L'ACTU.
La Poste devrait expérimenter, à partir de mars 2023, la suppression des tournées quotidiennes des postiers dans plusieurs régions. Selon France info, qui révèle l'information, la tournée quotidienne sera étalée sur deux jours et seuls les courriers urgents (colis, presse ou recommandés), seront distribués quotidiennement. Alors que les syndicats alertent sur la volonté sous-jacente de réduire le nombre des facteurs. La Poste, elle, a déclaré souhaiter avant tout faire évoluer le métier. Cette annonce aurait sans doute contrarié la factrice dont il est question dans l'archive en tête de cet article.
L'ARCHIVE.
Ce reportage, diffusé le 28 mai 1978 dans l'émission « La lorgnette », est d'autant plus précieux qu'il présente le métier de facteur tel qu'il s'exerçait dans les années 1970. Comme chaque dimanche sur Antenne 2, Pierre Bonte présentait un portrait de Français des régions. Il s'était rendu cette fois-ci auprès de Victorine Rousseau, fonctionnaire des Postes et fière d'être au service de ses concitoyens.
« Torine », comme on la surnommait affectueusement dans son village, exerçait à Corgoloin, au sud de la Côte-d'Or. Plus qu'un métier, la factrice décrivait une passion, presque un sacerdoce qui lui permettait de participer directement à la vie des Corgolinois, en leur apportant de la joie. « C’est ma vie !, déclarait-elle, c’est une grande famille, pour moi, Corgoloin, j’y suis née ! ».
La factrice jouait un rôle-clé dans sa communauté : « Je suis toujours très attendue, moi, vous savez. J’apporte toujours des bonnes nouvelles. » À l’image de cette mamie postée sur le pas de sa porte, espérant des nouvelles de son petit-fils parti aux Philippines : « Il n’écrit pas souvent, alors tous les jours, j’attends ». Lorsqu'une lettre arrivait enfin, « Torine » savourait ce bonheur...
Porter des lettres, c’était aussi partager l’intimité et les secrets des habitants et assister parfois à « la naissance d’un amour », au gré de la distribution des lettres. « Je sais tout, moi », confiait-elle à Pierre Bonte. La factrice connaissait effectivement tout le monde, les interpelant parfois par de petits noms, comme « ma cocotte ». Elle prenait des nouvelles des uns, remontait le moral des autres et leur prodiguait bonne humeur et affection. Victorine ne faisait pas de différence, conversant avec une ancienne isolée, aidant des travailleurs immigrés dans leurs démarches administratives.
Une dévotion
Cette « gentillesse », ce service rendu au public, c’était l’ADN de « Torine » : Ça fait 30 ans que je fais facteur, pas un jour, même dans mes ennuis, quand j’irai en retraite, personne ne pourra dire, "la Torine, elle a été mal-gracieuse", personne » !
L'important pour elle, c'était d'entretenir ce lien social précieux qui rendait son métier indispensable. Car personne, et surtout pas cette autre vieille dame qui guettait «Torine » « tous les jours », et connaissait par cœur l’heure de passage de sa « bien-aimable » factrice, n'aurait envisagé sa disparition. Des instants de partage qu’elle entretenait tout au long des 15 kilomètres de sa tournée quotidienne à vélo. La factrice trouverait encore le temps de plaisanter avec Pierre Bonte : « j’ai fait trois fois le tour de la terre, moi, monsieur Bonte » ! « Torine » adorait toujours enfourcher sa bicyclette, mais craignait une seule chose, de « bien s’embêter » en retraite.
Pour conclure, la factrice racontait l’histoire émouvante de la bague qu’elle portait au petit doigt. Ce bijou simple, elle se l’était offert avec les étrennes récoltées au début de sa carrière, grâce à la vente des calendriers. Une coutume qu’elle n’aimait pas trop pourtant, car elle avait l’impression de « mendier ». Mais cette bague, ce « souvenir des gens », lui servait d’alliance symbolique de ce mariage d’amour qu'elle vivait depuis trois décennies avec les gens.
