L'ACTU.
Mal payé, peu reconnu, le métier de secrétaire de mairie n’attire plus. Il en manque actuellement 1900 et la pénurie pourrait s’aggraver puisque 30% des effectifs, soit de 8 000 à 13 000 postes, devront être renouvelés d'ici à 2030. Une proposition de loi a été votée le 14 novembre à l'Assemblée nationale pour rendre le métier plus attractif et notamment augmenter les salaires. Six secrétaires sur dix sont payés à l'échelon le plus bas de la fonction publique (catégorie C), ce qui ne correspond pas à l’ampleur et à la complexité des tâches administratives ou juridiques demandées à ces agents.
Les fonctions de ces auxiliaires des maires sont larges. Elles englobent l'accueil public, l’état civil, l’urbanisme, en passant par les élections, la fiscalité, la logistique comme la location de salle ou la prise de rendez-vous... Ce métier demande, et demandait autrefois, beaucoup de dévouement et de rigueur.
Nous avons retrouvé dans nos archives un secrétaire de mairie exceptionnel, le chouchou de la télévision locale dans les années 60.
LES ARCHIVES.
Pour rencontrer ce secrétaire incroyable, il fallait se rendre à Malleret, un petit bourg de la Creuse d'une centaine d'habitants dotée d'une unique grande rue. C'est dans ce petit village situé dans le parc naturel régional de Millevaches qu'officiait Michel Devedeix. Il apparaît pour la première fois dans nos archives à l'occasion d'un reportage du JT de la première chaîne, en mars 1964, sur le nouveau maire de la commune, Maurice Mouton, qui était alors le plus jeune maire de France. Dissimulé derrière des lunettes noires, il posait fièrement du haut de ses 27 ans aux côtés de son secrétaire de mairie, un vieil homme souriant de 88 ans, qui était en poste depuis 1908. Son franc sourire tranchait avec le visage fermé de l'édile. Étrange duo, en effet.
Le maire rappelait volontiers que le rôle de son secrétaire était essentiel et qu’il était un précieux conseiller. Petite lunette ronde sur le nez, l’octogénaire déclarait humblement assurer ses fonctions avec « abnégation et dévouement ». Les habitants du village interrogés dans la suite du reportage comptaient sur le nouvel élu pour bien « faire son travail », mais se reposaient surtout sur les compétences de leur secrétaire, qui connaissait son métier. Ce reportage est à découvrir ci-dessous.
Le plus jeune maire de France
1964 - 01:40 - vidéo
Un secrétaire exemplaire
Michel Devedeix avait dû faire bonne impression aux journalistes de la RTF, car dans les années qui suivirent, le secrétaire de mairie de Malleret devint une célébrité locale. Ce n'est plus le maire que l'on venait interroger, mais son secrétaire. L'archive proposée en tête d'article est un reportage diffusé en mars 1966 dans le JT de Limousin Actualités. Le secrétaire entrait alors dans sa 91e année et faisait toujours preuve de beaucoup d'énergie et de bonne volonté. Au début du reportage, le doyen des secrétaires s’entretenait en patois local avec un administré venu lui demander un extrait de naissance. De son accent chaleureux, il déclarait travailler à la mairie depuis 58 ans, avec une interruption lors de la Première Guerre mondiale. Depuis, il n’avait plus jamais quitté son bureau, pas même durant la Seconde Guerre mondiale (on le lui avait refusé).
Le doyen avouait avoir pensé à prendre sa retraite, mais personne n’avait voulu le remplacer. « C’est souvent que j’ai voulu démissionner, mais on m’a toujours confirmé dans mes fonctions », expliquait-il entre désabusement et fierté. Si aucun conseil municipal n’avait souhaité s’en séparer, c’est que l'intéressé possédait une mémoire extraordinaire, connaissant chaque villageois, chaque maison, « j’ai toujours rempli mon devoir avec abnégation, dévouement et désintéressement et assiduité », confiait-il.
En parallèle de son poste à la mairie, Michel Devedeix avait exercé pendant 60 ans la profession de cultivateur puis d'apiculteur, une passion. D’ailleurs, il attribuait volontiers sa longévité et son excellente santé au miel de ses abeilles : « Le miel contient beaucoup de vitamines, il est nourrissant, laxatif (…) Il est très recommandé pour les maladies du foie, les maladies de gorge et pour faire dormir. » Sa bonne forme, il la tenait également d'une vie équilibrée « sans tabac ni alcool » et beaucoup de travail, plaisantait-il, ajoutant que comme le disait l'adage populaire, « le travail, c’est la santé ».
Un moral de fer et du miel
Deux ans plus tard, en mars 1968, c’était au tour d’Auvergne Actualités de se rendre Malleret pour rencontrer le pimpant secrétaire de mairie. 89 personnes vivaient alors dans le bourg. Il est amusant de constater que la mise en scène du reportage est quasiment identique à celle de 1966, avec l’entrée d’un administré venu chercher un acte de naissance. Cette fois, la conversation se déroulait en français et non en patois local. Malgré 60 ans de bons et loyaux services, Michel Devedeix ne parlait toujours pas de retraite, mais reconnaissait quand même être « un petit peu fatigué » et ne plus pouvoir « continuer longtemps ». Le vieil homme entrait dans sa 94e année ! Le jeune maire évoqué au début de cet article avait démissionné.
Nous avons contacté le maire actuel du village, Michel Lacrocq, élu en 2020. Aujourd'hui, le village compte une quarantaine d'habitants. Il nous a expliqué que Maurice Mouton, son prédécesseur, était mort très jeune. À son décès, le secrétaire de mairie avait dû prendre en charge « la besogne administrative ».
Dans l'archive ci-dessous, le nonagénaire toujours souriant acceptait de bonne grâce de décrire son travail, mais ce qui intriguait le journaliste, c'était sa forme surprenante. Comme dans le reportage en tête d'article, il l'interrogeait sur son secret de longévité. Pour le vieil homme, il tenait à sa « grande force de caractère » et surtout à ses chères abeilles. L'occasion de le suivre une fois de plus jusqu’à ses ruches, moins nombreuses qu’autrefois, mais toujours actives. « J’aimais le miel », confiait-il simplement, les yeux pétillants de malice. La caméra le filmait ensuite dans l'unique grande rue du village où il déambulait lentement, saluant les habitants croisés ici et là. Il confiait, à présent, souhaiter « installer le cinquième maire », avant de prendre sa retraite et « après, je voudrais bien me reposer sur mes lauriers », plaisantait-il.
Son souhait a été exaucé et Michel Devedeix a pu bénéficier de quelques années de sa retraite. C'est l'actuelle secrétaire de la mairie de Malleret, Laëtitia Merdesroid, qui a retrouvé ses actes de naissance et de décès. Ils nous apprennent que le vieil homme qui était né en février 1876 est mort à peine un mois avant de célébrer ses cent ans, le 3 janvier 1976.
Grâce aux archives, l'abnégation et la bonne humeur de Michel Devedeix ont traversé le temps jusqu’à nous. Ce témoignage illustre à merveille l'importance des secrétaires de mairie et nous montre un temps où le service public prenait tout son sens, même dans les plus petits villages.
Un vieux secrétaire de mairie à Malleret (Creuse)
1968 - 04:16 - vidéo