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La France, terrain de jeu des espions soviétiques durant la Guerre Froide

La France, terrain de jeu des espions soviétiques durant la Guerre Froide

La France a annoncé l'expulsion de 35 diplomates russes, soupçonnés d'activité d'espionnage. L'occasion de revenir sur les révélations fracassantes d'un espion du KGB, Vassili Mitrokhin, passé à l'Ouest au début des années 1990, et dont les informations ont permis de comprendre à quel point la France avait été au coeur de l'espionnage soviétique durant toute la Guerre Froide. 

Par Cyrille Beyer - Publié le 05.04.2022
 

Lundi 4 avril, après que les chancelleries occidentales ont fermement condamné les crimes commis par les Russes à Boutcha, près de Kiev, le ministère français des Affaires étrangères, en coordination avec d'autres pays européens, a annoncé l'expulsion « de nombreux personnels russes sous statut diplomatique affectés en France ». Selon BFMTV, il s'agirait de « 35 membres de l'ambassade de Russie en France » appelés à quitter l'Hexagone, en raison d'activités « contraires à nos intérêts de sécurité ». Toujours selon BFMTV, il s'agit de « la plus importante expulsion de diplomates russe depuis l'affaire Farewell, qui en 1983 avait permis, grâce à l'agent-double soviétique Vladimir Vetrov, de désigner comme espions 40 membres de l'ambassade soviétique à Paris. »

La fin de la Guerre Froide va permettre certaines révélations historiques saisissantes concernant notre pays. Alors que l'affaire Farewell, popularisée en France par le film de Christian Carion, en 2009, avait donc permis au début des années 1980 de débusquer de nombreux personnels diplomatiques soviétiques opérant en réalité comme espions en France, la sortie en 1999 du livre The Mitrokhin archive, révélait l'infiltration de l'espionnage soviétique au sein même des élites françaises.

C'est ce que rapporte ce reportage télévisé de France 2 du 18 septembre 1999, dans l'archive placée en tête d'article. Réalisé à l'occasion de la sortie du premier tome de The Mitrokhin archive, le sujet présente la France comme « le pays le plus visé pendant la Guerre Froide par le KGB, au plus haut niveau de l’état ». Le reportage revient à l'origine de ces révélations : en 1972, un archiviste soviétique du KGB, Vassili Mitrokhin, travaille avec succès à la demande de sa direction au déménagement de 300 000 dossiers depuis le siège historique des services secrets, place Loubianka, au coeur de Moscou, vers un nouveau bâtiment construit dans la banlieue de la capitale russe. L'archiviste lit tout, note tout. Et cache tout. Dans des bidons de lait, notamment.

En 1992, il décide de passer à l'Ouest, et confie son fantastique butin aux services secrets britanniques. Un trésor qui devient un livre, co-écrit par l'historien britannique Christopher Andrew, l'un des spécialistes mondiaux du sujet, dont le premier tome sort en 1999. L'auteur ne tarit pas d'éloges sur le caractère exceptionnel des informations qu'il a eues à traiter : « C’est tout à fait inouï dans l’histoire des renseignements secrets, il n’y a pas un autre transfuge qui ait fait ça. »

Et parmi tous ces secrets, la France tient une place à part. Dès 1994, la DST (contre-espionnage français) est mise au courant par les Britanniques du contenu des archives de Vassili Mitrokhin concernant la France. Le reportage de France 2 raconte : « Tout avait commencé dans cette France de l’Après-guerre. La participation communiste au gouvernement, les multiples débats internes entre forces politiques, quel beau champ de recrutement pour le KGB. Services secrets, diplomatie, presse, défense nationale, monde scientifique ou politique, pas un secteur n’est épargné. »

Le reportage donne ensuite la parole à un ancien directeur de la DST, Marcel Chalet (celui-là même qui avait supervisé la prise de contact avec l'espion double soviétique Farewell), qui se dit « surpris » à la lecture du livre de Vassili Mitrokhin et Christopher Andrew : « Je découvre qu’il y a plusieurs cas qui étaient complètement inconnus de notre service. Je découvre quelque fois des proportions plus exactes de certains des cas qui eux étaient connus. »

Parmi les innombrables noms de code concernant des personnalités françaises contenus dans les archives Mitrokhin, il y a JOUR, du nom d'un chiffreur du Quai d'Orsay. Et puis un certain GILBERT, puis GILES, qui pourrait cacher l'identité d'un homme politique de premier plan. Le reportage de France 2 indique ainsi que « depuis des années, la rumeur voudrait qu’il s’agisse de Claude Estier : "Grotesque", nous a-t-il répondu, "jamais je n’ai été l’agent de qui que ce soit". »

Et pourtant, la rumeur, et les informations de Mitrokhin, allaient s'avérer tout à fait exactes. En 2016, les archives déclassifiées de la police politique roumaine, la terrible Securitate, confirment bien que de 1982 à 1986, Claude Estier, personnalité socialiste et à l'époque président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, avait travaillé pour les services secrets roumains. La Roumanie de Nicolae Ceaucescu étant, rappelons-le, l'une des plus dures dictatures du bloc communiste.

Poursuivant son commentaire, Marcel Chalet disait accorder au final moins d'importance au détail des noms impliqués dans cet espionnage au profit de l'ennemi, que « de l'ensemble du tableau, en lui-même suffisamment significatif et inquiétant. »

Et le reportage de France 2 de conclure : « Inquiétant à ce point que dans les années 1970 la France a arrêté et expulsé plus d’agents soviétiques que le reste du monde. »

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