de mer. »

Le Signal, mais aussi un casino, un palais des congrès, un musée...

Et, poursuivait-il en indiquant l'effort fait en investissements publics : « On peut dire que plus une commune travaille et reçoit des estivants, plus elle fait des équipements, plus elle est aidée par le fond d’équipement des stations balnéaires et touristiques. Et, je dois dire que Soulac a largement usé de ces facilités pour les constructions de son casino, de son palais des congrès, de son musée d’art graphique et d’autres installations. » À la toute fin de cet extrait, on pouvait apercevoir le Signal trôner avec une belle et grande plage à ses pieds.

Comme nous le raconte Jean-José Guichet, président du syndicat des copropriétaires, pour le Signal, « le projet initial, c’était 1200 lits et environ 14 immeubles. (...) Quand ils ont bâti le Signal, à marée haute, il y avait plus de 300 mètres et tout un cordon de dunes devant l’immeuble. » Les autres édifices ne furent pas construits après la faillite de l’aménageur qui en était chargé. Néanmoins, Jean-José Guichet avait acquis en 1978 un appartement dans ce bâtiment. « Ma femme vivait en Gironde, à Bordeaux, et dès toute petite, ses parents avaient une petite propriété à Soulac. Ma femme voulait revenir pour les vacances dans le Sud-Ouest. C’est comme ça que nous avons acheté un appartement. »

Pendant quelques années, les propriétaires purent profiter du Signal. « Cet appartement, mes filles en ont beaucoup profité, mes petits-enfants aussi. » Et de poursuivre : « Vous savez ce n’était pas un appartement de luxe, c’était un bon HLM, mais qui avait été remarquablement bien construit. »

« Mon Dieu, certains bâtiments comme le Signal risquent d’être attaqués »

Mais assez vite, le recul du trait de côte en Aquitaine assombrit le tableau. « L’erreur de l’époque, c'est qu’on était pressé par les pouvoirs publics qui voulaient la création de ces villes balnéaires pour que les gens puissent aller en vacances au bord de la mer », explique Jean-José Guichet. Dès 1984, France 3 Bordeaux s'inquiétait de l'avancée de l'océan dans la région : « 1984, marque l’année européenne pour la protection du littoral. (...) L'Aquitaine n’échappe pas à l’érosion de son littoral. Chaque année la mer progresse sur la terre de plusieurs mètres. » À Soulac, 6 à 7 mètres de territoire étaient alors engloutis par an.

Erosion : le recul de la côte aquitaine
1984 - 05:43 - vidéo

« Les élus de Soulac essaient de sauvegarder l'intégrité du territoire communal. Depuis 1913, le visage de la station a bien changé. La plage s’est engraissée, mais il faut l’entretenir en permanence. Cela coûte 1 million de francs par an », disait le commentaire de l'archive ci-dessus.

Georges Darmente, adjoint au maire de Soulac, redoutait de devoir mettre un coup d'arrêt au développement de la station : « On craint surtout de ne pas pouvoir réaliser les équipements que l’on voulait réaliser, c'est-à-dire la ZAC au sud de Soulac, étant donné l’empiétement de la mer et de l’océan sur le territoire de cette ZAC. Il est incontestable qu’au sud si l’on ne réalise pas, dans un avenir relativement proche, des défenses relativement suffisantes et assez sophistiquées, on risque d’avoir un tel empiétement que, mon Dieu, certains bâtiments comme le Signal risquent d’être attaqués. » Le reportage concluait, fataliste : « Le recul du trait de côte paraît inexorable. »

« On va avoir des problèmes »

Jusqu’à inquiéter Jean-José Guichet : « On était habitués, je ne vous cache pas que moi ça faisait une vingtaine d’années que je commençais à me dire 'il y a quelque chose qui se passe'. Les dunes qui disparaissaient… Les dix dernières années, à partir de l’an 2000, je me suis dit 'on va avoir des problèmes'. »

La solution choisie par la mairie fut d'abord de renforcer la plage, avec du sable, comme le montrait le reportage ci-dessous. « Ici plus qu’ailleurs, on est confrontés aux attaques de la mer. Sur 250 kilomètres de côtes sableuses, entre le bassin d’Arcachon et l’estuaire de la Gironde, la mer avance et les dunes reculent. Là aussi, l’homme entend défendre ses installations et s’acharne à fixer le trait de côte. » À l’image, un ouvrier déplaçait le sable sur la plage de l’Amélie-les-bains, à Soulac : « Les fortes marées ça mine le sable derrière, ce qui fait que l’on doit en remettre, pour éviter que la digue s’affaisse. »

Une restauration de sorte qu’elle puisse accueillir les touristes l’été. Jean-José raconte : « Le problème des stations balnéaires, c'est que les gens viennent en juillet et août et, donc, tout est fait pour que la plage soit correcte. Si les gens viennent en janvier ou février, là, ils verront une nuée de bulles qui remonte le sable. Les gens viennent passer leurs vacances, ils ne voient pas de différences, la plage est toujours aussi belle, mais en janvier et février, vous verriez l’état lamentable de la plage. »

Ces multiples renforcement ne permirent pas d’arrêter la mer. En février 2010, la tempête Xynthia, d’une extrême intensité, n'a rien amélioré en s'abattant sur la côte Aquitaine. Le Signal était alors à moins de 50 mètres de l’eau. L’hiver suivant, une nouvelle tempête rapprocha l’immeuble. Selon le journal Sud-Ouest, le maire de la ville aurait alors reconnu que « le Signal n'aurait jamais dû être autorisé ».

Une expropriation en 2014

Dans l'archive ci-dessous, France 3 rapportait l'inquiétude des habitants du Signal : « une nouvelle fois, cet épisode agité a mis à rude épreuve les nerfs des habitants d'une résidence à Soulac, devant leur immeuble, les dunes de sable reculent inexorablement. Les prochaines grandes marées ravivent l’inquiétude. » Jean-José Guichet y apparaissait, dans son appartement, il était alors impossible d'ouvrir les fenêtres, écrasées par le vent. Il calculait les mètres restants : « Là, maintenant, en pied de dune, il y a 23 mètres entre le pied de dune, là où arrivent l’eau et la résidence. »

« L’histoire du Signal ne fera pas jurisprudence »

Au regard des hivers menaçants qui se répétaient, les logements furent finalement évacués en janvier 2014 sur demande du préfet. Le cas du Signal et de l’érosion du trait de côte n’entrant pas dans le cadre de la loi Barnier et du fond qui l’accompagne, chargé de financer les indemnisations des personnes expropriées des biens exposés à un risque majeur, il s'ensuivit un long processus juridique pour les propriétaires.

« Sur le Signal, nous avons eu pratiquement 10 ans de procédure judiciaire, qui nous ont coûté très cher et qui ont abouti à une indemnisation, que l'on a bien été obligé de prendre, bien qu'elle ne couvrait pas la totalité de l’estimation de la valeur du Signal, hors aléas. Nous avons 70% de cette valeur. », explique Jean-José Guichet. Pour les anciens propriétaires, l'histoire s'achève donc : « C’est une page qui se tourne. Nous nous sommes beaucoup battu, on a perdu au tribunal administratif, on a perdu en Conseil d’État, au Conseil constitutionnel. Nous avons été bananés partout. »

L'ancien propriétaire se désole, « l’histoire du Signal ne fera pas jurisprudence. » Et de poursuivre, avec le cas d'une autre station balnéaire de la cote Aquitaine : « à Lacanau, c’est 1800 logements et maisons qui sont en sursis. Ça représente des centaines de millions d’euros. C’est colossal. » Mais, dit-il, « les statistiques prouvent que la plupart des Français veulent aller prendre leur retraite au bord de la mer. Il y a une obligation maintenant, quand vous signez un acte de vente, de signaler à l’acheteur qu’il y a un risque potentiel, mais ça n’empêche pas les gens d’acheter, car dans leur idée, ils seront indemnisés. »

En attendant la destruction, Jean-José Guichet confie : « De voir cette immense carcasse absolument vide et très propre, ça fait un peu mal, ça redeviendra ce que c’était dans les années 60. Enfin, je pense à mes petites filles qui m’ont dit : "Notre Soulac, on l’a perdu". »

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