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«Si je pouvais retrouver Proust, je ferais tout pour retourner près de lui»

«Si je pouvais retrouver Proust, je ferais tout pour retourner près de lui»

À l'occasion du centenaire de la mort de Marcel Proust survenue le 18 novembre 1922, nous vous proposons de découvrir quelques fragments de sa vie privée à travers le témoignage de Céleste Albaret, qui fut sa gouvernante et partagea sa vie pendant huit ans. En 1973, elle se confiait à Bernard Pivot, chez elle à l'occasion de la sortie de ses mémoires.

Par Florence Dartois - Publié le 17.11.2022
Celeste Albaret se souvient de Marcel Proust - 1973 - 06:32 - vidéo
 

Né le 10 juillet 1871, Marcel Proust est l'un des auteurs majeurs de la littérature française. Couronné du prix Goncourt en 1919 pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs, l'écrivain a laissé une œuvre magistrale en sept tomes, débutée en 1907 avec Du côté de chez Swann (édité en 1913) et qui s'achèvera avec la parution posthume, en 1927, du roman Le Temps retrouvé. Auteur fascinant, Marcel Proust a vécu les dernières années de sa vie presque reclu, écrivant la nuit son théâtre social où se mêlent réflexions sentimentales et mémoire affective formant une architecture littéraire complexe difficilement classable. Une femme a partagé la vie de cet auteur méticuleux et perfectionniste. Elle se nomme Céleste Albaret et fut sa gouvernante et confidente jusqu'à sa mort, le 18 novembre 1922.

En 1973, Céleste Albaret publiait ses mémoires intitulés Monsieur Proust. Pour l’occasion, Bernard Pivot s'était rendu chez elle, à Montfort l'Amaury (Yvelines), pour recueillir ses confidences. Un entretien exceptionnel que nous vous proposons de découvrir ici. L’archive présentée en tête d’article est un extrait du reportage réalisé par Jean Vigne, diffusé le 1er octobre 1973, dans « Ouvrez les guillemets », l’émission littéraire que Bernard Pivot présentait alors sur la 1ère chaîne de l’ORTF.

Avant la diffusion de l'entretien, Georges Belmont, le co-auteur de l'ouvrage, avait dressé le contexte de cette relation particulière. Céleste Albaret était restée au service de Marcel Proust durant 8 ans. Une complicité s’était peu à peu établie entre cette petite paysanne de la Lozère, épouse du chauffeur de l’écrivain et cet auteur de la haute bourgeoisie, d’un raffinement extrême. Elle était l’une des seules à l’approcher véritablement, car l’écrivain vivait isolé, concentré sur son œuvre. Céleste était devenue sa compagne indispensable, vivant à ses côtés, le soignant et assurant la vie quotidienne de la maisonnée. Mais cette servante dévouée allait aussi devenir la confidente de cet être singulier. Elle vécut avec lui dans ce qu’elle appelait elle-même « un monde à l’envers », puisque Proust vivait essentiellement la nuit. Chaque fois qu’il rentrait d’une sortie, il appelait Céleste pour lui faire un compte-rendu, une manière de travailler oralement son œuvre sur elle. Très vive d’esprit, elle enchantait l’écrivain de ses remarques naïves, mais pleines de bon sens. Remarques qu’il n’hésitait pas à reprendre au fil de ses lignes, tissant ainsi une relation unique avec elle.

Au plus près du génie

En 1973, Céleste Albaret, 82 ans, vivait en compagnie de sa sœur et faisait toujours preuve de beaucoup de vivacité. L’octogénaire expliquait ce que Proust aimait chez elle, et notamment sa fraîcheur. « Je l’amusais », confiait-elle. Elle donnait un exemple de leurs échanges autour du terme « ploumissou » qui était à l’origine du surnom que lui avait donné l’écrivain. « Vous serez Plouplou et moi Missou », lui avait-il déclaré un jour. Elle racontait à Bernard Pivot d’autres anecdotes de ces années-là : l’adoption des « becquets » associés aux manuscrits de l'écrivain (des papiers collés où il annotait ses corrections) et comment l'éditeur Gallimard avait dû insister pour voir l'écrivain le jour où il avait reçu le prix Goncourt.

Dans ce deuxième extrait à regarder ci-dessous, Céleste Albaret témoignait de « l'homme unique » qu’avait été Marcel Proust à ses yeux et qu’elle avait voulu décrire « au plus juste » dans son témoignage. Elle confiait que l'écrivain l'avait encouragé à écrire ses mémoires. À la demande de Bernard Pivot, elle évoquait l'homosexualité de l'écrivain qu'elle n’avait jamais constaté personnellement, personne ne franchissant le seuil de leur maison. En revanche, Marcel Proust ne lui cachait rien de sa fréquentation des lieux de prostitution qu'il décrivait dans ses livres. Elle évoquait une scène de flagellation qu’il lui avait racontée en rentrant un soir, et comment il lui avait décrit cette scène de sadomasochisme. La servante niait l’avoir trop idéalisé, ce qu'on lui reprochait parfois. « Il était tyran et exigeant. Il était raffiné distingué, prévenant. Il vous demandait des choses en les florissants. On a avait envie de lui obéir et de lui faire plaisir », assurait-elle avec fougue.

À la fin de l’entretien, Céleste Albaret confiait son espoir de le retrouver dans l’après-vie. Elle avouait qu’elle lui avait demandé s’il croyait à leurs retrouvailles posthumes. À Bernard Pivot qui lui demandait si elle aimerait « redevenir la bonne de Proust, au paradis », Céleste répondait sans hésitation : « Si je pouvais retrouver Proust, je ferais tout pour retourner près de lui ». Marcel Proust est mort emporté par une bronchite le 18 novembre 1922, il avait 51 ans.

Celeste Albaret à propos de Marcel Proust
1973 - 07:09 - vidéo

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