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Le dégazage en mer, déjà un fléau en 1970

Le dégazage en mer, déjà un fléau en 1970

Des galettes d’hydrocarbures se sont échouées sur la plage de Solaro, au sud-est de la Corse. Cette pollution serait due au dégazage sauvage d’un navire. Cette pratique interdite est fréquente, elle était déjà dénoncée dans les années 70, époque où elle était même banale.


Par la rédaction de l'INA - Publié le 14.06.2021 - Mis à jour le 15.06.2021
Les pratiques sauvages de dégazages - 1970 - 03:06 - vidéo
 

Lorsque l'on pense pollution aux hydrocarbures, on pense souvent aux marées noires provoquées par des pétroliers. Pourtant la pollution par dégazage ou ballastage en mer serait six fois plus importante. En Corse, à Solenzara, selon la préfecture de la Haute-Corse, des résidus ont été constatés sur 500 mètres de long et 50 centimètres de large. La pollution a été repérée vendredi 11 juin lors d’un exercice militaire aérien au large de l'île de beauté mais les premières galettes sont arrivées sur la plage de Solaro, à la limite de Solenzara, le dimanche suivant. Depuis le repérage de cette pollution, des opérations de nettoyage maritimes et terrestres ont été engagées.

Cette pollution volontaire est un véritable fléau difficile à traquer. C'est ce que montre cette discussion, en 1970, avec des marins, employés par le port de Marseille pour nettoyer les bateaux. A l'époque, ils ne cachaient pas cette pratique, et l'évoquaient même sur le ton de la plaisanterie, comme une évidence : "Comment ça se passe en mer ? On jette tout en mer au fur et à mesure. Le navire, il lave, il pompe, il draine ses tanks. Il jette tout à la mer. Dans le sillage et bien ça part. Enfin ça part… ça arrive souvent, très souvent, trop souvent." concède-t'il avec un sourire fataliste. Les raisons de ces dégazages en mer sont surtout pour lui un gain de temps et une économie faite par les armateurs.

"Il y en a qui continuent à dégazer sans aucun complexe"

La solution, selon lui, serait que les ports soient équipés pour que le navire puisse nettoyer pendant qu'il décharge sa cargaison et que "ces eaux de lavage, il les envoie à terre". Oui mais voilà, les ports ne sont pas tous équipés pour cela et le marin interrogé s'emporte lorsqu'on lui parle de la loi, il dénonce la mauvaise foi des autorités : "Mais non qu'il n'y a pas de loi ! Les Français qui ont signé les conventions, les Elf tout ça, leurs bateaux, on ne les voit jamais dans les ports… on les voit passer mais ils ne s'arrêtent pas. Le gouvernement français d'accord, il regarde les Grecs, les Panaméens, mais ses navires à lui ? Les navires battant pavillon français, on ne les voit pas."

Du côté des responsables du port, on souligne également l'absence d'autorité, à l'image de ce chimiste chargé des contrôles portuaires : "Le chimiste n'a aucune autorité pour demander au commandant l'endroit où il a rejeté ses résidus et la façon dont il a fait ce déballastage". Le chimiste employé sur le port pour le contrôle des bateaux ne doit se préoccuper que de la santé des travailleurs portuaires. Il ajoute qu' "il suffirait que les chimistes aient l'autorité de demander au commandant ce qu'il a fait de ses résidus" mais cela aurait nécessité une volonté internationale."

A l'époque, comme aujourd'hui, les pilotes de l'aéronavale étaient en charge de la surveillance des côtes et aptes à repérer d'éventuels dégazages sauvages. Mais eux, dénoncent le manque de moyens. Pourtant leur mission est essentielle comme le souligne ce capitaine de la Marine française : "On surveille les bateaux et les rejets à la mer d'hydrocarbures, les dégazages de citernes, les nettoyages de soutes…".

Les images filmées dans l'avion de surveillance dévoilent le radariste qui est alors en charge de repérer les infractions, puis les pilotes qui effectuent une identification à vue, avec prise de clichés. L'officier décrit le comportement souvent inconséquent des commandants : "Il y en a qui continuent à dégazer sans aucun complexe… ou alors il y en a qui s'arrêtent et quand on s'éloigne, ils s'imaginent qu'on s'en va et ils recommencent…". Quoi qu'il en soit, selon ce capitaine, les amendes ne sont pas suffisantes.

Des conséquences écologiques

Ces dégazages sauvages ont un impact extrêmement nocif sur la faune et la flore maritimes. Et ces scientifiques interrogés dans l'émission "La France défigurée" en décembre 1973 , alertaient déjà. 

Pour le professeur Faucheux (Directeur de la lutte contre la pollution des océans la mission de sauvegarde des littoraux), le risque est bien biologique : "On ne sait pas si lorsque l'on met des détergents dans la mer, on ne va pas détruire un niveau de la chaîne alimentaire extrêmement sensible, et ce faisant, on détruit toute une chaîne alimentaire. Nous sommes des apprentis sorciers !". Même inquiétude du côté du professeur Aubert pour qui la pollution impacte l'ensemble de l'écosystème et de la chaîne alimentaire. Il y voit des conséquences "extrêmement graves : la destructions d'espèces vivantes dans une zone marine où est injecté le polluant." et l'autre conséquence, plus grave encore à ses yeux est que "le phytoplancton, zooplancton, poissons et coquillages concentrent ces polluants chimiques qui croissent à chaque échelon de cette chaîne géologique, mais l'homme consommateur final mange un produit marin qui a concentré ces produits chimiques toxiques et on peut aboutir à une intoxication toxique extrêmement grave". 

Les conséquences de ces dégazages sauvages dans les océans et les mers du globe ne sont pas sans conséquences, ni pour l'écosystème ni pour l'humain. Aujourd’hui les peines sont beaucoup plus sévères. Un pollueur pris en flagrant délit dans les eaux françaises risque jusqu'à 15 millions d’euros d’amende. Mais il reste rare que les navires responsables se fassent prendre en flagrant délit comme ce fut le cas pour le Thisseas. Un cargo qui avait déversé une nappe d’hydrocarbure longue de 40 km au large des côtes bretonnes en février 2016. Le Tribunal de Grande Instance de Brest avait condamné, le 17 janvier 2019, l'armement grec à une amende exemplaire d'un million d'euros. En Corse, les nappes repérées vendredi dérivent toujours vers le Sud de l'île. Une enquête a été ouverte pour identifier le commandant et la compagnie responsables de cette pollution intentionnelle. C'est le parquet de Marseille qui est chargé de l'instruction, il est par ailleurs compétent pour l'ensemble des affaires de pollution maritime sur le littoral méditerranéen français.

Florence Dartois

Pour aller plus loin :

XXème siècle : l'analyse des nappes de mazout arrivant près de la côte de Carry le Rouet. Monsieur Martin, maire de Carry le Rouet, explique comment la pollution au mazout est arrivée sur la côte. L'analyse les résidus de mazout sur le littoral a permis de découvrir le responsable : un pétrolier suédois, qui a dû dédommager la commune. (25 septembre 1970)

Actualités de Méditerranée : Marée noire à Montredon à cause d'un dégazage. Le coopable reste inconnu. (15 avril 1972)

Alain Bombard, biologiste, sur les différentes pollutions maritimes issues de l'activité humaine, des égouts qui terminent dans la mer. (1966)

19/20 Edition nationale : la circulation des cargos, un danger pour les bouches de Bonifacio. Reportage consacré au fort trafic maritime qui règne dans cette zone au sud de la Corse. De nombreux pêcheurs s'inquiètent de la possibilité de l'échouage d'un cargo contenant des produits toxiques, car ce passage est très dangereux. Sur place un un bateau de Greenpeace (l'Artic sunrise) surveille la zone. (7 août 2008)


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