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La persévérance des familles pour que les disparues de Pontcharra ne demeurent pas un «cold case»

La persévérance des familles pour que les disparues de Pontcharra ne demeurent pas un «cold case»

L'affaire Marie-Thérèse Bonfanti est enfin élucidée. En Isère, les expertises ADN effectuées sur le crâne humain retrouvé fin octobre 2022 à La Buissière confirment qu’il s’agit bien de celui de la jeune femme disparue il y a plus de 36 ans à Pontcharra. Un homme avait déjà été suspecté à l’époque, interpellé le 8 mai, il a reconnu l'avoir tuée. Il a également avoué un autre meurtre commis en 1985. Retour sur ces deux enquêtes.

Par Florence Dartois - Publié le 24.05.2022 - Mis à jour le 30.11.2022
La disparition d'une vendeuse de journaux - 1986 - 01:48 - vidéo
 

L'ACTU.

Le 28 novembre 2022, le procureur de la République de Grenoble, Eric Vaillant a annoncé que le crâne humain découvert sur la commune de La Buissière (Isère) appartenait bien à Marie-Thérèse Bonfanti mystérieusement disparue le 22 mai 1986 à Pontcharra, en Isère. Ce « cold-case » est enfin élucidé, plus de 36 ans après les faits. L'enquête a pu progresser après l'arrestation, le 8 mai 2022, d'Yves Chatain, 56 ans. Placé en garde à vue, il avait reconnu avoir tué Marie-Thérèse Bonfanti le 22 mai 1986 et avait indiqué le lieu où il avait enterré le corps. Le crâne a été découvert à environ 65 mètres du lieu précisé. Il était le propriétaire de l'immeuble où avait été vu la jeune femme pour la dernière fois. Le juge d'instruction l'avait alors mis en examen pour « enlèvement, séquestration et pour meurtre ». Ce 24 mai 2022, dans la foulée de ces aveux, le procureur de la République de Grenoble avait annoncé la réouverture de l’enquête dans l’affaire Marie-Ange Billoud, également disparue à Pontcharra en 1985. Depuis le début, ces deux « cold cases» étaient intimement liés. Ils avaient été classés par les autorités, trop rapidement selon les familles, qui se battaient depuis trois décennies pour rouvrir les enquêtes. C’est chose faite, 36 ans après.

L'AFFAIRE EN ARCHIVES.

L'affaire Bonfanti a débuté le 22 mai 1986 avec la disparition de Marie-Thérèse Bonfanti, 25 ans, mariée et mère de deux enfants. A l’époque, l’interrogatoire de plusieurs suspects (dont Yves Chatain) n’avaient rien donné. L’archive en tête d’article est l’un des premiers sujets diffusés sur FR3 Grenoble quelques jours après la disparition de la jeune femme.

Ce reportage montre justement la maison d'Yves Chatain, située devant la gare de Pontcharra, où la jeune femme avait été aperçue pour la dernière fois par un témoin. Un lieu clé de l’affaire. Au moment de sa disparition, Marie-Thérèse Bonfanti distribuait des journaux gratuits. Vers 16h00, elle avait déposé une pile de journaux dans le hall de cette habitation et avait garé sa voiture dans l’impasse qui la longe. « Le soir les gendarmes la trouveront [la voiture] à la même place, porte ouverte, le sac de la jeune femme sur le siège avant », indiquait le commentaire du journaliste. Les recherches entreprises par la gendarmerie n'allaient rien donner. Dans ce reportage, ses proches déclaraient que la thèse de la fugue était invraisemblable. Son mari, Thierry Bonfanti, l’un des derniers à l’avoir vue dans le cadre de leur travail, précisait qu’ils avaient passé l’après-midi ensemble avant sa tournée. Son beau-frère ajoutait qu’elle n’aurait jamais laissé ses affaires, « son sac avec de l’argent dedans, toutes ses cartes de crédit, les clés sur la voiture, la voiture ouverte ».

Deux disparitions similaires

Malgré les recherches de la gendarmerie et des habitants de la ville, Marie-Thérèse Bonfanti ne sera jamais retrouvée. Le reportage expliquait que l’enquête piétinait. Cette affaire montrait de grandes similitudes avec la disparition, un an plus tôt, jour pour jour, d’une autre jeune femme, non loin de celle qu'on appelait alors la « maison Chatain », du nom de son propriétaire. Il s’agissait d’une jeune majeure, Marie-Ange Billoud, 19 ans, disparue le 9 mai 1985, alors qu'elle faisait du stop à la sortie du bourg.

D’elle non plus, aucune nouvelle, « des recherches restées vaines et des dossiers sans réponse », soulignait le commentaire de l’archive ci-dessous en date de février 1988. A l'époque, les deux affaires avaient été classées par le procureur et l’avocat des deux familles demandait pourtant leur réouverture. Il jugeait les recherches et les interrogatoires insuffisants, le journaliste évoquant notamment un « suspect au lourd passé à l’encontre de jeunes femmes » (Yves Chatain justement). Mais la demande allait rester sans suite laissant les familles désemparées.

Les disparues de Pontcharra
1988 - 00:51 - vidéo

Deux familles tenaces

L’affaire des « disparues de Pontcharra » allait prendre une nouvelle tournure à la veille de Noël 1991, au moment où le maire de la ville, Charles Biche, décidait de faire détruire la fameuse « maison Chatain ». Aux yeux des familles, la destruction de la maison allait supprimer toute chance de retrouver de potentiels indices. Elles avaient donc décidé de manifester sur place contre la démolition, la mère de Marie-Ange Billoud hurlant devant les caméras de FR3 : « Nos filles sont enterrées là ! Il faut des fouilles minutieuses ».

L'archive ci-dessous la montrait en pleine distribution de tracts face au flot des véhicules défilant sans s’arrêter. Plus tard, les deux mères brandissaient les avis de recherche de leurs filles, tandis que Thierry Bonfanti signalait l'existence d'une fosse située dans le garage de cette propriété qui n’avait jamais été fouillée. « Elle peut parler, on ne sait pas », déclarait-il en la pointant du doigt. Face caméra, il critiquait la rapidité de remblaiement de certaines zones proches du lieu de la disparition de son épouse. La réponse du maire était sans appel, l’affaire étant close, le procureur avait autorisé la destruction de la maison, « sans risquer de gêner l’enquête ». La mère de Marie-Ange Billoud promettait de manifester : « jusqu’à ce qu’on nous ouvre les dossiers et jusqu’à ce qu’on ait des fouilles qui respectent les ossements de nos enfants ».

Disparitions à Pontcharra
1991 - 02:03 - vidéo

Une fosse bien remplie

Et les familles avaient raison de s'acharner comme le montre l'incroyable archive à suivre. Le 8 janvier 1992, nouveau rebondissement. Au cours de la démolition de ladite maison, des os avaient été retrouvés ! À son domicile, Janine Gonet, la mère de Marie-Ange Billoud, affirmait détenir des restes humains - des fragments de hanches et de tibias - qui pouvaient appartenir à sa fille. Des restes qu'elle sortait d’un sac plastique et présentait sur un torchon de cuisine. Elle expliquait qu'ils avaient procédé eux-mêmes aux fouilles, faute d'enquête : « J’attends quand même que les services officiels s’occupent de ces pièces et nous disent si ce sont des ossements humains officiellement », lançait-elle.

Le commentaire relevait que le « plus extraordinaire dans cette affaire, c'était la solitude des familles face à cette découverte », ajoutant que madame Gonet avait elle-même apporté les restes « chez un vétérinaire, puis un médecin, pour les faire certifier humains ». Mais pour la justice, la gendarmerie et la mairie de Pontcharra, la demande restait lettre morte.

La découverte d'ossements à Pontcharra
1992 - 01:33 - vidéo

Avec ce rebondissement inattendu, les familles allaient obtenir une couverture médiatique nationale, notamment avec ce sujet diffusé dans le JT de 20h de France 2, le 10 janvier 1992. Dans ce reportage, devant le sol remblayé où se trouvait autrefois la « maison Chatain », Thierry Bonfanti expliquait comment ils avaient découvert les restes jetés dans la fosse qu’il avait repérée dans le garage : « c’est à cet endroit-là précisément que l’on a retrouvé des ossements » déclarait-il.

De mystérieux ossements

Ces indices devaient relancer l’enquête espéraient les familles, car la démolition de la maison sonnait le glas de leurs espoirs de connaître un jour la vérité sur la disparition de leurs filles. La mère de Marie-Thérèse Bonfanti, Thérèse Saia, exprimait ce désarroi face à la caméra : « S’ils ne rouvrent pas le dossier, maintenant que la maison, elle, n’y est plus, ils nous ont tout enlevé ! Tout enlevé ! Nous, on ne peut plus dire, c’est là que ma fille a disparu. »

Le maire de la ville s’inscrivait en faux précisant que les fouilles avaient été menées en accord avec les familles, « sur indication des familles ». Mais ces dernières se retrouvaient seules avec des ossements que les gendarmes refusaient de prendre en considération, l’enquête étant close. Elles se heurtaient aussi au silence de la justice qui déclarait étudier la possibilité de rouvrir le dossier si l’expertise menée par les proches prouvaient que les os étaient « humains, récents et ayant appartenu à des femmes ».

Il aura fallu attendre plus de trois décennies pour que la vérité éclate enfin. Le dossier a été rouvert en 2020. L'avocat de la famille Bonfanti, Me Bernard Boulloud, a fait part du « grand soulagement » de ses clients. Le procureur de la République Eric Vaillant s'est quant à lui félicité de l'élucidation de ce « cold case », le second à Grenoble en moins d'un an, après l'affaire Marinescu en juin 2021.

L'affaire des disparues de Pontcharra
1992 - 02:24 - vidéo

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