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La crise aux urgences : le rapport Steg qui devait tout solutionner en 1989

La crise aux urgences : le rapport Steg qui devait tout solutionner en 1989

Manque de personnel soignant, de matériel, de lits, 120 services d’urgences font face à de telles difficultés qu’ils alertent et annoncent le pire pour l'été. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle dénoncée dans le rapport Steg mais pour d'autres motifs.

Par Florence Dartois - Publié le 25.05.2022
 

Au moins 120 services d’urgences alertent sur leurs graves « difficultés » : manque de médecins, d’infirmiers, d’aides-soignants, de matériel ou de lits. Les services d’urgences en péril représentent 20% des établissements du territoire. Aucune région n’est épargnée, avec 60 départements touchés. À l’approche de la saison estivale, une période sensible où les hôpitaux vont avoir du mal à recruter, la situation est difficile. Les urgentistes, déjà contraints de limiter l’accès à leur service, comme à Bordeaux récemment, annoncent un été catastrophique.

Au début des années 1990, un rapport du Conseil économique et social avait déjà alerté sur la situation dangereuse des services d’urgences, à tel point qu’en novembre 1992, la revue 50 millions de consommateurs avait publié un article explosif.

Dans l’archive en tête d’article, Christine Ockrent débutait son journal en expliquant que la situation était catastrophique aux urgences, qu’il ne s’agissait plus « de signaux d’alarme mais de sirènes hurlantes ». Dans cet article, 200 services sur les 500 existants étaient qualifiés de dangereux, « par manque d’équipement ou pour cause de personnel peu qualifié ». Le manque de qualification du personnel était alors signalé comme le point noir du problème. Un reportage plongeait alors le téléspectateur au sein d’un service d’urgences. Le commentaire du journaliste était tout aussi anxiogène, employant les termes de « roulette russe », et expliquant qu’en se rendant aux urgences, un patient avait « une chance sur trois d’être mal soigné ».

Trop d'urgences mais peu de compétences

Pour publier son enquête, 50 millions de consommateurs s’était basé sur une étude réalisée en 1989 par le Professeur Adolphe Steg, auteur du rapport publié par le Conseil économique et social. Interrogé dans ce reportage, il précisait que depuis sa rédaction, les choses s’étaient un peu améliorées. Il s'inscrivait d'ailleurs en faux, relativisant la menace : « il n’y a pas d’état catastrophique, il y a de gros problèmes ». A ses yeux, les problèmes d’accueil avait été résolus et la « qualité des soins » le serait bientôt, si on suivait ses prescriptions en organisant une grande restructuration.

Le rapport pointait une surabondance de services d’urgences dans l'Hexagone qui nuisait à la qualité des soins. Un paradoxe qui semblait faire consensus, comme le reconnaissait Dominique Meyniel, responsable des Urgences Tenon à Paris : « il y a beaucoup trop de services d’urgences, et à partir du moment où il y en a trop, ils ne peuvent pas avoir derrière eux le plateau technique qui va rendre le service demandé par la population. »

Pour résoudre ce problème, Adolphe Steg préconisait une grande réforme de restructuration qui nécessiterait de fermer - à terme - 155 urgences. Les patients, eux, doutaient du bien-fondé des fermetures, à l’image d’un patient interrogé en fin de reportage qui trouvait cela « aberrant » de devoir faire « une demi-heure de route pour se faire soigner ». Restait aussi à convaincre les municipalités qui finançaient à l’époque les emplois afférents et qui voyaient d’un mauvais œil la suppression de postes. Un paradoxe souligné par le journaliste en fin de sujet.

Manque de moyens

Le rapport Steg datait en effet de 1989. Le 10 avril 1989, après la diffusion d'un sujet sur l’état des urgences à l'hôpital Ambroise Paré à Paris, Adolphe Steg était venu le défendre sur le plateau du JT de 20h00 d’Hervé Claude. Le journaliste l’interrogeait alors sur la sévérité du bilan : « De quoi souffrent le plus les urgences des hôpitaux? Est-ce un manque de personnel, un manque de crédits ou un manque de matériel ? », lui demandait-il.

L'auteur du rapport répondait qu'il était surtout question d'un manque de moyens et de personnel : « C'est d'abord d'un manque de confort, donc de matériel. Les gens supportent mal d'être sur un brancard dans un couloir, alors qu'ils pourraient être assis dans un fauteuil confortablement (...). C'est effectivement aussi un manque de personnel, tant en ce qui concerne les infirmières que les équipes médicales. (...) Et bien entendu, tout ceci abouti à quoi nous faisons référence dans le rapport, c'est à dire à une demande de moyens. » Des moyens qui devraient provenir de l’Etat. Il insistait sur ce point : « C'est une décision essentiellement politique et qui demande une volonté politique

Diminution des urgences, augmentation de la qualité des soins

En 1993, la réforme de restructuration débutait, portée par Bernard Kouchner. Le Professeur Adolphe Steg était à nouveau invité pour commenter la mise en place de ses prescriptions. Il réaffirmait l'urgence d'une « restructuration », mais regrettait déjà que le budget alloué le matin même par le gouvernement soit « trop faible ». Il avertissait qu’il faudrait des efforts plus importants, à la fois de la part « des hospitaliers, des hôpitaux et aussi de l’Etat ».

Adolphe Steg revenait sur les grandes lignes de ses propositions : l'adoption d'un double système en fonction de l’importance de la pathologie à traiter, l’élaboration de « services d’accueil » pour le « tout venant » (80% des urgences). Cette simplification du parcours ne devait pas hypothéquer la qualité des soins. Pour éviter les « accidents » souvent dénoncés, il préconisait d'améliorer les compétences des médecins urgentistes, elle aussi très critiquée. Il pointait du doigt la « formation des médecins » soulignant déjà : « nous n’en avons pas assez pour l’urgence ».

Pour attirer ces médecins tentés par le privé plus lucratif, et mieux équipé, il préconisait d'améliorer leurs « conditions de vie » en leur offrant des «plateaux techniques» modernisés. Mais pour cela, il faudrait faire des choix drastiques dans la répartition des centres d'urgences. C'était le point épineux du projet qu'il défendait assez abruptement : « il est inutile de réclamer des médecins partout », déclarait-il, ajoutant que certaines zones ne nécessitaient pas d’urgences : « il faut avoir le courage à ce moment-là de les fermer », affirmait-il. Son credo était de limiter les structures mais de mieux équiper celles qui persisteraient.

Metz allait être le premier service d'urgences à appliquer les lignes de conduites du rapport Steg. En décembre 1993, la réforme se mettait en place.

Réforme urgence hospitalière à Metz
1993 - 01:51 - vidéo

Pour aller plus loin :

Reportage aux urgences de Rennes présentées comme un modèle. Il était plutôt bien loti avec deux médecins et deux chirurgiens en permanence. 40 000 patients passaient chaque année dans ses murs et une centaine de personnes travaillaient dans le service qui était déjà confronté à des surcharges de travail. (16 septembre 1993)

25 ans de crise aux urgences : Les urgences médicales : de plus en plus de travail, de moins en moins de moyens. « on a fermé 100 000 lits au cours des dernières années alors que la population vieillissait » (Patrick Pelloux) (8 décembre 2005)

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