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Le combat de Françoise Rudetzki pour les victimes du terrorisme

Le combat de Françoise Rudetzki pour les victimes du terrorisme

L’emblématique porte-parole des victimes d'attentats est morte à 73 ans dans la nuit du 17 au 18 mai. Ce combat, elle le menait après avoir elle-même été victime d’un attentat en 1983. En 1986, elle racontait son long calvaire et sa prise de conscience qui mena à la création de son association.

Par Florence Dartois - Publié le 19.05.2022
 

Françoise Rudetzki a fondé SOS Attentats, la première association de défense des victimes d'actes de terrorisme, après avoir été elle-même grièvement blessée lors de l’attentat du restaurant parisien Le Grand Véfour en 1983 (11 personnes blessées, et aucune revendication, la justice ayant déclaré un non-lieu). Le 23 décembre 1983, Françoise Rudetzki y célébrait ses dix ans de mariage lorsqu’une bombe explosa, la blessant gravement aux jambes. A la suite de cet attentat, elle allait être de nombreuses fois opérée et greffée pour garder sa jambe que les médecins voulaient amputer. Durant ces années, la rescapée allait prendre conscience de l'indifférence générale dans laquelle se trouvaient les victimes du terrorisme et se lancer dans une croisade pour obtenir la reconnaissance du statut de victime.

L’archive proposée en tête d’article est très forte car elle marque le début de ce combat, notamment dans les médias. Nous sommes le 9 avril 1986 dans une émission à grande écoute, « Au nom de l’amour », présentée par l’animateur star de l’époque, Pierre Bellemare.

Au début de l’archive, sur des images de l’attentat, Françoise Rudetzki faisait le récit de cette soirée qui avait brisé sa vie et ses jambes. Elle effectuait une description de son calvaire et de sa prise de conscience, portée par une énorme souffrance physique et morale : ses jambes écrasées par une porte, ses nombreuses semaines en soins intensifs, la lente reconstruction de ses jambes, les greffes successives (au moment de l’interview, elle a déjà subi 32 interventions). Elle décrivait sa vie brisée et l’abandon de son activité professionnelle. « J’ai dû tout abandonner », confiait-elle.

Vivre après un attentat

Sur les images des débris du restaurant, Françoise Rudetzki dressait un constat sombre de la vie de victime et décrivait le traumatisme qu’on ne parvenait jamais à dépasser : « Beaucoup de gens veulent essayer d’oublier, or je n’ai pas rencontré une seule personne qui, jusqu’à présent, ait réussi à oublier, à cause de cette présence permanente dans la tête du bruit de l’explosion. » Elle évoquait ensuite les symptômes communs aux victimes : les trous de mémoire, les insomnies. « Pour ma part, je suis obligée de prendre des médicaments, la nuit, pour trouver le sommeil et le répit quelques instants

Elle racontait ensuite ce qui avait déclenché sa prise de conscience et sa volonté de s’engager dans la défense des victimes d’attentats. Tout avait débuté par la lecture d’un article du Figaro Magazine, un an après le drame. Elle confiait qu’elle avait été révoltée par cet article consacré à la rénovation du Grand Véfour, et dans lequel il avait été écrit que cette bombe avait fait « plus de bruit que de mal ». Un commentaire insupportable pour celle qui souffrait toujours dans sa chair et dans sa tête. « C’est quelque chose que je n’ai pas admis ni pour moi ni pour ma famille qui a été meurtrie. », disait-elle.

Cet article avait agi comme un catalyseur de la création de son association d’aide aux victimes d’attentats, SOS attentats. Son constat était sévère, elle déclarait « qu’en France les dégâts matériels comptaient beaucoup plus que l’être humain ». Sa mission serait désormais d’aider à la reconstruction des victimes.

Combattre l’oubli

Après cette interview préenregistrée, Françoise Rudetzki était accueillie sur le plateau par Pierre Bellemare. En fauteuil roulant, la jambe dans le plâtre, elle revenait sur le cas spécifique de cet attentat qui n'avait pas été revendiqué, et par conséquent, non reconnu comme un attentat terroriste. Cette non-reconnaissance générait une situation que l’animateur qualifiait de « bizarre », car le restaurant, assuré, avait été rapidement réparé, tandis que les victimes, elles, n’avaient toujours pas été indemnisées.

Françoise Rudetzki ajoutait que depuis 18 mois, le propriétaire du restaurant lui avait menti, « il m’avait promis de m’aider dans mes démarches et de m’indemniser, cette promesse est restée lettre morte ». Ce n’est qu’au bout de 18 mois qu’on lui avait fait savoir qu’elle devait « introduire un recours » et aller devant la justice « pour faire établir une éventuelle responsabilité ». Beaucoup de temps perdu, et la preuve selon elle, que le droit des victimes était ignoré.

La présidente d'SOS attentats exprimait clairement ses motivations devant la caméra. Dorénavant, elle souhaitait dépasser son cas personnel et lutter contre l'isolement juridique des victimes, car elle s’était rendu compte que durant cette période « beaucoup de gens s’étaient retrouvés seuls ». Avec son association, elle voulait « lutter tous ensemble » pour que les victimes ne soient pas trop vite oubliées. Elle déplorait qu'une fois les dégâts matériels réparés, il n’y ait plus de preuves tangibles « car les victimes se cachent et se terrent dans leur coin et donc elles sont oubliées».

La reconnaissance officielle du statut de victime

Un mois après cette interview, en mai 1986, la présidente de SOS Attentats était reçue à l’Elysée par François Mitterrand. Le chef de l’Etat s’engageait devant elle, et les médias, à faire accélérer l’adoption d’une loi d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes.

Son appel allait être entendu, d’autant plus qu’à cette époque Paris faisait face à une série d’attentats meurtriers. Le 19 septembre 1986, dans le journal télévisé, elle annonçait l’ouverture d’une permanence d’aide aux victimes dans la capitale, soutenue par la mairie. Durant l’été, la promesse présidentielle avait été respectée avec l’adoption dans l’été d’une loi d’indemnisation des victimes. Une première au monde dont elle était à l’origine : « Nous nous sommes battus pour la reconnaissance des victimes (…) La mairie de Paris nous a reçus et écoutés (...) ensuite une loi vient d’être votée pour que les victimes puissent bénéficier d'une indemnisation intégrale. », précisait-elle dans le reportage ci-dessous. La réparation de tous les préjudices moraux, matériels et physiques serait désormais encadrée.

Dès 1986, Françoise Rudetzki avait également obtenu la création du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme, financé par un prélèvement minime sur chaque contrat d'assurance de biens. Cette garantie a été étendue en 1990 à l'ensemble des victimes d'infractions pénales (viols, agressions, braquages).

En 2018, elle était encore parvenue à faire reconnaître aux victimes du terrorisme le statut de victimes civiles de guerre et la possibilité pour les associations de se porter partie civile lors des procès. La même année, la président de SOS Attentas avait également œuvré à la création d'un Centre national de ressources et de résilience (CN2R), destiné à améliorer la prise en charge des victimes d'événements traumatiques.

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