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Lait infantile : depuis 1986, la question du lobbying des grands groupes

Lait infantile : depuis 1986, la question du lobbying des grands groupes

Dans le monde, moins de 50 % des enfants de moins de 6 mois sont nourris uniquement au sein, alors qu'il s'agit d'une recommandation de l'OMS. Pour l'expliquer, une étude publiée mardi 7 février par «The Lancet» évoque les stratégies marketing sournoises des grands groupes producteur de lait infantile. Un lobbyisme agressif au détriment de la santé des nourrissons dénoncé depuis les années 1980.

Par Romane Sauvage - Publié le 09.02.2023
N comme Nestlé - 1986 - 05:06 - vidéo
 

L'ACTU.

Certaines femmes ne peuvent pas ou ne souhaitent pas allaiter leur nouveau-né. Mais, selon un chiffre rappelé par la prestigieuse revue médicale The Lancet, moins de 50 % des bébés sont allaités uniquement au sein pendant les 6 premiers mois de leur vie comme le recommande l'OMS. Selon la revue mercredi 7 février, l'une des explications se trouve dans le lobbyisme agressif des fabricants de laits infantiles.

« Pendant des décennies, l'industrie commerciale du lait maternisé a utilisé des stratégies de marketing sournoises, conçues pour exploiter les craintes et les préoccupations des parents, afin de transformer l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants en une entreprise de plusieurs milliards de dollars, générant des revenus d'environ 55 milliards de dollars chaque année », résume The Lancet. Une stratégie qui vise à la fois les parents et les décideurs, mais aussi les professionnels de la santé.

LES ARCHIVES.

« C'est une guerre acharnée entre la firme Nestlé d'une part et d'autre part des organisations de défense des consommateurs. » Il y a 40 ans, des journalistes alertaient sur les agissements de Nestlé, l'un des grands producteurs de lait infantile. Dans cette archive de 1986 en tête d'article, le magazine « C'est la vie » s'intéressait à l'enquête du journaliste suisse Jean-Claude Buffle. Son livre intitulé, « N comme Nestlé », racontait le boycott des produits Nestlé, avec en cœur de cible : le lait infantile.

« [Il] s'est terminé en 1984 et a été très dommageable, Nestlé y a laissé beaucoup de plume, quelques choses comme 3 milliards, expliquait un journaliste, quel était l'objet de ce conflit ? Cette poudre, du lait en poudre. Un produit en soi, complètement inoffensif, mais quand il est utilisé à mauvais escient, notamment dans des pays du tiers monde, ce lait en poudre peut devenir un poison aussi meurtrier voir plus meurtrier que de l'arsenic. »

Le lait infantile, dangereux quand il est mal utilisé

Mais, tout le monde n'avait pas les moyens du boycott. « Les ventes de lait en poudre dans les pays du tiers monde ne cessent d'augmenter. Avec l'industrialisation, des femmes de plus en plus nombreuses sont venus trouver du travail en ville. (...) Vivant des conditions très précaires, souvent des bidonvilles, ces mères n'ont ni les moyens ni l'habitude de respecter des conditions d'hygiène indispensables pour administrer un biberon à un bébé », disait le reportage. Et de poursuivre : « Il n'est pas toujours facile de stériliser le biberon, (...), l'eau utilisée est très souvent de très mauvaise qualité. Et puis, ces mères, démunies, économisent la précieuse poudre de lait, ne respectent pas le dosage prescrit, ce qui entraîne une malnutrition chez l'enfant. »

Conclusion : « On estime à plus d'un million, chaque année, le nombre de petites victimes des substituts en tout genre du lait maternel ou de mauvaises utilisations aux conséquences graves. » Jean-Claude Desenclos de Médecins sans frontières énumérait les conséquences de privilégier des substituts au lait maternel : « la première est que le fait d'utiliser un lait en poudre au lieu de l'allaitement maternel prive le nourrisson de la protection par les anticorps maternels que la mère lui donne. Deuxièmement, la qualité nutritionnelle du lait de vache qui sert à faire ce lait en poudre n'est pas du tout comparable à celle du lait maternel qui est le plus adapté. »

Au-delà du nutritionnel, les conditions de vie des parents avaient un impact : « l’utilisation du lait en poudre nécessite une dilatation avec de l'eau dans des proportions assez précises qui sont souvent mal faites, une sur-dilution. Et, aussi une contamination de ce lait par l'eau qui est rarement stérile et qui est responsable d'épisode de d'infections intestinales, de diarrhées. L'autre corollaire de l'utilisation du lait en poudre, est bien sur le biberon, qui est un facteur de risque évident, de gastro-entérite parc que le biberon se surinfecté et est très difficile à nettoyer. »

« Nous influençons le pédiatre »

Réponse de François-Xavier Perroud, représentant de Nestlé : l'entreprise faisait beaucoup d'efforts pour développer des étiquettes et des pictogrammes clairs sur l'utilisation de leurs produits. Et ajoutait : « cela va plus loin, n'oublions pas que dans la plupart des cas ces mères ne décident pas d'elles-mêmes d'utiliser ces produits, elles sont conseillées par les systèmes de santé, par les pédiatres. Nous influençons le pédiatre, qui lui, sait pertinemment que la mère a besoin de ce produit. Nous influençons le pédiatre en lui disant "voila ce que nous pouvons offrir, voila ce qui serait peut-être applicable dans telle ou telle situation". »

D'autres reportages dans les années qui suivirent montrèrent qu'en dépit de la réglementation, dans les maternités françaises, les fabricants de laits infantiles firent de la publicité pour leurs produits. Par exemple, la distribution de kit aux personnes venant d'accoucher encourageait l'utilisation de biberons et donc indirectement les laits de substitution. Les publicités jouaient également sur l'incompatibilité de la vie professionnelle et de l'allaitement.

Et régulièrement, la France se classait dernière des pays européens en taux d'allaitement au sein. Dans cette archive de 1999, ci-dessous, une journaliste rappelait : « En France une femme sur deux allaite à la sortie de la maternité. Trois mois plus tard, elles ne sont plus qu'une sur cinq. »

Allaitement maternel
1999 - 02:58 - vidéo

Une jeune mère qui allaitait au sein, Nina, confirmait la stratégie marketing des fabricants de ces laits : « quand j'ai vu le harcèlement des biberons, des échantillons gratis qu'on nous offre partout. Surtout les grands groupes qui font un lobby sur les mamans, tout ça, je pensais qu'il ne fallait pas se plier à ça. » La journaliste rappelait, « en fait, la distribution gratuite de lait maternisé est interdite par la loi depuis un an. Mais la pression plus insidieuse de certains pédiatres, de la voisine ou de la belle-mère demeure. » Les femmes interrogées réclamaient le droit d'être informées.

Une influence des industriels certes, mais le reportage également mentionnait une « sorte d'exception française » s'expliquant par des « freins culturels et économiques ».

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