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Décryptage en archives du programme nucléaire iranien, du civil au militaire

Décryptage en archives du programme nucléaire iranien, du civil au militaire

L’accord sur le nucléaire iranien «est mort» d'après les propos du président américain Joe Biden dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux le 20 décembre. Cela vient s’ajouter à l’annonce, fin novembre, de la production d'uranium enrichi à 60 % dans une seconde usine iranienne, un taux qui rapproche l'Iran de la confection d'une bombe nucléaire. 

Par Romane Sauvage - Publié le 23.12.2022
Le Shah d'Iran à Marcoule - 1974 - 05:07 - vidéo
 

L’ACTU.

« Il est mort. » Ce sont les mots de Joe Biden, président des États-Unis, à propos de l'accord sur le nucléaire iranien, aussi appelé Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), et prononcés le 20 décembre sur les réseaux sociaux. Des mots forts que les négociations sont au point mort et que le contexte géopolitique est complexe, entre guerre en Ukraine et manifestations d'ampleur en Iran.

Déjà fin novembre 2022, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) annonçait que l’Iran avait commencé à produire de l’uranium enrichi à 60% dans l'usine de Fordo, au sud de Téhéran. Depuis avril 2021, l’Iran produit de l’uranium enrichi à 60% sur le site de Natanz, au nord d’Ispahan. Un pas de plus vers les 90 % nécessaires à la confection d’une bombe atomique. En 2015, le JCPOA avait interdit au pays d’avoir de l’uranium enrichi à plus de 3,67% sur son sol et d’en produire pendant 15 ans.

L’uranium enrichi est un matériau clé pour l'industrie nucléaire. Enrichi entre 3 et 4%, il permet de faire fonctionner des centrales nucléaires et permet donc la production d'électricité. Au-delà, l'uranium a une fonction militaire.

Révolution iranienne, découverte de l'usine d'enrichissement, accords et revirements politiques : retour en archives sur les moments clés qui ont permis à l'Iran de fortifier son programme nucléaire jusqu'à inquiéter le monde entier, avec les éclairages d'Héloïse Fayet, chercheuse spécialiste des questions de prolifération nucléaire.

LES ARCHIVES.

« Ce matin vers 10 h, le Shah d’Iran arrive en hélicoptère à la centrale nucléaire de Marcoule, à 30 km d’Avignon. Comme à Saclay mardi dernier, l’empereur s’est fait expliquer les particularités de cette centrale atomique, un centre presque unique au monde. » Fin 1974, le dirigeant de l'Iran Mohammad Reza Pahlavi visitait les installations nucléaires françaises de Marcoule dans le Gard. Créé en 1956, ce site industriel faisait office de fer de lance du nucléaire français, à la fois pour la production d'électricité et pour un usage militaire.

Les deux pays avaient de nombreuses raisons de collaborer. D'un côté, la France se préservait un approvisionnement en pétrole, dans un contexte de crises pétrolières. De l'autre, l'Iran envisageait déjà une époque où l'or noir viendrait à manquer et misait sur le nucléaire pour y pallier. La mise en service de premières centrales nucléaires iraniennes pour la production d'électricité était envisagée pour le début du XXIe siècle.

Dès 1967, l'Iran avait installé un réacteur de recherche à Téhéran avec l'aide des Américains.

Héloïse Fayet, chercheuse à l'Institut français des relations internationales et spécialiste des questions de prolifération nucléaire, nous explique : « Dans les années 50, à l’époque du Shah d’Iran, il y avait une relation très forte entre l’Iran et les États-Unis. Les Américains avaient inclus l’Iran dans le programme Atoms for Peace, qui servait à développer le programme nucléaire civil de l’Iran, en échange de pétrole et de la garantie que le pays allait rester un régime stable et proche des États-Unis. »

Avec l'aide des deux puissances occidentales, l'Iran chercha donc à se constituer un parc nucléaire civil. Comme le narrait l'archive en tête d'article, la venue du Shah en France ne se résumait pas à la visite de centres nucléaires, mais à la formalisation d'accords commerciaux dans le domaine : « Une visite du Shah à Marcoule qui prend tout son relief après la commande confirmée hier de cinq centrales nucléaires et après les accords concernant l’approvisionnement de l’Iran en uranium enrichi. » Une commande de près de 5 milliards de dollars à laquelle s'ajoutaient des équipements industriels.

Depuis 1968, l'Iran était signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Ce traité, toujours en vigueur, a pour objectif de lutter contre le risque d'une prolifération des armes nucléaires dans le monde.

La révolution iranienne, un renversement géopolitique

Quelques années plus tard, en 1979, le Shah d’Iran fut chassé lors de la révolution iranienne. L’Ayatollah Khomeiny installa une République islamique nationaliste et provoqua un renversement géopolitique. En matière de nucléaire civil, élément structurant des relations entre l’Iran et une partie des pays occidentaux, la donne fut bouleversée. Les ventes françaises furent annulées, ainsi que les programmes de coopération. Dans les années qui suivirent, les relations avec la France se firent plus tendues.

Dans l'archive ci-dessous, en 1981, le 20h d'Antenne 2 faisait le point sur « cette crise franco-iranienne ». Les exportations françaises accusaient le coup. « De l’époque faste des grands contrats entre l’ancien régime iranien et les entreprises françaises, il n’en reste rien aujourd’hui. La dénonciation de ces contrats depuis l’arrivée au pouvoir de l’Ayatollah Khomeiny représente une perte sèche estimée à 10 milliards de francs. » Les chiffres s'alignaient : « La part du pétrole iranien dans les importations françaises était passée de 5 % en 1979 à 1,4% en 1980 pour devenir nulle au déclenchement de la guerre entre l’Iran et l’Irak. Pour la construction de centrales nucléaires, il ne restait plus qu'Alstom Atlantique à Tabriz. »

Relations économiques Iran France
1981 - 01:13 - vidéo

La découverte d'un programme nucléaire iranien

Néanmoins jusque-là, il n'était pas question d'un programme nucléaire militaire iranien. « Ce n’est qu’en 2002 que de premières révélations ont lieu concernant un usage du nucléaire civil à des fins d’enrichissement, donc possiblement pour un programme militaire, détaille Héloïse Fayet. Des négociations ont lieu entre les Européens, les Américains et l’Iran. Elles aboutissent à l’accord en Paris en 2004, qui est censé limiter l’enrichissement de l’uranium en échange d’une ouverture du marché européen à l’Iran. »

Dans l'archive tournée à cette date et visible ci-dessous, le directeur général de l'AIEA, Pierre Goldschmidt prévenait : « cela fait maintenant à peu près deux ans que nous avons découvert l'ampleur du programme iranien qui nous était inconnu et qui a commencé il y a près de 20 ans, en 1985, particulièrement dans le domaine de l’enrichissement de l’uranium. » Les satellites avaient permis de découvrir deux nouveaux sites, jusque-là cachés aux autorités internationales. Malgré l'accord, la transparence n'était pas totale et Pierre Goldschmidt se montrait méfiant : « dans trois sites, nous sommes arrivés après que ce qu'on espérait y voir ait été démantelé. »

Iran nucléaire
2004 - 03:06 - vidéo

Mahmoud Ahmadinejad et la poursuite d'un programme nucléaire

Ce redoux dans les relations de l'Iran avec l'Occident fut stoppé à l'arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad en 2005. Et le 11 avril 2006, il affirma devant les caméras que son pays « avait rejoint le club des pays disposant de la technologie nucléaire ». « L’Iran assume, à partir de 2006, d’enrichir de l’uranium au-delà du seuil fixé par l’accord de Paris, soit à 3,5%. Cela entraîne l’imposition de sanctions très lourdes sur l’économie iranienne » indique Héloïse Fayet à l'INA.

Au niveau international, ce fut le branle-bas de combat, comme on le voit dans l'archive ci-dessous. « Ce soir George Bush n’exclut aucune option y compris militaire pour empêcher l'Iran de se doter de l’arme nucléaire. (…) le bras de fer continue », annonçait ainsi le 20h de France 2, en avril 2006. Avec un message clair du président américain : « toutes les options sont sur la table, nous voulons résoudre ce problème par la diplomatie et nous travaillons dur pour cela. »

Héloïse Fayet détaille : « Il faut bien garder en tête que l’Iran n’a jamais reconnu avoir un programme nucléaire militaire. La justification de l’Iran est d’enrichir à des fins uniquement civiles. Le pays revendique un "droit à l’enrichissement", qui en réalité n’existe pas dans le droit international, les traités ou à l’AIEA. À cette époque, il était possible d’imaginer que le nucléaire iranien resterait uniquement civil. En 2022, l’enrichissement est tel qu’il n’y a plus aucune possibilité d’affirmer que c’est pour le nucléaire civil. »

Un train de sanctions économiques, politiques et militaires

Les agissements de l'Iran sous l'égide d'Ahmadinejad provoquèrent en réponse d'importantes sanctions économiques internationales. Réélu en 2009, dans un contexte intérieur mouvementé et des suspicions de fraude électorale, le président conservateur ne faisait pas l'unanimité. Selon Héloïse Fayet, « la Révolution verte de 2009 montre la volonté du peuple iranien de changer de régime et de s’ouvrir au monde extérieur, notamment en raison des sanctions. »

Juin 2010, dans l'archive ci-dessous le 20h de France 2 annonçait gravement : « Le bras de fer se poursuit. » La communauté internationale renforçait les sanctions économiques en vue de contraindre Téhéran de renoncer à son programme. « Paris a rallié à sa position deux alliés historiques de l’Iran : la Chine et la Russie. Ce soir Téhéran est totalement isolée. »

Parmi ces sanctions : le droit d’arraisonner les cargos iraniens en pleine mer pour contrôler leur cargaison, des sanctions militaires comme un embargo sur les importations de chars, ainsi qu'une série d'autres sanctions économiques et politiques. « À ce train de mesures Téhéran répond que l’enrichissement de l’uranium va se poursuivre quand même », disait le commentaire. Le président Ahmadinejad tentait même l'affirmation suivante : « Le conseil de sécurité de l’ONU est l’organisation la moins démocratique du monde. »

En parallèle des sanctions internationales, l'Iran inaugurait sa première centrale nucléaire, à Bouchehr en septembre 2011. Toujours en service, elle contribue à l'alimentation en électricité du pays.

Onu résolution sanctions contre l'Iran
2010 - 01:31 - vidéo

Avec Hassan Rohani, l'espoir de la négociation

Ce contexte hostile à Ahmadinejad permit à Hassan Rohani, ancien négociateur sur le dossier nucléaire, d’être élu en 2013. « Il est considéré comme un réformateur et va relancer l’idée d’un accord multilatéral en échange d’une levée des sanctions et d’une limitation de l’enrichissement à 3,67%. Il profite aussi d’une administration Obama beaucoup plus favorable aux discussions avec l’Iran que ne l’a été Bush », note Héloïse Fayet.

Dès la fin novembre 2013, un accord préliminaire fut conclu entre, d'une part l'Allemagne, la Chine, les États-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni et, d'autre part l'Iran. Il fut un premier jalon pour s'assurer que le programme nucléaire iranien restait exclusivement pacifique et civil.

La signature en 2015 du JCPOA

Et, enfin, le 14 juillet 2015, un « accord historique » était trouvé. Les images de France 3 dans l'archive ci-dessous montraient une « photo de famille que tout le monde attendait depuis plusieurs mois. Des sourires échangés entre les représentants des grandes puissances et le ministre iranien des Affaires étrangères. »

Accord sur le nucléaire iranien
2015 - 02:24 - vidéo

C'était le soulagement, le début d'une nouvelle ère dans les relations internationales : « Après 12 ans de tensions internationales, tous les pays, à l’exception d’Israël, reconnaissent ce soir que c’est un texte historique. D’un côté, Téhéran a donné des garanties qu’elle ne développe pas l’arme nucléaire, de l’autre, la Communauté internationale s’engage à lever progressivement les sanctions économiques. » Dans les rues de Téhéran, la population se montrait soulagée par la signature de l'accord.

Plus précisément, raconte Héloïse Fayet, « dans le cadre du JCPOA, l’Iran s’engage à ne pas produire plus de 300kg d’uranium enrichi à plus de 3,67% pendant dix ans, promet le démantèlement d’une partie de ses centrifugeuses et le transfert vers la Russie de son uranium enrichi. Cet accord, bien qu’imparfait, est considéré comme une victoire par les négociateurs. » Selon l'archive, un seul pays, historiquement rival de l'Iran, Israël, promettait de « tout faire pour empêcher [la] ratification » du traité et parlait d'« erreur historique. »

Donald Trump et le retrait américain

Dès janvier 2016, il est annoncé que le programme nucléaire iranien a en grande partie été arrêté, permettant une levée des sanctions. Jusqu'en 2018. Le 8 mai, le président américain Donald Trump dénonça l'accord et retira son pays dans un geste unilatéral. « Aujourd'hui, j’annonce que les États-Unis se retirent de l’accord sur le nucléaire iranien. Dans quelques instants, je vais signer un décret présidentiel pour rétablir des sanctions contre le régime iranien. » Et pour tous ceux qui auraient voulu continuer à commercer avec l'Iran, il annonçait de « terribles sanctions ».

Malgré ce revirement, l'accord fut considéré comme valide et l'Iran ne repris pas tout de suite son enrichissement d'uranium. « Mais, dès l’été 2019, l’Iran annonce reprendre ses activités d’enrichissement et dépasse le seuil fixé par le JCPOA. La montée de tension entre des milices proche de l’Iran et des forces américains en Irak, fin décembre 2019, puis l’assassinat par les États-Unis du général Soleimani en Irak en janvier 2020, ont servi de justification à l’Iran pour intensifier ses activités d’enrichissement », rappelle Héloïse Fayet.

Des tentatives de reprise des négociations eurent lieu en 2021. Puis, avec la guerre en Ukraine, les priorités diplomatiques changèrent. De plus, pour la communauté internationale, la situation actuelle « voudrait dire s'asseoir également à table avec un pays [l'Iran, ndlr] qui tue ses manifestants et aide la Russie, ce serait totalement impossible, avance Héloïse Fayet, alors qu’il est pourtant nécessaire de compartimenter les sujets. » À cela s'ajoutent de nombreux anciens contentieux, selon la chercheuse, « entre l’AIEA et l’Iran, ainsi qu’entre les États-Unis et l’Iran. Téhéran exige notamment une garantie américaine que le successeur de Joe Biden ne se retirera pas de l’accord comme Donald Trump, mais le gouvernement américain ne peut pas le promettre. »

Moins d'une semaine pour enrichir suffisamment d'uranium

D'un point de vue technique, l'Iran pourrait obtenir l'arme nucléaire en très peu de temps. Et d'autant plus depuis les annonces d'enrichissement à 60 % dans deux usines du pays. « Plus vous avez d’uranium enrichi, plus c’est facile de continuer. C’est très compliqué de passer de 3,67%, la limite du JCPOA, à 20%, c’est compliqué de passer de 20 à 60% et ça l’est beaucoup moins de passer de 60% à 90% », détaille Héloïse Fayet.

D'où les règles très précises sur l'enrichissement dans le JCPOA. « L’objectif de l'accord était de limiter à un an le break-out time, c’est-à-dire la durée dont un pays a besoin, à partir du stock d’uranium qu’il détient, pour atteindre une quantité significative d’uranium enrichi, c'est-à-dire ce qui va permettre de faire une arme nucléaire. Aujourd’hui, le break-out time est inférieur à une semaine », commente Héloïse Fayet.

Mais la chercheuse tempère dans la foulée : « une fois qu’on a une quantité significative, il faut vectoriser la tête nucléaire, c’est-à-dire la miniaturiser et la mettre sur un missile qui va permettre de l’envoyer sur la cible. Selon les estimations, ce processus pourrait prendre un à deux ans. L’Iran n’est donc pas près d’utiliser une arme nucléaire contre ses voisins. »

L'Iran va-t-il réellement obtenir l'arme nucléaire ?

Sur le plan géopolitique, pour Héloïse Fayet, si les négociations sont à l'arrêt, « il n’y a pour l'instant pas de volonté politique en Iran d’obtenir la bombe nucléaire. » En effet, le pays peut avoir tout intérêt à afficher sa recherche de l'arme nucléaire plutôt qu'à l'avoir réellement. « C’est beaucoup plus avantageux pour le pays d’être ce que l’on appelle un « État du seuil », c’est-à-dire un état qui est capable d’acquérir l’arme, mais qui pour l’instant ne le décide pas et qui se contente d’en faire une sorte de chantage, de tester la réaction de ses partenaires ainsi que la réaction interne, la solidité de son économie sous les sanctions », indique cette spécialiste de la prolifération nucléaire.

Et d'ajouter : « Le Traité de non-prolifération reste solide, et même si l’Iran joue un peu sur la ligne rouge de ce traité, il reste l’une des architectures principales de la sécurité dans le monde. »

En somme, c'est une forme de dissuasion sans avoir l'arme nucléaire. D'autant que « dans la population iranienne, le programme nucléaire est de plus en plus décrié parce que la population se rend bien compte que c’est à cause de ça, de l’entêtement de leurs dirigeants qu’ils souffrent, à cause des sanctions. »

Reléguées au second plan avec la guerre en Ukraine, mais visiblement centrales dans la stratégie de l'Iran à l'international, les négociations sur le nucléaire sont-elles vraiment mortes ?

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